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Nº 2907 du vendredi 26 juillet 2013

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Le vote sanction de l’Europe. Le Hezbollah, terroriste ou partenaire?

La décision de l’Union européenne de placer la «branche militaire» du Hezbollah sur sa liste des organisations terroristes, prise après plusieurs semaines de débats, laisse la porte ouverte à un «dialogue politique avec le parti». Cette mesure fait du Hezbollah en même temps un parti terroriste et un partenaire. Cette confusion est le trait marquant de la politique de l’Europe dans la région, notamment en Syrie.
 

L’entrée en guerre du Hezbollah à Qoussair a redonné l’avantage au régime syrien. Au grand dam de Tel-Aviv et de Washington, qui voyaient dans l’insurrection contre Bachar el-Assad l’occasion de porter un coup fatal à Téhéran et à ses alliés, quelques mois avant la reprise des négociations sur le nucléaire iranien. Pour reprendre la main, l’Occident, toujours bloqué au Conseil de sécurité de l’Onu par le veto russe, a lancé son opération reconquête. Pour enrayer la radicalisation finalement contre-productive de l’insurrection sur le terrain qui a planté les germes d’une déstabilisation à grande échelle, la diplomatie américaine fait des pieds et des mains pour redonner à l’Arabie saoudite, plus docile que le Qatar, la direction des opérations dans la région.

Le rôle moteur de Londres
Il y a quelques jours, le chef des services de renseignements du pays, Bandar Ben Sultan, s’est rendu à Paris pour y rencontrer François Hollande. Au menu des discussions, la livraison d’armes à la rébellion. Les discussions se soldent par un échec. Comme son homologue américain Barack Obama, Hollande craint que ces armes tombent dans de mauvaises mains. Mais l’Occident veut participer à l’effort de guerre. A défaut de s’attaquer à l’Iran et mener le combat sur le terrain contre le régime syrien, il a préféré se rabattre sur une diplomatie offensive contre le Hezbollah.
La tâche s’annonçait pourtant compliquée. Toute décision de l’Union se prend à l’unanimité de ses 28 membres. Les Pays-Bas, qui surveillent étroitement la nébuleuse islamique sur leur sol depuis les affaires Théo Van Gogh et Ayaan Hirsi Ali, ont inscrit depuis plusieurs années le Hezbollah sur leur liste. «Il est bon que l’UE ait décidé d’appeler le Hezbollah pour ce qu’il est: une organisation terroriste», a confirmé le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Frans Timmermans, dans un communiqué. Les Pays-Bas se sont rapidement mis dans le sillage du Royaume-Uni, le vrai promoteur de la décision au sein de l’Union. L’expertise moyen-orientale du Foreign Office fait école, d’autant que la Grande-Bretagne a elle-même été confrontée à ce type de dossiers il y a quelques années. En Irlande du Nord, pendant que l’IRA menait des actions sur le terrain, Londres discutait avec le Sinn Fein, l’aile politique du mouvement. En Espagne, Madrid traitait avec Herri Batasuna, alors que l’ETA perpétrait des attentats. La dissociation entre les branches armée et politique du parti a convaincu les plus réticents au sein de l’Union européenne.
Un sésame promu par Paris et Berlin. En mai, lors d’un déplacement à Amman, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, expliquait déjà que «compte tenu des décisions qu’a prises le Hezbollah et le fait qu’il a combattu très durement la population syrienne, je confirme que la France proposera d’inscrire la branche militaire du parti sur la liste des organisations terroristes» de l’UE. Contrairement à ce qu’ont cessé de répéter les responsables européens depuis lundi, la décision politique est motivée, au moins partiellement, par la question syrienne.
Deux autres pièces ont été versées au dossier à charge contre le Parti de Dieu, soupçonné d’activités terroristes au sein de l’Union. En tête de pile, un attentat qui avait fait sept morts dont cinq Israéliens le 18 juillet 2012 à l’aéroport de Bourgas en Bulgarie. Les autorités bulgares ont fait état à plusieurs reprises de «pistes nettes menant vers le Hezbollah», sans néanmoins apporter les preuves nécessaires. L’autre affaire, moins spectaculaire, est plus embarrassante pour le Hezbollah car l’homme arrêté est passé aux aveux. Il s’agit d’une tentative d’attentat déjouée à Chypre, également en juillet 2012. Un Libano-Suédois, Hossam Taleb Yaacoub, a été arrêté alors qu’il effectuait des repérages à l’aéroport de Limassol. Condamné le 28 mars dernier à quatre ans de prison, il a avoué travailler pour le réseau international du Hezbollah.

Une distinction ambiguë
L’inscription du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne s’accompagnera du gel des avoirs et d’une interdiction de visa pour certains membres du mouvement. Comme pour contrebalancer la décision, dans leur communiqué commun, les ministres ont cependant affirmé que ces sanctions n’empêcheraient pas l’UE de «poursuivre le dialogue avec tous les partis politiques au Liban», y compris donc la branche politique du Hezbollah. Selon le chef de la diplomatie britannique William Hague, la décision de lundi «n’affectera pas la stabilité du Liban».
La réaction du Hezbollah a été immédiate. Le parti a qualifié la décision d’injuste et d’agressive. «Cette initiative, qui ne se base sur aucune justification et aucune preuve, vaudra aux Européens des pertes et des déceptions», met en garde le parti chiite. Le mouvement regrette que «l’Union européenne [se soit] pliée aux pressions américano-sionistes (…) et au diktat de la Maison-Blanche», ce qui constitue une «tendance dangereuse», selon le communiqué. «Cette décision a été rédigée avec une main américaine et de l’encre israélienne, et il n’était demandé à l’Europe que d’apposer son tampon».
A contrario, la décision de l’UE a réjoui les autorités israéliennes. «Ces dernières années, Israël a déployé d’importants efforts pour expliquer à tous les pays de l’Union que le Hezbollah est une organisation terroriste du régime iranien, qui commet des attentats partout dans le monde», a déclaré le Premier ministre, Benyamin Netanyahu. «Finalement, après des années de délibérations, l’affirmation selon laquelle le Hezbollah est un parti politique légitime a à juste titre échoué. Maintenant, il est clair pour le monde entier que le Hezbollah est une organisation terroriste», a affirmé sa ministre de la Justice Tzipi Livni. C’est justement cela qui n’est pas clair. Les Etats-Unis, comme Israël, ne font pas la distinction entre les branches armée et politique du Hezbollah. Le parti non plus d’ailleurs. Il s’agissait lundi pour l’Europe d’envoyer un message fort tout en ménageant le Liban. Cette décision a eu une résonance évidemment particulière à Beyrouth.

Le Liban hagard
Le président Michel Sleiman, comme le Premier ministre désigné Tammam Salam, ont demandé à l’UE de «revoir» sa décision. Au cours des jours précédents, ils l’avaient pressée de ne pas sanctionner le Hezbollah, «composante importante» de la société. Le Premier ministre démissionnaire, Najib Mikati, a assuré ce mardi que le gouvernement libanais refusait la décision de l’Union européenne d’inscrire la branche militaire du Hezbollah sur sa liste des organisations terroristes, signalant que le cabinet œuvrerait pour la suspension et le réexamen de cette résolution.
Du côté du 14 mars, le propos est plus nuancé. Dans un communiqué, le Courant du futur s’est dit «inquiet» de la décision européenne, car elle touche en définitive une composante libanaise principale qui a à son crédit «une expérience nationale reluisante en matière de résistance contre l’ennemi israélien, qui a abouti en définitive à libérer les territoires libanais occupés en 2000, avant qu’elle n’oriente son fusil vers l’intérieur libanais. Le Hezbollah aurait pu éviter d’en arriver là».
La décision de l’Union va inévitablement relancer le débat sur les armes du Hezbollah. Il y a quelques jours, le chef de la diplomatie libanaise, Adnan Mansour, a accusé des «parties libanaises d’avoir coopéré en vue de la prise de la décision». Comment le Hezbollah va-t-il réagir sur le terrain à cette décision?
Dans le Sud, la Finul est largement composée de contingents européens. Cette semaine, les ambassadeurs des pays européens ont multiplié les rencontres avec les acteurs de la vie politique libanaise pour faire passer la pilule. Dans six mois, l’Europe sera amenée à réexaminer cette décision. D’ici-là, le Hezbollah, au Liban et peut-être en Syrie, aura préparé sa réponse.

Julien Abi Ramia

Questions à Angelina Eichhorst
La chef de la Délégation de l’Union européenne à Beyrouth, Angelina Eichhorst, a répondu aux questions de Magazine.

 

Quelles implications aura la décision des ministres européens des Affaires étrangères d’inscrire la branche armée du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes de l’UE?
C’est un message clair et fort que l’UE a voulu adresser au Hezbollah qu’elle refuse tout acte terroriste sur son territoire, et qu’elle ne peut permettre à la branche armée du Hezbollah de mener des activités terroristes dans l’UE, tel à Bourgas ou ailleurs.

Quels sont les circonstances et les motifs de la décision, surtout que le nouveau gouvernement bulgare affirme n’avoir que des «suppositions» concernant l’affaire de Bourgas?
La décision repose sur des indications très fortes concernant l’implication de la branche armée du Hezbollah dans l’attentat de Bourgas en juillet 2012 qui avait fait sept morts.

Seulement la décision judiciaire qui condamne le Hezbollah dans cette affaire n’est pas encore sortie?
C’est vrai, il n’y a pas une décision judiciaire définitive, mais comme je l’ai dit, il y a des preuves et indications très fortes sur son implication.

Quelles seraient les conséquences de cette décision sur les relations de l’UE avec le Liban?
Aucune. Il n’y aura pas de conséquences directes sur le Liban. Le soutien européen au Liban ne sera pas affecté. Le programme d’aide humanitaire ne sera pas touché. L’appui de l’UE à ce pays reste inchangé, les relations ainsi que le partenariat entre l’UE et le Liban ne s’en ressentiront pas. Notre coopération avec le Liban est très forte sur tous les niveaux politique, économique, social et culturel. La sécurité au Liban est un point important pour nous, et notre programme d’aide continuera comme par le passé.

Le Hezbollah fait partie de la vie politique libanaise. Est-ce que vos contacts avec les ministres et députés ou les responsables du Hezb seront suspendus?
La décision touche la branche militaire du Hezbollah et, par conséquent, nos contacts avec toutes les parties libanaises demeurent actifs. La décision de l’UE a nettement souligné la volonté de poursuivre le dialogue avec tous les partis politiques libanais, y compris le Hezbollah, qui joue un rôle de premier plan. L’UE fait la différence entre les ailes politique et militaire du parti.

Propos recueillis par Arlette Kassas

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