Magazine Le Mensuel

Nº 2913 du vendredi 6 septembre 2013

Semaine politique

Le spectre de la guerre régionale. Quel impact sur le Liban?

L’éventualité d’un conflit de grande ampleur, en cas d’intervention occidentale en Syrie, n’élude pas le fait que le Liban doit avant tout craindre la poudrière qui s’est installée sur son territoire, alimentée par la géographie, sa structure communautaire et les faiblesses de l’Etat central. Revue des périls qui le menacent.
 

Samedi dernier, en annonçant un vote au Congrès sur une intervention de son pays en Syrie, Barack Obama a nettement fait retomber la pression. En visite officielle cette semaine au Liban, le président de la Commission des Affaires étrangères au Parlement iranien, Alaeddine Boroujerdi, a qualifié la décision du président américain de «rationnelle», marquant «une accalmie dans la crise et permettant ainsi d’éviter à la région une catastrophe ou un désastre».
Le bruit des bottes s’éloigne provisoirement, mais les lignes de fracture restent toujours aussi marquées. «L’Iran et la Russie n’arrêteront pas leur appui au président syrien, en l’occurrence sur le terrain. Toute attaque contre Damas est une attaque contre Téhéran et Moscou», a prévenu le diplomate iranien. En guise de réponse, le président Michel Sleiman a rappelé «l’obligation de toutes les parties, aussi bien intérieures qu’étrangères, de préserver la neutralité du Liban face aux répercussions de la crise syrienne, et d’immuniser le territoire et le peuple libanais contre tout acte et toute réaction en lien avec cette crise». Face aux bonnes intentions, la réalité.

 

Territoire à ciel ouvert
Toutes les forces agissantes, aussi bien intérieures qu’étrangères, ont fait du Liban leur base arrière. Les cellules islamistes se sont installées dans les bastions sunnites et dans les camps de réfugiés palestiniens, qui continuent de fournir hommes et armes aux forces qui combattent les soutiens du régime de Bachar el-Assad. La neutralisation d’Ahmad el-Assir, la fermeté du commandement militaire de l’Armée libanaise, efficacement secondée par ses services de renseignements, et le mano a mano que se livrent l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie, ont quelque peu atténué leur pouvoir de nuisance. Tripoli, Saïda, Ersal et les camps sont jusqu’ici relativement calmes. Ces groupuscules resteront-ils les bras croisés lorsque seront lancées les batailles d’Alep et de Damas, qui décideront du sort du régime syrien? La parenthèse diplomatique refermée laisse présager une nouvelle phase militaire sur le territoire syrien.
La question vaut également pour le Hezbollah. Ebranlé par les explosions de Dahié, le Parti de Dieu a été placé en état d’alerte générale et toutes les unités de combat, sur tous les sites de déploiement, ont été appelées à rester sur le qui-vive − une mesure qui concerne également les unités du Hezbollah présentes en Syrie. Sur les territoires qu’elle contrôle, l’organisation a érigé des barrages afin de contrôler les entrées et les sorties. Rarement ses ressources n’ont semblé aussi mobilisées. Le Hezbollah est appelé, à la fois, à contenir la nébuleuse takfiriste qui menace ses bastions libanais, à appuyer les forces du régime en Syrie et à garder un œil sur Israël qui mène des exercices militaires en Méditerranée. C’est sur lui que repose le rapport de force sur le terrain que souhaitent ses parrains; ce sera à lui de répondre aux provocations sur tous ces théâtres d’opérations.
Les deux forces en présence fourbissent aujourd’hui leurs armes. La guerre en Syrie a pris tellement d’ampleur qu’il lui faudra un vainqueur et un vaincu, sans parler des conséquences post-conflit qui risquent d’aboutir à un morcellement territorial qui menace aussi le Liban.
Voilà le premier effet de l’incurie des autorités du pays. Plus aucun garde-fou, si ce n’est le souvenir de la guerre civile, ne peut empêcher les partis de faire ce que bon leur semble et d’organiser la vie de leur communauté. «La distanciation avec Ersal, le Akkar et Tripoli est inacceptable. Il s’agit de terres libanaises et de citoyens libanais», a dénoncé cette semaine le leader du Courant patriotique libre (CPL), Michel Aoun. A la faveur des composantes communautaires du conflit syrien, se sont substitués à la tutelle de l’Etat des pouvoirs locaux. A la tête de la population sunnite, les élus sont désormais à la remorque de dignitaires religieux qui ont pris le leadership; Walid Joumblatt réorganise son appareil partisan et les chrétiens, qui souffrent depuis le début du conflit en Syrie de l’absence d’un porte-voix que tente d’être le patriarche Béchara Raï, vivent comme dans un îlot. Michel Sleiman, Najib Mikati et Nabih Berry, qui multiplient les discours, sont de bien faibles garants d’institutions paralysées. Embarqué dans cette galère, le Premier ministre désigné, Tammam Salam, ne peut qu’assister impuissant à cette comédie pathétique.
 

Le temps du fédéralisme   
Comment ne pas croire les sources qui expliquent qu’il restera impossible de former un gouvernement dans les semaines, voire les mois à venir? Dans ce contexte d’incurie sur le plan local, le seul espoir réside dans les salons diplomatiques. Seule une détente entre Washington et Téhéran pourrait, par un jeu de dominos, désamorcer l’escalade dans la région. Le président iranien Hassan Rohani compte, à l’occasion de l’ouverture des négociations sur le nucléaire, prochaine grande échéance internationale après le dossier syrien, agir en ce sens. Dans l’attente d’un hypothétique accord à grande échelle, le Liban vit au rythme des dépêches et des rumeurs d’attentats. Les informations, qui filtrent de l’enquête sur la double explosion de Tripoli, montrent que des cellules dormantes, échappant à tout contrôle radar, agissent au nez et à la barbe des services de sécurité qui parent au plus pressé. L’accalmie du moment ressemble de manière inquiétante au calme avant la tempête. Toutes les forces sont mobilisées; la seule question est de savoir quand et où débutera la prochaine phase du conflit syrien.
Tout aussi impuissante, la population libanaise paie les pots cassés. Mercredi, les acteurs du tissu économique du pays, dans un mouvement de mobilisation sans précédent, ont décidé de fermer les portes de leurs entreprises, pour protester contre la situation qu’ils subissent de plein fouet. L’économie est en berne, leur sécurité n’est plus assurée. L’afflux de réfugiés syriens (voir encadré) augmente la demande interne de manière conséquente se répercutant sur une inflation généralisée qui est passée à 8,8% entre janvier et juin 2013. Exemple, parmi d’autres, les agents immobiliers expliquent qu’un appartement qui coûtait environ 800 dollars en 2010 se loue maintenant à 1 400, voire 1 500 dollars actuellement.
Il n’est même plus question de politique, mais de survie. La dernière grève générale remontait à 1971, quatre ans avant le début de la guerre civile…

Julien Abi Ramia 

Le poids des réfugiés
Un récent bilan de l’Onu fait état de presque un million de réfugiés syriens au Liban et, si la tendance continue, un habitant sur quatre du pays sera syrien. Le président Michel Sleiman a interpellé la communauté internationale à maintes reprises sur «l’incapacité du Liban à faire face à cet afflux massif en provenance de Syrie». Dans son rapport hebdomadaire sur la situation des réfugiés syriens au Liban, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a fait état de la présence «de plus de 716 000 Syriens» enregistrés auprès d’elle, dont «55 000 qui se sont enregistrés au cours du dernier mois». Une population qui pèse lourdement sur l’économie libanaise. Un récent sondage montre que 82% des Libanais estiment que les Syriens leur volent leurs emplois.

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