En poste à Beyrouth depuis septembre 2010, la mission d’Aurélien Lechevallier, directeur de l’Institut français du Liban, s’achève après trois ans d’engagement culturel dans un pays où «l’art sonne comme une célébration de la vie, dans un pays où rien ni personne ne devrait empêcher les artistes de s’exprimer», selon ses propres dires. Avant de s’en aller, le futur conseiller diplomatique de Nicolas Hulot, envoyé spécial de la présidence de la République, répond aux questions de Magazine.
Votre mission au Liban prend fin prochainement. Quelle impression vous a laissée cette expérience?
Je garderai de mon expérience au Liban un souvenir inoubliable. Le pays, son histoire qui continue de s’écrire au quotidien, sa culture effervescente et plurielle m’ont séduit dès mon arrivée, sans oublier l’accueil et l’hospitalité légendaires (et ce n’est pas un mythe!) des Libanais. J’ai eu la chance de tisser des liens privilégiés avec les partenaires de l’Institut français (IF), des partenaires qui sont, avec le temps, devenus des amis très chers. Etre directeur de l’Institut français du Liban est un honneur, mais c’est aussi une grande responsabilité, compte tenu de la place qu’occupe cette institution dans le paysage culturel libanais. Notre but est non seulement de faire rayonner la France à l’étranger, mais surtout de nous mettre au service des Libanais, de tous les Libanais.
Quel est le projet que vous avez réalisé au Pays du Cèdre et qui vous laissera longtemps fier?
Il n’y a de fierté que partagée! Nous avons su travailler dans un esprit de partenariat, pour rendre nos projets aussi productifs et fructueux que possible.
C’est notamment le cas dans le domaine de l’éducation et je veux saluer l’engagement de tous les professeurs et éducateurs, dans le réseau des écoles françaises et dans tous les établissements francophones: ils font un travail magnifique. Je suis fier de toutes les réalisations de l’IF qui auront un impact durable, mais aussi de tout le travail accompli par de magnifiques initiatives franco-libanaises…. La mobilisation du personnel des Instituts français, dans toutes les régions, tient une place essentielle dans la réussite de nos projets. Nous travaillons en équipe pour offrir, tout au long de l’année, une programmation riche et variée, et ce, malgré la situation sécuritaire dans certaines régions.
L’IF mène une action continue avec des «temps forts» qui sont des rendez-vous réguliers. Le Salon du livre en est un.
Enfin, je souhaite parler d’une action née de la situation régionale: le Liban accueille généreusement, depuis deux ans, les réfugiés contraints de fuir la guerre en Syrie, mais les pouvoirs publics n’ont pas les capacités de faire face, seuls, aux conséquences d’un tel afflux. Près de la moitié de ces réfugiés au Liban sont des enfants dont une grande partie ne peut pas aller à l’école. Leur scolarisation est une priorité du gouvernement, mais leur intégration au système éducatif libanais, où le français et l’anglais sont des langues d’enseignement, pose problème, car ces enfants ne connaissent pour la plupart que l’arabe. Le ministère de l’Education libanais a fait appel à la France et au Royaume-Uni pour lever cet obstacle et permettre à tous les enfants de suivre ensemble la leçon. L’IF et le British Council ont constitué des équipes d’experts binationales, qui travaillent conjointement à l’élaboration de programmes accélérés d’apprentissage des deux langues. Ce projet complexe et ambitieux est rendu possible par les efforts du ministère libanais, de la France et du Royaume-Uni et, enfin, de l’Union européenne, qui finance l’impression de manuels adaptés. Nous travaillons de concert pour permettre à tous les enfants d’aller à l’école.
Quel autre projet auriez-vous voulu achever sans vraiment pouvoir y arriver?
La France est engagée dans la consolidation de l’Etat au Liban. Dans le cadre de la coopération entre les collectivités territoriales, à la demande du Liban, l’IF mène une réflexion sur un programme de formation des élus et des agents municipaux. Grâce à ces échanges, le Liban devrait trouver les moyens de renforcer ses structures et d’améliorer leur fonctionnement, afin de gagner en crédibilité et de perfectionner l’accès aux services publics. Nous espérons bientôt organiser des visites d’élus libanais en France; conférences et séminaires devraient permettre un partage fructueux des expériences et des compétences.
Dans un autre domaine, nous avons lancé, l’an dernier, en partenariat avec la banque d’investissements FFA, un programme d’incubation de films pour de jeunes Libanais, baptisé «programme LUX». Dans un pays où l’industrie du cinéma a peu de moyens malgré ses ambitions grandissantes, malgré aussi la notoriété de nombre de ses films et de ceux qui contribuent à les faire (réalisateurs, interprètes…), l’IF s’est proposé de suivre et d’accompagner de jeunes cinéastes dans la réalisation de leurs projets. Ce programme me tenait à cœur même si, en le lançant, je savais que je ne pourrai pas voir ces films réalisés avant de quitter le Liban.
Comment évaluez-vous le niveau culturel du Liban?
Il est élevé, même si l’éducation artistique et culturelle devrait être soutenue et renforcée à l’école dès les plus petites classes. Les artistes libanais regorgent de projets et les Libanais n’attendent qu’une chose: les découvrir. C’est ce que démontre le succès rencontré par de nombreux programmes de coopération artistique comme la Fête de la musique le 21 juin ou le Festival du printemps dont les places sont gratuites.
Le Liban est un pays où la culture est affaire de passion. Beaucoup de Libanais aiment danser, faire de la musique, aller au théâtre ou au cinéma. Au Liban, l’art sonne comme une célébration de la vie, dans un pays où rien ni personne ne devrait empêcher les artistes de s’exprimer. Mais il faut préserver la diversité des programmations culturelles et faire en sorte que chacun y ait accès. Nous avons un rôle à jouer dans cette offre artistique, et nous devons travailler encore davantage avec nos partenaires européens pour proposer de nouvelles initiatives culturelles. C’est pour cela que je ne parlerais pas de «niveau culturel», mais plutôt de capacité des projets à se structurer, à s’appuyer sur une base technique et financière solide. Au Liban, les pouvoirs publics ne sont pas toujours capables de soutenir les initiatives culturelles. Les acteurs privés investissent dans les projets des artistes, mais leurs actions manquent parfois de cohérence. Malgré une vie artistique trépidante, le paysage culturel libanais reste éclaté.
Avez-vous des conseils pour une amélioration sur le plan culturel?
Non, je n’ai pas de conseils à donner! Je ne peux qu’inviter les partenaires français et libanais à poursuivre leurs nombreuses collaborations. Il est primordial de savoir identifier les besoins de tous les acteurs pour construire, collectivement, de beaux projets. Aujourd’hui, l’IF s’attache particulièrement à renforcer la qualité des enseignements dans les écoles et à la promotion du plurilinguisme. Le rapprochement des centres culturels européens au Liban est aussi l’une des pierres d’angle de notre action. L’IF soutient la recherche scientifique; il encourage la poursuite de réformes structurelles au sein des universités libanaises. Enfin, la France souhaite aider la société libanaise à surmonter les blessures de la guerre, en travaillant à ses côtés à la sauvegarde de son patrimoine et en l’accompagnant dans son travail de mémoire…
Votre successeur vient-il continuer votre programme ou aura-t-il une autre feuille de route?
Le nouveau directeur de l’Institut français aura, comme moi, un plan d’action à suivre, établi par l’ambassadeur de France pour l’année 2013-2014. Celui-ci définit les grandes lignes de la coopération et de l’action culturelles de la France au Liban selon trois axes: promouvoir la langue française et le plurilinguisme, renforcer les capacités de nos partenaires libanais et favoriser les échanges à tous les niveaux entre la France et le Liban. Ensuite, dans les manières de le mettre en œuvre, chacun est libre d’emprunter le chemin qui lui semble le plus approprié! Je ne suis pas inquiet: je sais que mon successeur aura de l’expérience et qu’il sera épaulé par une formidable équipe!
Votre prochaine mission, est-elle dans un pays arabe?
En tant que conseiller diplomatique de Nicolas Hulot, envoyé spécial de la présidence de la République, je travaillerai à la préparation du sommet international pour la protection de l’environnement, qui devrait avoir lieu à Paris en 2015. L’écologie ne connaît aucune distinction de peuples ou de frontières, je travaillerai à l’échelle de la planète. Mais les pays arabes, à travers les enjeux de l’eau et des ressources pétrolières notamment, tiendront une place essentielle dans notre action.
Envisagez-vous de revenir à Beyrouth?
Avec plaisir. Ma mission au Liban a été riche et passionnante; je n’oublierai jamais le bonheur d’avoir pu contribuer à la collaboration franco-libanaise et à l’enrichissement de l’amitié qui unit nos deux pays. Je reviendrai à Beyrouth avec beaucoup de joie, que ce soit pour y travailler à nouveau ou pour profiter des beautés du Liban et y retrouver mes amis.
Propos recueillis par Karla Karkafi Ziadé