Magazine Le Mensuel

Nº 2914 du vendredi 13 septembre 2013

LES GENS

Adel Malek. La passion du journalisme

«C’est le journalisme qui m’a appelé». Ces propos sont ceux du journaliste et analyste politique Adel Malek. Un appel auquel il a répondu présent. Il fut l’un des pionniers de Télé-Liban, présentant d’abord les nouvelles puis le premier talk-show télévisé Sejal Maftouh. Sa courtoisie, ses analyses et un style qui lui est tout à fait personnel, ont fait de lui l’un des grands journalistes de son époque. Portrait.
 

C’est à l’école de Aïntoura, qui a compté parmi ses élèves des noms prestigieux tels que le président Béchara el-Khoury et le Premier ministre Riad el-Solh, que Adel Malek apprend la rigueur et la discipline. Dès l’âge de dix ans, il y est pensionnaire. Il poursuit ses études à l’Université Saint-Joseph. «Fouad Frem Boustany était mon professeur et c’est à ce moment que j’ai commencé à m’attacher à la langue arabe», confie Adel Malek. Il est encore étudiant lorsqu’il fonde la revue Adab el-Taleb. «Devenir journaliste n’était pas une décision mais une vocation. J’ai senti que le journalisme m’appelait», dit-il.
En 1960, il fait ses débuts dans le quotidien al-Jarida dirigé par Georges Naccache. «J’ai été élevé à l’école de Naccache». En 1964, alors que son nom commence à briller, il est contacté par Ghassan Tuéni pour rejoindre an-Nahar. «Il était à la recherche de nouveaux talents pour son journal et m’a proposé de collaborer avec lui». Ses activités sont multiples. Il travaille pour un quotidien, à la télévision et à la radio. «Pourtant, j’ai toujours fait une distinction entre ces trois organes qui possèdent chacun un style qui lui est spécifique. Dans la presse écrite, j’adopte un langage précis, alors qu’à la télévision je choisis un langage simple qui s’adresse à tous les spectateurs indépendamment de leur niveau culturel», souligne le journaliste. A part les nouvelles qu’il présentait sur Télé-Liban, il anime l’émission Sijal Maftouh, des interviews de chefs d’Etat, ministres et hommes politiques libanais et du monde arabe. «C’était la première émission de talk-show, une sorte de magazine hebdomadaire». Adel Malek travaille beaucoup, mais il est très satisfait de ce qu’il fait.
 

La réalisation de soi
C’est avec une grande nostalgie que Adel Malek se souvient de cette époque où le facteur humain avait une grande importance. «Nous n’avions pas toute cette technologie à notre service. Aucune d’elle ne peut remplacer le facteur humain. Nous écrivions les nouvelles à la main et nous subissions la censure de la Sûreté générale et du représentant du ministère de l’Information», dit-il. Raison pour laquelle il lui arrivait souvent d’improviser en direct. «Seules les informations concernant le président du Conseil étaient autorisées, le reste passait par la censure. A l’époque,  j’improvisais beaucoup. La relation de confiance qui existait avec le téléspectateur nous obligeait à lui dire la vérité et ce qui se passait exactement». Pour Adel Malek, le journalisme est une profession où il n’y a pas de juste milieu. «On peut se cacher derrière un article qu’on écrit, mais à la télévision on est à découvert devant le téléspectateur. J’ai adoré cette profession dans laquelle je voulais me réaliser. Cela a toujours été mon but et ça l’est encore».
1975: le tournant
Au début des événements de 1975, Adel Malek rencontre le président égyptien Anouar Sadate au cours d’un entretien qui s’est prolongé fort tard dans la nuit. Avec humour, Malek raconte comment Sadate, voulant rassurer la personne chargée de sa protection, lui dit: «Ne vous en faites pas mon fils. Adel est armé d’un crayon pas d’un pistolet». Les nouvelles étaient atterrantes. «Sadate m’a annoncé tout ce qui allait se passer au Liban. J’avais l’impression qu’il lisait comme dans un livre ouvert. Je ne pouvais pas ignorer toutes ces informations. J’ai été voir le président Sleiman Frangié dès mon retour et je lui ai répété tout ce que m’avait raconté Sadate. Il m’a assuré que dans deux ou trois mois au plus tard tout serait fini», se souvient Adel Malek. Le coup d’Etat du brigadier Aziz el-Ahdab, le 11 mars 1976, marque le début des divisions. «C’est, de ce jour, que datent les divisions internes, les deux télévisions, la répartition Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest… On travaillait dans des conditions difficiles. Le Liban n’était plus ce qu’il était. Je ne le reconnaissais plus, même la télévision avait changé. Je voyais déjà ce qui allait brûler le pays et j’ai préféré ne pas utiliser la presse pour jeter de l’huile sur le feu», confie Malek qui se sent alors impuissant. Au président Frangié, qui lui demandait de rester, de ne pas quitter le pays, il dit: «Je n’appartiens pas à cette époque. Il y a des gens qui savent insulter mieux que moi. Je serais resté si je pouvais faire quelque chose, mais cette période n’est pas pour moi». La bataille de Tall el-Zaatar avait commencé. En recoupant les informations qu’il détenait et à la lumière des propos tenus par Sadate, il prend la décision de partir.
Entre Londres et Paris, il opte pour Londres plus adaptée pour l’éducation de ses deux enfants, Walid et Rana. «Je pensais que ce serait provisoire et puis finalement j’y suis resté trente et un ans». C’est un nouveau départ pour le journaliste qui se consacre à la réalisation de documentaires et réalise encore une fois une première à ce niveau. Avec Woujouh wa Ahdass, il est le premier à introduire les documentaires dans le monde arabe. «Auparavant, on importait les documentaires et on les traduisait. Mais avec Woujouh wa Ahdass, pour la première fois, un journaliste libanais s’adressait à partir de Londres à un public arabe».
 

Entre information et analyse
Il rencontre les plus grands de ce monde et il est fier de chaque interview réalisée. Pourtant, quelques-unes l’ont particulièrement marqué comme celles du président Richard Nixon évoquant le fameux Watergate, Margaret Thatcher, Indira Gandhi. Sur le plan arabe, il a rencontré le roi du Maroc Hassan II, le président Anouar Sadate, le roi Hussein de Jordanie. «Je ne crois pas qu’il suffit de recevoir une personne célèbre pour réussir une émission. J’avais réalisé un documentaire sur le premier bébé-éprouvette, Lise Brown, entourée de sa famille. Cela avait eu un très grand succès. L’essentiel est de savoir tirer quelque chose de l’interlocuteur». A la suite d’un documentaire sur les méfaits de la cigarette, un grand nombre de gens ont renoncé à fumer.
Adel Malek raconte que lors d’un entretien avec le chah d’Iran en 1979, quelques mois avant la révolution islamique, il lui avait demandé: à quel point je peux être franc avec vous? Le chah a répondu: à 100%. Lorsque le journaliste lui demande «Et vous à quel point le serez-vous avec moi?». Le chah affirme: «A 90% car aucun chef d’Etat ne vous livrera tous ses secrets».
Pour Adel Malek, il existe deux sortes de presse: celle qui construit et celle qui détruit. «La première se limite à transmettre l’information et à donner un point de vue, mais la deuxième catégorie est aujourd’hui la plus forte». Quant à Malek, il se considère objectif jusqu’à l’extrême. «Mon but est de présenter à mon public la vérité. Je ne suis pas engagé et je ne voudrais pas l’être. L’engagement enferme le journaliste dans une certaine atmosphère. Je veux être objectif. Je donne au lecteur ou au téléspectateur la matière sans lui imposer mon point de vue. Toutefois, cela ne veut pas dire que je n’ai pas un avis propre, mais je n’utilise pas la presse pour l’imposer. Je laisse le soin au lecteur de constater par lui-même. Je crois à la dissociation entre l’information et l’analyse. L’information appartient au lecteur et au téléspectateur. Mon avis m’appartient. Il m’arrive de le communiquer, mais je ne l’impose jamais». Dans ses interviews, il se doit de respecter l’opinion des téléspectateurs. «C’est la raison pour laquelle je ne suis jamais complaisant dans mes entrevues. Ma relation personnelle n’intervient jamais dans mes relations professionnelles».

Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub
DR

Ce qu’il en pense
Social Networking: «Cela fait partie 
désormais de la vie. Je suis sur Facebook et Twitter, mais il faut savoir comment utiliser ces moyens».
Ses loisirs: «Mon métier est mon hobby. Je n’ai pas le temps d’avoir d’autres loisirs car ma vie est consacrée à mon travail».
Sa devise: «Si seulement la journée était de plus de 24 heures et l’année de plus de 
365 jours pour pouvoir encore produire et donner plus à un métier auquel j’ai tout 
donné et qui, a son tour, m’a tant donné. Celui qui ne se passionne pas pour cette 
profession ne devrait pas l’exercer. C’est le métier le plus important du monde, malgré le tort que lui font certains».

La Syrie… encore et toujours
A la lumière des derniers bouleversements qui secouent la région, Adel Malek estime que les conditions ne sont pas réunies pour une guerre régionale quelle que soit l’issue des événements en Syrie. «Même si les frappes aériennes ont lieu, il n’y aura pas de 
changement radical en Syrie. En revanche, ce qui s’y passera décidera du sort de toute la région. Si Bachar el-Assad ne peut reprendre le contrôle de tout le pays, il n’aura plus de solution que celle de se contenter d’un Etat alaouite». Selon le journaliste, en cas de conflit, la confrontation ne se limitera pas à l’armée syrienne mais comprendra les alliés de la Syrie: la Russie, l’Iran, le Hamas et le Hezbollah. «Il n’est pas encore temps 
d’anéantir le régime syrien. Personne n’a cru que le régime tiendrait autant et, aujourd’hui, Bachar el-Assad n’est pas seulement une 
partie du problème, il fait partie de la solution».

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