Les attentats ayant visé la banlieue sud y font prévaloir un climat de paranoïa où le Hezbollah, sur le pied de guerre, a renforcé la sécurité par de multiples barrages contrôlés par ses militants… souvent de simples adolescents. Ces mesures semblent s’étendre rapidement au reste du Liban avec de nouveaux périmètres sécuritaires émergeant dans de nombreuses municipalités.
Au début du mois de septembre, une équipe de télévision étrangère est interpellée par deux membres du Hezbollah lors d’une entrevue avec un politologue connu, dans ses bureaux, situés sur l’ancienne route de l’aéroport. On exige leurs papiers d’identité et la présentatrice qui demande aux militants les leurs se voit répondre sèchement: «Tu te crois où ici? C’est le Hezbollah qui gouverne à Dahié, nous n’avons pas à vous montrer nos cartes du parti», rapporte la présentatrice qui préfère garder l’anonymat.
Ce type d’incident a tendance à se répéter de plus en plus souvent. La semaine passée, un échange de tirs a opposé des membres du puissant clan Chamas aux militants du Hezbollah, dans la banlieue sud de Beyrouth. Les motifs de l’accrochage? L’arrestation de Hussein Chamas à un barrage du Hezbollah, ce dernier n’ayant en sa possession que sa carte du Conseil supérieur chiite et celle de l’Union des journalistes arabes. Le journaliste travaille à la station de radio al-Rissala, ainsi qu’au bureau d’informations du Conseil supérieur chiite. Au barrage, on profère des insultes à son encontre. Il n’est libéré que quelques heures plus tard, après l’intervention de dirigeants d’Amal et du Conseil supérieur chiite.
Après Chamas, c’est au tour de Maha Rifaï, une autre journaliste, d’être victime des tribulations du Hezbollah. Cette dernière a été arrêtée à un barrage dressé par le parti à Chiyah. Ayant demandé les raisons pour lesquelles les militants gardaient ses papiers et requis la présence des membres des Forces de sécurité intérieure, on la traite «d’animale» en se prévalant «d’être l’Etat».
Le secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, a justifié cette situation d’autosécurité par la faiblesse de l’Etat, les chefs des services de sécurité leur ayant clairement signifié qu’ils ne pouvaient pas protéger la banlieue sud car ils n’en avaient pas les moyens. «Le Hezb admet que la sécurité, la justice et l’administration sont des responsabilités qui relèvent de l’Etat, et le Hezbollah a été le premier à rejeter (l’idée) d’une administration civile». «Nous n’avons jamais essayé de remplacer l’Etat, mais deux explosions ont eu lieu dans la banlieue sud et les autorités officielles nous ont prévenus que d’autres attentats se préparaient. Que pouvons-nous faire en attendant? Pouvons-nous laisser nos régions en danger? Nous nous sommes portés volontaires pour empêcher le passage de voitures piégées, et cela est un grand sacrifice pour le Hezbollah», assène le cheikh Nabil Kaouk.
Dans d’autres régions aussi
Cette thèse semble de plus en plus défendue par les représentants municipaux des diverses régions libanaises. Ainsi, plusieurs localités à l’instar de Saïda, de Btekhnay et de Beyrouth ont choisi d’armer la police municipale, dont 1 700 membres de la police de la capitale. Selon le maire de la municipalité de Betkhnay, Hamad Aboul-Hosn, les membres de la police locale seront formés par les Forces de sécurité intérieure durant trois mois. Plusieurs municipalités du Metn sont également en passe d’obtenir des subventions de certains habitants dans le but d’équiper les communautés de caméras, notamment dans les centres d’estivage, abandonnés pendant l’hiver et souvent en proie à du vandalisme et de malfaisance.
Ces nouvelles mesures seraient-elles annonciatrices de la période à venir? D’une nouvelle phase dominée par l’absence de l’Etat conjuguée à l’hégémonie montante des partis, avec en toile de fond des périmètres de sécurité où la loi de la rue prévaut et non celle du droit…?
Mona Alami
Journalistes contre la violence
L’ONG Journalistes contre la violence a dénoncé l’arrestation de journalistes par des militants du Hezbollah, accusant ce dernier d’avoir «dépassé toutes les lignes rouges». Dans un communiqué publié dans la presse, Journalistes contre la violence a constaté que le Hezbollah est passé de la «logique du fait accompli du mini-Etat à celle de l’Etat dans toute sa splendeur, en humiliant le peuple libanais à ses barrages sous le prétexte de protéger ses régions. Tout le Liban est victime des attentats, mais aucune région n’a eu recours aux mesures arbitraires prises par le Hezbollah dans la banlieue et ses alentours».
Justifications et dénonciations
L’installation de barrages par le Hezbollah a été défendue par d’autres responsables du parti. Le président du comité exécutif du Hezbollah, Hachem Safieddine, a déclaré que «le Hezbollah est contre la sécurité privée, mais il se doit de s’opposer au fait que l’Etat prend à la légère la sécurité des citoyens». Pour sa part, le député Hassan Fadlallah a qualifié les propos des membres du 14 mars, d’«immoraux» et d’«antinationaux» lorsqu’ils ont dénoncé les mesures prises par le Parti de Dieu. «On croirait même que les forces du 14 mars veulent que le sang coule dans la banlieue sud», a-t-il affirmé. Le responsable de la région de la Békaa du Hezbollah, l’ancien député Mohammad Yaghi, a affirmé: «Nous connaissons nos agresseurs qui envoient des voitures piégées en banlieue et tirent des roquettes sur la Montagne, et nous ne resterons pas silencieux face à ces attaques terroristes».
Ces propos ainsi que ceux du cheikh Naïm Kassem ont suscité un tollé au sein du 14 mars. Le député des Forces libanaises, Joseph Maalouf, a estimé que «Kassem appelle ouvertement et franchement à la sécurité privée sur le territoire libanais». Le député du Courant du futur, Ammar Houry, a accusé Naïm Kassem de vouloir «occulter la vérité, celle selon laquelle le Hezbollah a empiété sur les prérogatives de l’Etat et sur son prestige».
Les réseaux de la discorde
Des travaux de réfection, entrepris par des éléments du parti, au réseau de
communication du Hezbollah, ont été
stigmatisés cette semaine. Des militants en tenue civile auraient été vus en train
d’installer des câbles dans la région de Zahlé dans le prolongement de l’axe de Tarchich, ce qui a provoqué un mouvement de protestation dans la ville de la Békaa où des jeunes sont descendus dans la rue pour dénoncer «la présence d’éléments armés sur le chantier». Le président de la municipalité de Zahlé, Joseph Maalouf, a affirmé que le réseau était une installation datant de près de cinq ans, «couplée à des canalisations d’eau et bénéficiant d’une autorisation du conseil municipal qui siégeait à l’époque». Le bloc des députés de Zahlé a estimé, dans une conférence de presse, que l’installation de ce «réseau sécuritaire s’inscrit dans le cadre des écoutes qu’effectue le Hezbollah en
violant la vie privée des citoyens». Les
députés se sont également interrogés sur «l’utilité militaire d’un tel réseau installé à Zahlé», avant d’affirmer qu’il s’agissait d’un prétexte pour envahir le domaine public et provoquer des tensions sécuritaires. Les Kataëb ont souligné, dans un communiqué, «le climat trouble suscité par le régime de l’autosécurité, que ce soit au niveau de la réputation du Liban à l’extérieur ou à celui de la relation ambiguë (du Hezbollah) avec les forces de l’ordre». Les six individus qui effectuaient les travaux à Zahlé ont été arrêtés par les services de renseignement de l’armée, avant d’être relâchés après un interrogatoire. Le Hezbollah, a lui, gardé un mutisme absolu sur l’affaire (Voir page 30, les 3 questions au député Elie Marouni).