L’intégrité morale et la liberté d’esprit imposent d’appeler les choses par leur nom. Aucun honnête citoyen n’accepterait d’être humilié à un barrage par des adolescents qui se croient investis de tous les pouvoirs pour la simple raison qu’ils appartiennent au Hezbollah. Aucune personne digne n’accepterait, après une dure journée de labeur, d’être apostrophée par un inconnu qui lui demande d’exhiber sa carte d’identité ou de montrer les papiers de sa voiture, sans détenir un mandat légitime lui autorisant cette indélicate intrusion dans la vie d’autrui. La sécurité est l’une des principales responsabilités de l’Etat, qui en détient le monopole exclusif. La transformer en affaire privée ouvre la voie à la loi de la jungle. La fermeture de routes, l’installation de voitures de surveillance banalisées, la mise sur pied de services de sécurité partisans, sont des pratiques inacceptables. Il ne manquait plus que les tribunaux improvisés… Nous ne souhaitons même pas écouter les arguments du Hezbollah ou en discuter la pertinence. C’est à l’Etat de protéger ses citoyens. Personne n’a le droit de s’autoproclamer justicier ou gendarme de la nation. C’est avec les autorités compétentes qu’il faut réfléchir à des solutions pour lutter contre les voitures piégées. Un point c’est tout!
Cette intégrité morale nous pousse à regarder, d’un même œil, tout ce qui se passe autour de nous et à utiliser la même échelle de valeurs et les mêmes outils de mesure pour exprimer un avis ou porter un jugement. L’engouement de certains hommes politiques à surenchérir dans l’affaire de l’autosécurité, alors qu’ils avalent leur langue face à d’autres sujets, est plus amusant que révoltant. Toujours prêts à dénoncer les abus, les excès ou les erreurs du Hezbollah, ils s’enferment dans un silence suspect quand il s’agit de commenter d’autres phénomènes bien plus graves. C’est tout aussi vrai pour ceux qui font semblant de ne pas voir les barrages de la banlieue sud et concentrent leurs critiques sur tout le reste.
Pour les illustres défenseurs de la souveraineté de l’Etat, l’afflux incontrôlé de réfugiés syriens et palestiniens ne constitue-t-il pas un sujet qui méritait de leur part un petit commentaire, ne serait-ce que pour la forme? Pourquoi sont-ils absents sur cette question qui représente, de l’avis de sérieuses institutions internationales, un danger existentiel pour le Liban? Attendent-ils que le nombre de Syriens atteigne 2,3 millions d’individus début 2014, comme le prévoit un rapport de l’Escwa, pour sortir, enfin, de leur torpeur? Il sera alors trop tard.
Pourquoi ces mêmes chevaliers de la table ronde évitent-ils d’évoquer la présence du Front al-Nosra au Liban? Pourtant, nous sommes prêts à parier qu’ils savent que cette organisation, affiliée à al-Qaïda, dispose désormais d’une structure organisée et de centres d’entraînement dans certaines régions libanaises et dans plusieurs camps palestiniens de Beyrouth, du Liban-Nord et du Sud. Ce sont des rapports de services de renseignements occidentaux, et non pas russes, qui l’affirment. Attendent-ils que les éviscérateurs, les mangeurs d’hommes, les coupeurs de têtes et les trancheurs de gorges, importent leur «révolution» au Liban avant d’ouvrir la bouche? Ce sera alors pour supplier ces désaxés d’épargner leur vie. Encore faut-il espérer qu’ils ne tomberont pas sur les ravisseurs tchétchènes des deux évêques d’Alep; il paraît qu’ils ne parlent pas un mot d’arabe… et encore moins le français ou l’anglais.
Paul Khalifeh