Tous les regards du Hezbollah, du 14 mars et de leurs alliés sont tournés vers Michel Sleiman. Déterminé à agir afin d’éviter le vide gouvernemental et présidentiel, le chef de l’Etat, de retour de New York, s’est donné quelques jours pour trancher.
Dans un entretien publié en début de semaine au Figaro, le président de la République prévient: «J’estime que la chance donnée à la formation d’un gouvernement consensuel a trop duré. D’ici à début octobre, le Premier ministre désigné, et moi-même, formerons un gouvernement. Il faut un pouvoir exécutif légitime en place, en prévision de l’élection présidentielle de mars à mai prochain». Dans ses trois phrases, multitude de messages. Le principal est ferme: Michel Sleiman, garant des institutions, siffle la fin de la récréation. La normalisation diplomatique du conflit syrien a remis le Liban et ses représentants politiques face à leurs responsabilités. Voilà pour le contexte. L’autre message est politique et plus subtil. La première phrase est à double sens. Le chef de l’Etat explique que les partis ont gâché l’occasion qui leur a été donnée de former par eux-mêmes, par consensus, le prochain gouvernement. Faut-il comprendre dès lors que le président et le Premier ministre ont décidé de prendre la main en formant un gouvernement sans l’assentiment des partis politiques?
Fait accompli «soft»
Sur ce plan, leur conviction est faite depuis plusieurs jours: la seule solution est de forcer le consensus. En clair, Sleiman et Salam estiment qu’un gouvernement de 24 ministres, composé de huit ministres issus des pôles du 8 mars, du 14 mars et des centristes, est la formule la plus équitable possible. La représentativité politique du pays est respectée, le tiers de blocage dilué et le vide est évité. Problème majeur, tous les partis politiques sans exception ont, au moins, une raison de contester l’idée d’un gouvernement imposé d’en-haut. Le Hezbollah en a au moins deux.
Ce week-end, Mohammad Raad a rappelé les exigences de son parti sur le sujet. Un, la formation unilatérale d’un gouvernement, sans l’accord des partis politiques, est exclue. Le président du Parlement Nabih Berry a déclaré que la formation d’un tel gouvernement «ne fonctionnerait pas». «Elle saperait le dialogue et les possibilités d’une solution». Deux, prenant appui sur l’article 95 qui prévoit une représentation équitable de toutes les communautés au sein du gouvernement, le chef du bloc parlementaire du Hezbollah a expliqué que le futur cabinet devait respecter le poids parlementaire de chaque bloc.
Dans sa dernière allocution télévisée, Hassan Nasrallah est entré plus en détail sur l’idée mise sur la table. «En vérité, la formule des trois huit n’est pas celle qui nous est proposée. Le Premier ministre appartient au bloc du 14 mars et il a droit à un ministre qui devra s’engager envers lui et donc doit être lui aussi du bloc du 14 mars. Autrement dit, le bloc du 14 mars aura dix ministres, celui du président de la République et de Walid Joumblatt aura droit à six, et le bloc du 8 mars avec toutes ses forces politiques n’aura le droit qu’à huit ministres. Le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, a d’autres griefs à adresser, notamment au camp qui s’oppose à lui, ironisant sur sa stratégie.
Antagonisme persistant
«Dès le premier jour de la désignation de Tammam Salam au poste de Premier ministre, le Courant du futur a refusé que le Hezbollah entre au gouvernement, il a invoqué ensuite la formation d’une équipe de technocrates qui implique la marginalisation de toute force politique libanaise. Puis, il y a quelques jours, le Courant du futur et le bloc du 14 mars ont changé d’avis et acceptent désormais la participation du Hezbollah, mais sous deux conditions: supprimer le droit de veto du tiers du cabinet et de la déclaration ministérielle l’équation peuple-résistance-armée. Pourquoi perdent-ils le temps des Libanais en sabotant la formation du gouvernement?».
Le leader du Courant patriotique libre (CPL), Michel Aoun, concentre, lui, ses attaques contre Tammam Salam. «Si le gouvernement n’a pas encore vu le jour, ce n’est pas à cause des conditions posées par les autres parties, mais à cause de celles qu’a définies le Premier ministre désigné qui a ignoré toutes les règles et la légalité. Il cherche à créer des problèmes. Qu’il aille donc former un gouvernement avec al-Nosra, et on verra alors qui lui accordera la confiance».
En vieux sage, le leader du PSP, Walid Joumblatt, coupe la poire en deux. «Certaines forces politiques libanaises ne doivent pas commettre des erreurs de calcul et ne pas miser sur des bouleversements des équilibres internes. Il faudra envisager le dossier gouvernemental avec le plus possible de souplesse et de réalisme».
Normalisation à petits pas
Du côté du 14 mars, on est dans l’attente. Après avoir multiplié les mises en garde et les conditions pour amorcer un retour à la normale institutionnelle, la coalition semble lâcher du lest, notamment sur l’initiative de Berry que tous, ou presque, ont décidé d’accompagner; les uns avec espoir, les autres avec méfiance.
Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, déclare: «Puisque toutes les parties ont appuyé l’initiative de Nabih Berry de s’asseoir à la table de dialogue, qu’elles relancent donc le dialogue, et nous avaliserons, malgré notre absence, tout ce qu’elles décideront dans le cadre de la Constitution et des lois». Une position qui tranche d’ailleurs avec celle des Kataëb, visiblement plus positifs. Autre prise de position, celle du Courant du futur par la voix du député Ahmad Fatfat: «les conditions rédhibitoires, posées par le Hezbollah, sapent les fondements du dialogue du fait que le parti rejette tout dialogue autour de ses constantes».
Faut-il comprendre la bipolarité des positions du Courant du futur, qui donne sa chance aux initiatives du moment, comme une fenêtre ouverte par l’Arabie saoudite, par lequel le président Sleiman devait faire le détour avant son retour au Liban?
De l’autre côté du spectre politique, faut-il interpréter le déploiement de l’armée et des FSI dans la banlieue sud comme une concession politique, à lier au dossier gouvernemental?
En forçant le consensus, Michel Sleiman, qui jouit d’une formidable cote de sympathie dans le concert des nations, prendrait un gros risque politique, notamment face aux cadres du 8 mars et ses alliés, d’autant que pointe à l’horizon l’échéance présidentielle qui donne inévitablement une autre tonalité quant à ses intentions. Le chef de l’Etat est confronté au même choix depuis des mois, l’impératif institutionnel face à la paix politique.
Julien Abi Ramia
4e report de la séance parlementaire
C’est encore une fois partie remise. Faute de quorum, le Parlement n’a pas pu se réunir hier et le président de la Chambre, Nabih Berry, a dû reporter pour la quatrième fois consécutive la réunion qu’il avait convoquée. Comme les trois dernières fois, ce sont les députés du 8 mars et du bloc de Joumblatt qui ont été au rendez-vous Place de l’Etoile. Ceux du 14 mars ont
boycotté la réunion, tout comme leurs
collègues du bloc du Changement et de la Réforme. Ils soulignent que le Parlement ne peut légiférer alors que le gouvernement est démissionnaire, ce qui constituerait selon eux une entorse grave à la Constitution. Berry estime que la Chambre est souveraine pour fixer l’ordre du jour sur lequel figurent 45 points.