Depuis lundi, une force mixte s’est déployée dans la banlieue sud pour y assurer le contrôle des entrées et la sécurité, jusque-là pris en charge par les hommes du Hezbollah. Cette reprise en main par l’Etat a été accueillie d’un bon œil par la classe politique.
Il est environ 15h, lundi après-midi, quand le grand déploiement commence. Sur l’ancienne route de l’aéroport et aux entrées de Ghobeiry et Mar Mikhaël, les militaires de l’Armée libanaise, accompagnés d’éléments de la FSI et de la Sûreté générale, prennent successivement le contrôle des barrages tenus jusque-là par des hommes du Hezbollah. Le tout sous l’œil attentif du ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel et de quelques journalistes. Tout au long de l’après-midi, des scènes similaires se répèteront, cette fois aux entrées de la banlieue sud. Les check-points, érigés il y a un mois par les forces du Hezbollah, en réponse aux attentats de Bir el-Abed et Roueiss, qui ont endeuillé la banlieue sud, sont désormais tenus par une force mixte, sous contrôle de l’Etat. Une force mixte de quelque 850 hommes, issus de l’Armée libanaise, de la Sûreté générale (SG) et des Forces de sécurité intérieure (FSI).
La banlieue sud est donc désormais sous contrôle de l’Etat.
Les contrôles effectués par les hommes du Hezbollah avaient été plusieurs fois dénoncés tant par la classe politique que par des Libanais qui s’insurgeaient contre cet état de fait, rappelant les tristes heures de la guerre civile. Le 9 septembre dernier, un contrôle avait même dégénéré en heurts armés avec des réfugiés palestiniens, causant un mort et quatre blessés.
La classe politique salue
L’autosécurité qui sévissait dans la banlieue sud a donc pris fin. Successivement lundi, les hommes du Hezbollah ont laissé la place aux membres de la force armée conjointe, dans les 44 points de contrôle qu’ils avaient érigés. Le soir même, vers 20h, le premier déploiement était donc achevé avec succès, sans heurts, quelques habitants accueillant même les forces armées par des jets de riz et de pétales de roses. Mardi et mercredi, le déploiement s’est poursuivi et devait engager au total quelque 2 400 hommes.
Du côté des habitants, des sentiments paradoxaux se font ressentir. «Nous sommes contents de ce déploiement, mais il faudra voir sur le long terme s’il est vraiment efficace dans ses contrôles», avance, sceptique, Ali, qui avoue à demi-mot, être inquiet d’éventuels nouveaux attentats dans la banlieue. Fatmé, en revanche, estime que «c’est bien que l’Etat assure enfin notre sécurité, c’est plus logique, même si je me sentais en sécurité aussi avec les combattants de la Résistance».
Marwan Charbel, lui, se veut rassurant quant à la suite des événements. «Le Hezbollah n’a aucun droit de regard sur les FSI et l’armée», a-t-il indiqué, demandant simultanément de ne pas «jeter tout de suite le soupçon les uns sur les autres».
La classe politique dans son ensemble a salué la fin de l’autosécurité en vigueur dans la banlieue sud. A commencer par sayyed Hassan Nasrallah, qui, le soir même, alors que les derniers éléments de la force mixte finissaient de prendre le contrôle des barrages de la banlieue sud, a prononcé un discours dont le timing tombait à point nommé. Le leader du Hezbollah a appelé «tous les habitants de la banlieue, les passants et les visiteurs à coopérer au maximum». Saluant le plan sécuritaire, il s’est toutefois défendu des critiques, en soulignant que si «le Hezbollah a pris lui-même des mesures de sécurité, sans jamais avoir toutefois en tête de se substituer à l’Etat (…) Il a déployé ses hommes sur le terrain dans le seul but d’empêcher l’entrée de nouvelles voitures piégées dans la banlieue sud, mais il n’a cessé de solliciter l’Etat pour qu’il assume pleinement ses responsabilités». A ses opposants qui ont maintes fois dénoncé l’autosécurité, le sayyed a estimé qu’«on dirait presque que ceux qui formulaient ces critiques étaient heureux des explosions de la banlieue et de Tripoli. Il est de toute façon malheureux que la rancœur puisse aveugler à ce point».
Souhaitant que ce plan sécuritaire s’applique sur «l’ensemble du territoire libanais», il a indiqué, à l’attention des forces déployées dans la banlieue sud, que «Amal, le Hezbollah et les habitants de la banlieue ont mis leurs vies entre vos mains, et ils vous confient ainsi ce qu’ils ont de plus cher…».
Au préalable, dans la journée, Mohammad Raad, un des ténors du Parti de Dieu, avait déclaré que le «Hezbollah est le premier à saluer la décision des agences de sécurité de l’Etat d’assurer leur mission dans la banlieue sud». Dans les rangs de la classe politique, plusieurs voix se sont élevées pour témoigner de leur satisfaction de voir Dahié rentrer dans le giron de l’Etat. Le parti kataëb a ainsi salué un «début encourageant», tandis que le bloc parlementaire du Courant du futur estimait que ce déploiement constituait «un aveu de la part du Hezbollah de l’échec de l’autosécurité et de la nécessité d’avoir recours à l’Etat». «C’est une démarche positive qui doit être appliquée dans toutes les régions libanaises, a encore souligné le Moustaqbal, dans un communiqué qui a appelé le gouvernement à l’application «intégrale» du plan sécuritaire. Dans les rangs du Futur, plusieurs voix, dont celle d’Ahmad Fatfat, se sont interrogées sur l’indépendance des effectifs envoyés à Dahié.
Les chiites minoritaires
Le secrétariat général du 14 mars a également indiqué dans son communiqué hebdomadaire que «le plan sécuritaire de la banlieue sud devrait être le point de départ de la prise en charge par l’Etat de toutes les armes à travers le Liban».
Le chef du Parlement et du mouvement Amal, Nabih Berry, a, pour sa part, réaffirmé sa confiance «dans la légitimité de l’Etat», assurant d’une pleine coopération et prévenant que la «sécurité est un lourd fardeau». Il a également regretté que certains, dans l’opposition, évoquent un droit de regard de son parti et du Hezbollah dans la sélection des éléments déployés à Dahié. Des allégations par ailleurs démenties fermement par le ministre de l’Intérieur lui-même qui a assuré que la force conjointe était composée d’éléments «de toutes les confessions, sans pressions politiques, les chiites étant minoritaires».
Jenny Saleh
Qu’en pense Ahmad Fatfat?
Le député du Courant du futur, Ahmad Fatfat,
commente le plan de sécurité de la banlieue sud.
Etes-vous satisfait du déploiement de la force mixte à Dahié?
C’est un acte très positif en faveur de l’Etat et une défaite de l’esprit de milice. Cependant, je m’interroge sur la façon dont cette force mixte pourra exercer son rôle pour assurer la sécurité, l’ordre, la loi. Est-ce que cela permettra d’arrêter les personnes recherchées par le Tribunal international spécial pour le Liban ou encore le suspect de la tentative d’attentat contre Boutros Harb? J’ai été un des premiers à tirer la sonnette d’alarme. Et j’ai eu une discussion à bâtons rompus avec le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, qui m’a assuré que si cette force ne pouvait pas travailler en toute indépendance et en toute sérénité, elle se retirera.
Qu’avez-vous pensé du discours de Hassan Nasrallah à ce sujet?
Il est intervenu au bon moment, le soir même, pour tenter d’expliquer à son «public» que ce n’est pas une défaite pour le Hezbollah, mais une victoire. Mais en même temps, il a reconnu qu’il se soumettait à l’Etat, donc c’est plutôt positif.
Seriez-vous favorable au déploiement d’une force similaire à Tripoli et dans l’ensemble du Liban?
Bien sûr, à Tripoli, comme à Saïda, Beyrouth, etc. Je suis favorable au désarmement complet de toutes les forces libanaises armées, depuis deux ans déjà. Nous préfèrerions vraiment que ce soit des forces de l’armée ou de la gendarmerie qui prennent position partout. Quand il y a une couverture politique, il ne faut pas de grandes forces et s’il n’y a pas assez d’effectifs, nous pouvons toujours recruter.
Propos recueillis par J.S.