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Nº 2919 du vendredi 18 octobre 2013

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POLITIQUE

Attentat du Drakkar. Trente ans après, le souvenir encore vivace

Trente ans après l’attentat du 23 octobre 1983 qui a fauché la vie de 58 parachutistes français, du concierge libanais de l’immeuble et de sa famille, le ministre délégué aux Anciens combattants, Kader Arif, était à Beyrouth pour présider une poignante cérémonie du souvenir, en présence de proches des victimes.
 

«Morts pour la France». Grandes sont les nations qui rendent hommage à celles et ceux qui sont tombés pour elles. Sur la place d’armes attenante à la Résidence des Pins, pas de décorum, ni d’artifices, juste le fronton en marbre blanc frappé des noms des valeureux tombés au champ d’honneur et le drapeau tricolore, droit et fier. Simplicité et solennité. Dans l’assistance, des anciens combattants qui portent haut leurs décorations. A leurs côtés, les officiels, locaux ou étrangers, diplomates ou militaires. Face à eux, les soldats du contingent français de la Finul. Les bérets bleus saluent la mémoire des bérets rouges, sous le regard ému de frères, de sœurs et de proches en larmes. Il est de ces douleurs qui ne s’effacent pas, mais il est de ces invincibles courages qui abattent les souffrances les plus profondes. Les voilà aujourd’hui à Beyrouth, à moins de deux kilomètres du lieu de l’attentat, sur les terres de leur chagrin. Leur regard transperce l’horizon, comme pour traverser l’espace-temps et revenir trente ans en arrière.
«Morts pour la France». La phrase tombe comme un couperet. Elle fend le silence du recueillement à 58 reprises. 58, comme le nombre des victimes de l’attentat contre l’immeuble du Drakkar, le quartier général du contingent français de la force multinationale. Cinquante-cinq paras du 1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP) basé à Pau tombent, les trois autres appartiennent au 9e RCP basé, lui, à Toulouse. Il est exactement 6h24 du matin. Deux minutes plus tôt, un camion piégé explose dans les baraquements du contingent américain à l’Aéroport international de Beyrouth. 241 personnes mourront. Les ambassadeurs des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et d’Italie sont présents, tout comme les représentants du président Michel Sleiman et du commandant en chef de l’armée Jean Kahwaji, que Kader Arif a rencontrés. Quelques mois plus tôt, le ministre français délégué aux Anciens combattants passait le réveillon avec les soldats français de l’Onu. Rattaché au ministère de la Défense, il rappelle le sacrifice des forces françaises pour le Liban.
«Morts pour la France». Kader Arif a salué la mémoire de ces soldats morts, alors qu’ils étaient «venus défendre la paix» au Liban. Exprimant la «reconnaissance éternelle de la nation envers ceux qui sont tombés en son nom», il a aussi rendu hommage à tous les combattants «d’aujourd’hui» et «d’hier», «engagés au péril de leur vie, pour porter (…) les valeurs de tolérance» et de paix. La cérémonie est plus intimiste, mais les mots portent loin. Le devoir de mémoire et l’indéfectibilité des liens entre la France et le Liban, voilà les deux composantes essentielles des deux allocutions prononcées par le ministre français. Il a notamment repris les premiers mots du discours de François Mitterrand, prononcé au lendemain de l’attentat, à son retour du Liban: «A tous, je dis qu’un pays est grand par sa force d’âme, par sa résolution comme par les amitiés et le respect qu’il mérite. La France reste et restera fidèle à son histoire et à ses engagements».

«Morts pour la France». Lorsque le ministre s’avance pour saluer les proches des victimes, l’émotion fleure. L’échange durera de longues secondes. Les larmes, retenues, lèvres serrées, sortent inexorablement. Trente ans n’y changeront rien, le déchirement est toujours aussi douloureux. Tout aussi poignante, cette prière, ce Notre Père récité les yeux fermés, qui fait écho à cette phrase de l’Evangile selon saint Jean, chapitre 15: «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis». Le silence de cathédrale, les notes tristes du cor, le rythme des tambours; la mythologie militaire est traversée par le chant. L’un des plus prisés par les forces françaises stationnées au Liban rend hommage aux victimes du Drakkar. Il s’intitule Ceux du Liban. «La France pleure ses enfants, tombés là-bas au Levant. Nous garderons leur souvenir. Comme eux nous voulons bien servir. Nos anciens du Liban nous précèdent en avant vivant pour le même horizon. Pour la France nous servirons», dit le refrain.
Dans un point de presse, Kader Arif souligne que la France avait «besoin de continuer à renforcer ses liens avec le Liban, quelle que soit la nature de la présence française» dans ce pays. Il a notamment souligné que la France souhaitait «aider le Liban à faire face (…) à l’accueil des réfugiés syriens». «La France n’a pas changé sa position politique à l’égard du Liban ou du Hezbollah et n’intervient pas dans les affaires libanaises», a martelé le ministre, en réponse à une question sur l’invitation d’un député du Hezbollah à un colloque parlementaire à Paris. Arif a réitéré l’importance du Pays du Cèdre aux yeux de la France, laquelle «soutiendra toujours le Liban et appuie le principe du dialogue permanent entre toutes les composantes libanaises». Par ailleurs, il a expliqué que Paris était toujours en faveur d’une solution politique aux crises, mais «exercer la pression [sur Damas] à travers l’option d’une intervention militaire était nécessaire».
Décidément, en trente ans, peu de choses ont véritablement changé.

Julien Abi Ramia

La détresse des survivants
Il y a quelques semaines, Le Monde consacrait un dossier émouvant − Les fantômes du 
Drakkar − aux miraculés de la tragédie. Extraits:
«Pour la quarantaine de survivants de la 3e compagnie, trente ans n’ont rien effacé, bien au contraire. Tous gardent des séquelles 
psychologiques graves. L’un, qui a passé quarante-huit heures dans les décombres, est devenu amnésique. Un autre s’est détruit les neurones par l’alcool et la drogue. Un autre est interné en psychiatrie. Un autre est mort dans un accident de voiture inexpliqué […]. Les 
survivants n’ont jamais eu le moindre suivi psychologique. Leur douleur et leur colère sont toujours là, prêtes à sortir en éruption.»

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