Magazine Le Mensuel

Nº 2919 du vendredi 18 octobre 2013

general

En attendant le train. La gare de Mar Mkhayel respire

Du 11 au 13 octobre, la gare ferroviaire de Mar Mkhayel a été ouverte au public, à l’occasion de l’événement intitulé En attendant le train. Une vingtaine de dessinateurs et graffitistes avaient investi son large mur blanc de leurs couleurs et de leurs formes.
 

Vendredi 11 octobre, en début de soirée, avant que «l’insouciance des nuits beyrouthines» n’enveloppe les noctambules, les rues de Mar Mkhayel grouillaient de piétons, se dirigeant tous vers la même ruelle, la même direction: l’ancienne gare ferroviaire de Beyrouth, fermée depuis des années, inutilisée depuis des années. Mais le week-end dernier, un nouveau souffle de vie l’a ranimée. Un souffle où s’entrecroisent le passé, le présent et l’avenir d’un pays, de toute une génération, de plusieurs générations. Celles qui ont connu l’époque faste du pays, enjambé ses trains, attendu sur ses quais, et celles qui n’en font que rêver, en espérant qu’un jour la donne va changer.
Alors «en attendant le train», la jeune boîte de production Achillea, accompagnée d’une vingtaine d’artistes, a décidé d’investir ce lieu désaffecté, l’espace d’un week-end, du 11 au 13 octobre. Et d’inviter tous les Libanais à les rejoindre dans cette célébration du patrimoine local. «En attendant le train est, selon les organisateurs, un voyage au cœur de la conscience commune, de la représentation des aspirations d’une personne qui attend le train, une exploration de ce qui a été jadis les impressions d’un voyageur libanais lambda. Un train d’idées racontant l’histoire de ceux qui ont arrêté d’attendre, ceux qui sont partis, ceux qui sont restés et n’ont jamais perdu espoir».
 

Et les visiteurs affluent
En attendant le train, et c’est là l’un de ses points forts, a créé le buzz dans la ville, drainant jeunes et moins jeunes, familles et groupes d’amis, des centaines de personnes, tous là pour prendre part à la vie de la ville, à la renaissance de la ville.
Peintres, graffitistes, designers, dessinateurs, une vingtaine d’entre eux ont tenté, chacun à sa manière, avec leur style, avec leurs outils de création, d’attendre le train, en s’emparant d’un pan de mur pour y laisser libre cours à leur inspiration, leurs expressions artistiques, leurs concepts, leurs rêves d’un avenir meilleur. D’un avenir autre. Bombes de peinture et pinceaux, toute la palette de
couleurs, les murs blancs se couvrent de tags et de dessins. Aussi divers, aussi éclectiques, que les teintes et les formes qui éclosent, entre un regard porté vers le passé et un autre vers l’avenir, un pied en Orient et l’autre en Occident, à la lisière des multiples influences de chaque artiste.
Il y a celui qui imagine ce futur et éventuel T.G.V. qui s’épanouit en des formes futuristes sous le regard d’un Libanais arborant le tarbouche et les moustaches traditionnels. Un peu plus loin, l’ancien paysage urbain de Beyrouth, constitué de maisons aux toits rouges, s’oppose à notre environnement actuel fait de béton, mais les deux facettes restent reliées par des rails sur fond de carte géographique du pays. Pour d’autres, c’est l’appel de l’ailleurs qui retentit, entre esprit zen, jeu de temps et quête intérieure, jeu de sens sur le mot train, influence littéraire croisant Blaise Cendrars, Montmartre et la place Rouge de Moscou, ou effluve cinématographique fantasmée à la Tim Burton… De tous les styles, de tous les goûts, les visiteurs s’arrêtent çà et là, le temps de se plonger dans les détails de chaque dessin, de prendre une pose photo en souvenir, de discuter avec les artistes qui expliquent, sourire à l’appui, le concept derrière leur illustration.
Au milieu de cette longue allée de plus de 150 mètres, «le mur des rêves», peint en bleu, invite les visiteurs qui le désirent à esquisser leurs rêves en mots. Une petite foule s’y agglutine. Il y a ceux qui écrivent leurs noms, celui de l’être aimé, ou un message d’amour «je rêve de devenir le rêve d’une autre personne»; d’autres estiment qu’il y a 128 wagons qui doivent s’ébranler ou souhaitent de «toujours marcher en avant pour un meilleur avenir»; d’autres encore emmêlent dérision et frustration sur «le mur des rêves (qui) sera bientôt repeint en blanc»…
Achillea a réussi son pari, redonner vie à la station ferroviaire de Mar Mkhayel, en espérant peut-être un jour attendre le train sur un de ces bancs qui ont été agrémentés eux aussi de cubes de lego ou de roues… Derrière la foule, quelques wagons désaffectés, illuminés par des projecteurs, jettent leur ombre inaltérable, imposante, écrasante, sur cet endroit porteur de tant de souvenirs, de tant d’histoires, de tant de rêves. Plonger dans le passé, oui, certes, mais garder toujours le regard projeté vers l’avant, vers la modernité, dans l’expectative de l’écriture d’une nouvelle page de notre histoire.

Leila Rihani

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