Bien qu’il soit encore un peu tôt pour l’affirmer, certains signaux tendent à indiquer que l’hiver, le plus rigoureux de ces cent dernières années, s’apprête à s’abattre sur le Moyen-Orient et, en particulier, sur le Liban. Au programme, températures nordiques et longs épisodes neigeux.
Tout part d’une carte météo tweetée, le 16 septembre dernier, par le météorologue allemand Dominik Jung avec ce message sibyllin: «Ça fait trembler». Cette carte montre les prévisions pour l’Europe, établies par les services météo en Allemagne, pour l’hiver prochain. Le Vieux Continent est presque entièrement teinté de bleu nuit, couleur qui indique des températures comprises entre -5 et -10°C. Les relevés les plus bas seront enregistrés durant les mois de janvier et de février, et il ne faudra pas s’attendre à un dégel avant le début du mois d’avril. Toutes ces données indiquent un hiver historique. Un avis partagé par le météorologue américain Joe Bastardi, de la plate-forme AccuWeather, qui ajoute que des masses d’air arctiques sont attendues en Europe pour la même période.
Des projections similaires ont été relayées dans toute l’Europe et notamment en Russie où des météorologues ont annoncé, qu’en référence aux couloirs atmosphériques qui la relient à l’Europe centrale, la région orientale de la Méditerranée, de la Turquie au nord de l’Arabie saoudite, en passant par la Syrie et le Liban, devrait connaître, elle aussi, son hiver le plus froid de ces cent dernières années. Quelle valeur donner à ces prévisions?
Le chef du département météorologique de l’aéroport de Beyrouth, Mark Wahibi, se veut apaisant. «Nous n’avons, jusqu’à présent, reçu aucun bulletin international d’alerte indiquant un hiver exceptionnel», dit-il. «De toute façon, il est encore beaucoup trop tôt pour parler de tempêtes de pluie, de neige ou de températures arctiques. Les prévisionnistes sont dans l’incapacité de faire des projections aussi précises à si long terme». Contrairement à ce que peuvent laisser penser les bulletins météo, diffusés sur les chaînes de télévision, les prévisions météo s’avèrent relativement périlleuses. Plus l’on s’éloigne dans le temps, plus elles sont imprécises. La communauté des prévisionnistes estime aujourd’hui que les projections à 24 heures sont fiables à 98%. A trois jours, le chiffre baisse jusqu’à 70% et à une semaine, on passe en-dessous des 50%. En réalité, l’exercice prévisionnel n’est que la partie visible d’un iceberg beaucoup plus solide.
Les climats, tels qu’ils se répartissent sur l’ensemble de la surface de la planète, dépendent essentiellement de quatre facteurs: l’activité solaire, la mécanique atmosphérique, les courants océaniques et les reliefs terrestres. Les données collectées au sol, dans les airs et dans l’espace, ont permis aux scientifiques d’établir des modèles climatiques qui donnent aux prévisionnistes un matériel de travail extrêmement fiable. Ces modèles climatiques sont ensuite transformés en modèles mathématiques, plus précisément en ensembles d’équations dont les résultats sont traités par les prévisionnistes météo. D’innombrables paramètres influent sur le climat. Pour les prévisions à long terme, les spécialistes préfèrent parler de tendances, et les projections indiquant un hiver historique sur le Moyen-Orient reposent sur des données existantes, mais dont les conséquences restent encore floues. Ces observations scientifiques, il faut les chercher à plusieurs milliers de kilomètres au pôle Nord.
Refroidissement climatique
Entre l’été 2012 et l’été 2013, la banquise de l’océan Arctique a gagné près de deux millions de kilomètres carrés, l’équivalent du Groenland. Le signe, pour la communauté scientifique, d’une pause effective du réchauffement climatique, et le début peut-être d’une période de baisse globale des températures. Si ce refroidissement de l’air venait à se confirmer, cette nouvelle masse d’air, sous l’effet de la rotation de la Terre, pourrait se déplacer sur une zone allant de l’Europe occidentale à l’ouest asiatique. Autre donnée macro-scientifique, une diminution continue de l’activité solaire, au plus bas depuis près d’un siècle, comme l’indique Elena Volosiouk, spécialiste du centre météorologique Fobos. Voilà donc de l’air glacial que la faible activité du soleil viendrait renforcer.
Abdel-Rahman Zawawy, chef du service prévision du département météo de l’aéroport, explique que «l’arrivée de masses d’air venues d’Arctique pourrait, par hypothèse, rafraîchir les étés et renforcer les hivers», prévenant toutefois que «ces prévisions à long terme sont incertaines». Que disent les relevés effectués au Liban? Le pays compte sept stations météo agréées à l’échelle internationale. Il faut leur ajouter les huit stations agro-météorologiques de l’Institut libanais de recherche agricole (Lari). Pour son directeur général, Michel Frem, il n’y a pas de panique à avoir. L’institut Arabia Weather ajoute que «les relations entre les manifestations climatiques européennes et ouest-asiatiques ne sont pas prouvées».
Autre indicateur, moins scientifique certes, mais tout aussi visible, le comportement différent des animaux. Les agriculteurs, les chasseurs et les pêcheurs sont de fins observateurs de l’écosystème et certaines de leurs constatations sont effarantes. Depuis quelques années, les marins observent de plus en plus de requins pèlerins au large des côtes libanaises. La prolifération de cette espèce, qui préfère les eaux plus froides du versant nord de la Méditerranée, montre un rafraîchissement sensible des eaux libanaises.
Le pays n’est pas prêt
Les services de l’Etat sont-ils suffisamment armés pour affronter un hiver de type arctique? Certes, les départements météo ont mis en place un système d’alerte par SMS, prévenant les inscrits de l’imminence d’un phénomène météo de grande ampleur, relayés par les médias avec qui ils ont signé des conventions. Mais ces préparatifs restent bien insuffisants. Au mois de mai dernier, à l’occasion de la quatrième session de la Plate-forme mondiale pour la réduction des risques de catastrophes naturelles, le ministre Nazem Khoury affirmait que le Liban n’était pas encore prêt à faire face à ce type d’événements, précisant à ce titre que les dégâts économiques, résultant de ces catastrophes au Liban, étaient estimés à 160 millions de dollars. Faute de ressources techniques et financières.
Bien qu’un plan de réhabilitation de grande ampleur soit en cours d’exécution, le réseau routier libanais reste encore inadapté. En cas de forte chute de neige ou de pluie, les revêtements de mauvaise qualité et l’exécution des œuvres transforment nos routes en patinoire ou pataugeoire. Le réseau électrique de l’Electricité du Liban (EDL) nécessite de nombreux travaux de maintenance, notamment autour de ses centrales de production. Les services de secours manquent de matériel et d’effectifs et le maillage par la Défense civile, qui a la responsabilité des chasse-neige du territoire libanais, laisse à désirer.
Il y a presque un an, jour pour jour, une table ronde sur la création d’une unité de limitation des risques et des catastrophes était organisée au Grand sérail, en présence de responsables sécuritaires, des services de secours et des propriétaires des médias. Les efforts conjoints du gouvernement et du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) pour créer une cellule de crise datent de 2009. Un projet de loi avait été alors transmis par le Conseil des ministres au Parlement. Le projet dort toujours place de l’Etoile.
Julien Abi Ramia
Olga et les précédents
Les moins jeunes se souviendront sans doute des températures record
enregistrées au cours de l’hiver 1982. Une année record en termes de température et de pluviométrie. Même schéma pour l’hiver 1992 où on a enregistré des chutes de quatre mètres de neige à 1 500 mètres
d’altitude. Beaucoup plus près de nous, l’hiver de l’année dernière et surtout celui de cette année, au cours duquel la tempête Olga, venue de Russie, avait enneigé
l’ensemble du pays, même sur le littoral. Pendant une semaine, les températures n’ont pas pu dépasser la barre des 10°C. Dans les régions agricoles, les récoltes ont été tout bonnement fauchées. Tous les cours d’eau du pays sont sortis de leurs lits, causant de nombreux dégâts dans les zones reculées du pays. Pendant une semaine, le pays avait été paralysé.