Tout citoyen est en droit de se poser cette question. Tout étranger, intéressé par le Pays du Nil, s’interroge avec inquiétude sur son destin.
Depuis que le président islamiste, Mohammad Morsi, a été destitué par l’armée le 3 juillet 2013, les attentats contre les forces de sécurité, auxquels n’échappent pas toujours les civils, se succèdent avec une régularité d’horloge. Les Coptes, accusés d’avoir soutenu «ce coup d’Etat militaire» aux yeux de la confrérie, n’échappent pas au jeu de massacre.
Ce dernier week-end a été particulièrement dur. Le samedi 19 octobre, six personnes sont blessées dans une explosion survenue près du bâtiment du service de renseignements militaires à Ismaïliya. Une seconde voiture piégée est découverte dans le voisinage, mais les experts ont réussi à la désamorcer.
Dimanche matin, près de 3 000 étudiants de l’Université d’al-Azhar sont sortis du campus et organisé une manifestation dont les slogans étaient dirigés contre les militaires et leur chef, le général Abdel-Fattah el-Sissi. Certaines voix réclamaient le départ du recteur d’al-Azhar, le cheikh Ahmad el-Tayeb. Les soldats de la brigade antiémeute, très vite présents sur les lieux, ont reçu des jets de pierres. Ils ont riposté par des jets de gaz lacrymogènes. Il n’y a pas eu, assure-t-on, de blessés. Quatre meneurs sont arrêtés.
Un mariage tourne au drame
Le même soir, à la sortie d’une cérémonie de mariage, les invités devisaient gaiement sur le parvis de l’église de la Vierge, située à el-Warak, faubourg au nord du Caire. Soudain, deux hommes montés sur motocyclettes, le visage caché par une cagoule noire, stoppent et tirent sauvagement et aveuglément sur le groupe avant de détaler à toute vitesse. Cette joyeuse cérémonie s’est transformée en drame: quatre personnes sont mortes, dont une fillette de 8 ans, et dix-sept blessés ont été transportés à l’hôpital.
La police est à la recherche des deux hommes armés, tandis que le Premier ministre, Hazem Beblaoui, assure: «Des actes aussi terribles ne parviendront pas à diviser musulmans et chrétiens».
«Les coupables seront retrouvés et châtiés», affirment les responsables du ministère de l’Intérieur. On peut les croire puisque le commandant en chef de l’armée compte éradiquer le terrorisme en Egypte.
Le général Abdel-Fattah el-Sissi, le nouvel homme fort du pays, a juré de se montrer inflexible face aux Frères musulmans et à leurs alliés islamistes. Cinq jours après l’offensive sanglante, lancée contre les manifestants pro-Morsi qui faisaient du
sit-in à Rabia el-Adawiya et dans le quartier an-Nahda, le général a clairement expliqué sa stratégie: «Quiconque imagine que la violence fera plier l’Etat et les Egyptiens doit revoir sa position. Nous ne resterons jamais silencieux face à la destruction
du pays».
Sissi s’exprimait devant un parterre d’officiers, appartenant à l’armée et à la police. Son serment a été accueilli par un tonnerre d’applaudissements.
Très vite, 2 000 activistes de la confrérie sont arrêtés, ainsi que la majeure partie des dirigeants: Mohammad Badie, le guide suprême; Khairat Chater, l’éminence grise et l’argentier de l’organisation; le chef du parti de la Liberté et de la Justice… A la prison de Thora, où se retrouvent les prisonniers de droit commun, ils voisinent désormais avec les deux fils de Hosni Moubarak. En revanche, Mohammad Morsi est détenu en un lieu tenu secret.
Ces arrestations spectaculaires n’ont pas découragé les pro-Morsi. Au Caire et dans les grandes villes, des manifestations plus ou moins pacifiques ont eu lieu chaque vendredi pour réclamer le retour du président destitué. Dans le Sinaï, les attaques meurtrières d’islamistes radicaux contre les forces de l’ordre se sont multipliées début septembre. L’armée a riposté en lançant une offensive d’envergure. Les bombardements étaient quasi quotidiens contre les repaires de jihadistes qualifiés de «terroristes». Des tanks et des hélicoptères Apache sont utilisés.
Rencontre Amr Moussa
et le pape Tawadros II
Ces réactions islamistes, parfaitement attendues, n’ont pas empêché les autorités de poursuivre les impératifs de la Feuille de route. La destitution de Mohammad Morsi, suivie de la suspension de la Constitution de 2012… Dix constitutionnalistes ont été chargés de rédiger une nouvelle Constitution, ou d’amender certains articles de la précédente. «Les délais fixés par la Feuille de route seront respectés», a déclaré Adly Mansour, président p.i. de la République.
Le 8 septembre, le Comité des 50, formé de représentants des partis laïques et libéraux, de la gauche, et des délégués de l’Eglise copte et d’al-Azhar, s’est penché sur le texte pour l’étudier, le discuter, l’amender au besoin. L’assemblée comprend aussi un représentant du parti salafiste al-Nour, et un dissident de la confrérie. Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien secrétaire général de la Ligue arabe, est élu président de la Constituante.
Moussa, partisan de la laïcité et du libéralisme, est un gage de succès. Il veut que la Constitution réponde aux vœux de la nation. Il s’est rendu à la cathédrale Saint-Marc, siège de l’Eglise copte orthodoxe, dont les fidèles forment 8 à 10% de la population égyptienne. Au terme d’un long entretien avec le pape Tawadros II, les deux responsables étaient parfaitement satisfaits. Les droits des non-musulmans seront respectés, ainsi que le droit à la citoyenneté.
La Constitution rédigée, approuvée par un référendum, les élections législatives et présidentielles auront lieu, probablement au cours du premier semestre 2014.
Le 23 septembre, le tribunal des référés du Caire a émis un jugement stipulant la dissolution de l’organisation des Frères musulmans, l’interdiction de ses activités, et la saisie de ses biens. Jugement rendu en vertu de plusieurs recours dont la justice a été saisie.
Le 6 octobre 2013, de nombreuses cérémonies ont eu lieu pour célébrer le 40e anniversaire de la Victoire d’octobre. Les Frères musulmans s’étaient promis de perturber l’ambiance. Ils n’ont pas réussi à le faire et leurs tentatives, sévèrement réprimées, ont eu pour bilan 51 morts et plus de 400 blessés.
D’où, sans doute, cette décision américaine, de geler pour un temps une partie de l’aide militaire accordée annuellement à l’Egypte. Une décision très mal accueillie par les autorités égyptiennes puisqu’elle les prive, temporairement, du matériel lourd destiné à la lutte contre le terrorisme: hélicoptères Apache, chasseurs F16, missiles Harpoon…
«L’Egypte ne cédera pas à la pression américaine et poursuivra son chemin vers la démocratie, telle que prévue par la Feuille de route», a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Pour corriger quelque peu la décision de Washington, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a affirmé: «Le gouvernement intérimaire égyptien comprend très bien notre engagement en faveur de son succès, que nous souhaitons…».
De fait, l’Egypte poursuit sa route en dépit des remous suscités par les islamistes. Le canal de Suez fonctionne en toute sécurité, et le tourisme, source essentielle de devises, reprend en douceur. Reste à savoir à quel personnage sera confié l’avenir du pays? Le général Sissi, qui jouit de l’appui de millions d’Egyptiens, affirme ne pas briguer la présidence de la République. Il changera peut-être d’avis.
Denise Ammoun
La crise en dates
♦ 19 août 2013: Sissi veut éradiquer le terrorisme.
♦ 23 septembre: dissolution des Frères musulmans.
♦ 6 octobre: 51 tués et 400 blessés
pro-Morsi.
♦ 10 octobre: suspension temporaire de l’aide militaire américaine.
♦ 20 octobre: manifestation à al-Azhar
et drame dans une église.