Magazine Le Mensuel

Nº 2921 du vendredi 1er novembre 2013

Cinéma en Salles

Ghadi. L’autre, est-il aussi différent?

La boîte de production The Talkies présente son premier long métrage de fiction, Ghadi, produit par Gabriel Chamoun, réalisé par Amin Dora et écrit par Georges Khabbaz qui campe également le rôle principal. Ghadi, un regard critique porté sur la thématique de la différence.
 

Nous sommes une société malade, handicapée, dans un pays «paralytique, borgne, pourri, rongé par la vermine», comme le dit Hoda Barakat dans Viva la Diva, «ce pays malade, à la tension faible et à la température élevée…». Une société handicapée qui, comble de l’ironie, ne cesse de pointer du doigt le handicap de l’autre, cet autre qui ne lui ressemble pas, qui est différent. Cet autre qui peut être Ghadi, cet enfant aux besoins spéciaux. Rejeté, méprisé, traité de tous les noms, de «démon» même. Le texte de Georges Khabbaz ne joue pas dans le «politiquement correct». Il va droit au but, il expose, il dénonce. Dans l’espoir d’influer sur les points de vue.
Tourné dans le vieux Batroun, Ghadi se lève sur les rues et les ruelles d’un village libanais traditionnel, d’un quartier plutôt, surnommé el-Mchakkal, gardé par le saint-patron de la ville Mar Elias. Là, entre les échoppes, le square, l’église, les façades et les toits des maisons, le spectateur fait la connaissance des habitants, à travers le regard du petit Leba. Un regard pointu, qui relève les us et les coutumes du quartier, les habitudes et les mœurs de ce microcosme libanais. Des commerçants qui lorgnent vers la légère escroquerie, des hommes jouant aux cartes, un policier ambigu, des mégères bigotes, des originaux, des marginaux, des blasés et des cœurs tendres… une galerie de personnages hauts en couleur, typiquement libanais, que le petit Leba observe, pour notre plus grand plaisir, même si la voix-off de Georges Khabbaz qui s’insinue souvent tout au long du film s’étale en longueur. Devenu grand, Leba Seba épouse son amie d’enfance Lara. Père de deux filles, il attend un petit garçon. Il sera nommé Ghadi. Mais Ghadi est différent. Et le village ne l’accepte pas. Serait-il un ange? Leba est acculé à mettre au point un plan pour pouvoir rester avec sa famille, toute sa famille, dans le quartier de Mchakkal. Et ce n’est certainement pas un hasard si ceux qui s’associent à lui dans son projet sont, eux aussi, chacun à sa manière, différents de ce à quoi la société s’attend et conçoit comme une normalité. Parce qu’à travers l’histoire de Ghadi, l’enfant aux besoins spéciaux, c’est toute la thématique de la différence que Georges Khabbaz pointe du doigt.

 

Un film libanais
Ghadi est le premier long métrage produit par Gabriel Chamoun et la boîte de production The Talkies, en partenariat avec la SGBL et avec le soutien de Doha Film Institute. A travers ce partenariat, la SGBL «souhaite diffuser un message d’espoir et de tolérance, confirmant son soutien à la cause de la trisomie et aux personnes souffrant d’un handicap mental, afin de prouver que ces dernières ont des droits et un rôle à jouer au sein de la société».
Ghadi est la première expérience cinématographique de Georges Khabbaz qui coiffe la double casquette d’auteur-scénariste et acteur. Et on retrouve dans le scénario, dans le texte, son ton habituel, oscillant entre ironie, humour et humour noir, dérision et sérieux. Loin de ce que peut laisser supposer le synopsis, Ghadi n’est pas un film dramatique qui lorgne vers le pathos. Il s’agit bel et bien d’une comédie sociale dont la recette réside dans ce mélange dosé entre sourire et émotion.
De l’exagération, il y en a. Beaucoup même. Un brin fantaisiste, féerique, incroyable même. On a du mal à croire que les habitants de Mchakkal croient, aussi simplistes qu’ils apparaissent, aux histoires abracadabrantes, aux miracles que Leba et ses compères montent de toutes pièces. Un point qu’on pourrait ériger au passage en reproche, mais le film repose sur cette exagération, ce brin de fantaisie, qui sert justement le propos et l’intention de l’auteur. S’ils y croient, c’est parce que le scénariste l’a voulu. S’ils y croient, c’est qu’ils le veulent, c’est parce que chacun de nous, peut-être, porte une blessure au cœur, quelle qu’elle soit. Et que chacun de nous est le reflet de sa société, le résultat de son passé et l’espoir d’un autre avenir.
Le spectateur se laisse emporter, bon gré mal gré, par cette valse d’illusions et de désillusions, d’espoir et de désenchantement, de rêves et de châteaux en Espagne, capturés dans leurs multiples facettes par la caméra d’Amin Dora qui signe là son premier long métrage, après s’être distingué dans la réalisation de Shankaboot, la première Web série dans le monde arabe qui a remporté, en 2010, un International Digital Emmy Award. Le regard d’Amin Dora semble se poser avec tendresse et justesse sur ce petit monde grouillant de vie, saisissant à travers des plans soignés et variés, autant de mouvement que d’images lumineuses. Et il est servi dans sa tâche par un casting tout aussi professionnel que naturel. En tête, Georges Khabbaz qui campe le rôle de Leba, mais également Antoine Moultaka, Mona Tayeh, Camille Salamé, Rodrigue Sleiman, Lara Matar et Emmanuel Khaïrallah dans le rôle de Ghadi.
Malgré une finale un peu faible, voire forcée, et certains passages qui s’étirent en longueur notamment à la fin du film, Ghadi propose une description juste et acérée de la société libanaise, avec ses qualités et ses défauts, sans une très grande originalité, mais aussi sans prise de tête élitiste ou contraignante. Ghadi est un film divertissant et critique, satirique et intelligent, un film grand public, respectueux du public, qui atteint précisément son but; s’adresser à ce public. Dans l’espoir de… peut-être… parce que notre société a tellement besoin d’être secouée!

Nayla Rached
 

Circuits Empire et Planète – Grand Cinemas – Vox Cinemas – Cinemall.

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