Les étudiants de certaines universités du Liban, de Palestine, de Syrie, d’Irak et d’Egypte ont voté le nouveau Choix de l’Orient. Après Mathias Enard, c’est au tour de Sorj Chalandon.
On s’y attendait un peu. Certains l’espéraient, d’autres le redoutaient. Et le verdict tombe, ce dimanche 3 novembre, à 15h30: le lauréat de la Liste Goncourt/Choix de l’Orient n’est autre que Sorj Chalandon, pour son roman Le Quatrième mu. Il a remporté la manche à onze voix contre sept, ces dernières étant partagées essentiellement entre L’invention de nos vies de Karine Tuil et Palladium de Boris Razon. Faut-il le rappeler, le vote s’est porté sur la 2e sélection du prix Goncourt, soit donc cette année neuf romans.
Dix présidents de jurés des douze universités participantes, à l’exception de l’Université de Damas et de l’Université al-Aqsa de Palestine qui n’ont pas pu faire le déplacement jusqu’à Beyrouth, ont entouré Charif Majdalani, président de cette édition, Philippe Claudel représentant l’Académie Goncourt et Mathias Enard, lauréat du Choix de l’Orient 2012. Le communiqué a été lu en français et en arabe, expliquant le choix du lauréat «pour couronner une œuvre dont l’originalité est de faire jouer à des personnages romanesques une pièce de théâtre afin d’exprimer les réalités de la guerre et de chercher à les dépasser, une œuvre qui traite de la guerre tout en éveillant les désirs de paix chez les lecteurs et qui approche avec une grande réussite la psychologie de ceux qui provoquent les conflits et y participent».
Pour ou contre, le débat est entamé
La manière dont cet ouvrage aborde les thèmes de l’altérité et son style accrochant, efficace, simple et poignant ont également été soulignés. En direct de l’Agora, un message a été envoyé à Sorj Chalandon pour lui annoncer la nouvelle. Alors que la veille, il avait affirmé à Magazine être tétanisé à l’idée que son livre allait être débattu, il accueille aussitôt cette bonne nouvelle, de Paris où il se trouve: «Mon cœur palpite à vos côtés» (Voir page 52).
La journée avait commencé dès midi; le Grand Jury, composé d’un représentant de chacun des 18 jurys étudiants, s’est réuni à huis clos, sous la présidence de Charif Majdalani, pour une délibération à bulletin secret. Et le débat s’est poursuivi à l’Agora face au public.
Tour à tour, les présidents des jurys ont pris la parole pour expliquer le choix de leurs universités respectives. Un certain nombre d’universités libanaises n’ont pas voté pour Sorj Chalandon, ni l’Université al-Aqsa de Palestine. Raison avancée: un ras-le-bol des œuvres qui évoquent la guerre et la violence, au moment où elles constituent notre quotidien. Autant de points qui rassemblent ces étudiants du Liban et de Palestine. Pour d’autres jeunes Libanais, les avis divergent. Ils relèvent qu’au moment où Sorj Chalandon pleure la terre libanaise qui saigne toujours, nous nous sommes familiarisés avec cette violence, au moment où il nous pousse à faire tomber ce quatrième mur, à dire non au malentendu religieux, au système confessionnel qui nous pousse à nous entretuer, la guerre est utilisée comme un nouveau secteur économique.
Le Quatrième mur ne s’adresse pas qu’aux Libanais, relèvent les représentants des universités égyptiennes. Mais aux lecteurs du monde et aux lecteurs égyptiens notamment pour qui le fait de partager tous ces sentiments est un incitateur au rapprochement, pour trouver nous-mêmes une solution. Et pour le représentant de l’Université de Mossoul en Irak, ce roman marque la renaissance de la littérature engagée, évoquant la responsabilité de Jean-Paul Sartre.
Charif Majdalani intervient pour rappeler le fond du débat qui a eu lieu à huis clos sur deux points essentiels autour du Quatrième mur; soit donc la question du cliché professionnel concernant la guerre et la réflexion sur la violence dans l’homme. Philippe Claudel, de son côté, estime que «le thème de la guerre est essentiel et central dans la littérature contemporaine française. Il est même préoccupant dans son obsession. Il y a comme une sorte de mémoire maladive qui nous fait sans cesse fouiller ce thème humain et malheureusement éternel».
Avant de se voir remettre la version arabe de son roman Rue des voleurs, Mathias Enard conclut que le rôle de la littérature «est à la fois de nous montrer ce qu’on ne veut pas voir et de nous amener à oublier la réalité. Les deux aspects de l’injonction contradictoire de la littérature se retrouvent dans vos débats», ajoute-t-il, ce qui montre que Le Quatrième mur «a réussi à faire les deux à la fois». Rendez-vous donc l’année prochaine avec Sorj Chalandon qui sera le parrain de la 3e édition du Choix de l’Orient.
Nayla Rached
Le prix Goncourt
Loin de l’ambiance du Choix de l’Orient, l’Académie Goncourt a annoncé le lundi
4 novembre son lauréat Pierre Lemaître pour son roman Au revoir là-haut, tournant autour de la Première Guerre mondiale, dont le
centenaire tombe l’année prochaine.