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Nº 2935 du vendredi 7 février 2014

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A la rencontre des Eglises premières de Jacques Debs. Sur la trace des lieux de culte

Le réalisateur et écrivain Jacques Debs est parti en quête de réponses dans quatre pays d’Orient: au Liban, son pays natal, en Arménie, en Ethiopie et en Inde. Des réponses à un questionnement incessant sur la place des chrétiens dans ces pays, leur faculté à ne pas disparaître ou encore sur la problématique du vivre-ensemble islamo-chrétien et de la menace salafiste.   
 

«La guerre au Liban a commencé le 13 avril 1975. J’avais 18 ans. Je savais que j’étais libanais, je me sentais de gauche, même proche des communistes et évidemment pro-palestinien. La première bombe qui s’est écrasée le lendemain sur notre balcon m’a fait prendre conscience qu’en fait, j’étais pour les autres, avant tout, un chrétien, donc un ennemi. J’avais beau être solidaire des Palestiniens, je comprenais, d’un coup d’un seul, que, pour tout le camp islamo-progressiste, nous n’étions que des chrétiens. Mon univers de jeune homme se fracassait sur la question, somme toute, fort simple: qui-suis-je? Suis-je celui que je veux être, ou bien suis-je transformé par la vision des autres? Quel cauchemar!». Premières lignes de son livre publié le 31 octobre dernier, ces quelques phrases introduisent non seulement un ouvrage, mais plus encore les racines d’un questionnement qui va mener l’auteur à la reconquête de son christianisme et à s’intéresser, à travers son travail, à la problématique des religions. Ainsi, dans son livre consacré à «la rencontre des Eglises premières», (évangélisées par des apôtres en Orient), Jacques Debs a cherché à comprendre comment ces chrétiens «qui évoluent dans un environnement au mieux neutre sinon hostile», au Liban, en Arménie, en Ethiopie et en Inde, arrivent à mettre en pratique les trois vertus de saint Paul: la foi, l’espérance et la charité.
 

Les maronites du Liban
C’est donc dans un voyage spirituel, teinté de problématiques géopolitiques et humaines, que nous emmène l’auteur. Un périple qui ne pouvait commencer qu’au Liban. «Qui sommes nous? Des chrétiens, des Arabes, des musulmans, des Libanais?… A chacune de ces questions, une guerre, et à chaque réponse, un mensonge, écrit-il. Le 13 avril ouvrit la boîte de Pandore de nos identités». Pour y voir un peu plus clair, au Pays du Cèdre, il part à la rencontre des maronites. «Cette Eglise, qui a dit cinq fois non aux peuples qui l’entourent (Mésopotamiens, juifs, Byzantins, Latins et Arabes), n’a pas su préserver un trésor linguistique et a cherché, en s’arabisant, à se fondre dans la masse. Nous savons ce que nous ne sommes pas, mais cela suffit-il pour savoir qui nous sommes réellement?», continue-t-il. Le ton est donné! Car, contrairement aux Arméniens, restés fidèles à leur langue, les maronites ont progressivement abandonné le syriaque au profit de l’arabe. Un état de fait qui a, d’après l’auteur, engendré une relation complexe entre les chrétiens du Liban, l’islam et l’arabité. Au fil des pages, des lieux visités (Bkerké, Harissa, la vallée de Qadisha), des témoignages forts et des rencontres surprenantes comme celles de l’ermite père Dario ou du cheikh Hani Fahs (théologien chiite lors d’un pèlerinage islamo-chrétien à Qannoubine), l’auteur se questionne sur la place des maronites au Liban, notamment face aux musulmans, eux-mêmes divisés avec l’arrivée du salafisme. Son espoir: la promotion d’une nouvelle orientalité réunissant tous les habitants du Proche-Orient et permettant à chacun et à tous de s’accepter dans sa spécificité et sa complexité. «Si les maronites ne rêvent pas grand, leur destin sera tout petit, prévient-il. Qu’ils déploient les ailes de leur imagination, qu’ils se lancent dans des défis insensés! Ainsi, pourront-ils peut-être recoudre les pans de notre mémoire brisée, et soigner nos cœurs et nos âmes défigurés par la peur et la haine. Rêvons grand et, sans doute, sortirons-nous tous ensemble de ce cauchemar!».

 

L’Eglise arménienne
En Arménie, il va découvrir une Eglise fragilisée mais combattante et «en pleine reconstruction spirituelle, morale et matérielle» après que le pays «eut traversé des épreuves terrifiantes», comme l’indique le catholicos Karekine II, à savoir le génocide arménien perpétré par les Turcs, mais également toute la période soviétique. D’autre part, la situation au Haut-Karabagh, vecteur de tension entre l’Azerbaïdjan (majoritairement chiite) et l’Arménie, interpelle l’auteur: «Qui porte la responsabilité des ces guerres caucasiennes? Les hommes politiques, les religieux, les citoyens eux-mêmes?», révélant que le processus d’indépendance des autres républiques soviétiques où l’islam et le christianisme étaient hégémoniques, avait été relativement pacifique. Une problématique du «vivre-ensemble» islamo-chrétien qui passionne Jacques Debs, notamment avec la montée de l’extrémisme.

 

L’Eglise éthiopienne
«L’Afrique devient de plus en plus un lieu de confrontation entre le christianisme et l’islam, dit-il. Le Sud se christianise, alors que le Nord est complètement islamisé. Des pays comme l’Ethiopie, le Nigeria, ces géants de l’Afrique, deviennent les rings de cette nouvelle guerre». L’Ethiopie donc, troisième étape de son voyage, pays où l’Eglise a également subi les diktats de la faucille et du marteau. «Notre Eglise se remet lentement des dégâts du Derg, le pouvoir communiste de Mengistu, le négus rouge, déclare le patriarche Paulos Ier. Pendant presque quinze années, notre Eglise a subi une répression féroce». Et si le pays est devenu laïque par la Constitution de 1994, «l’Eglise orthodoxe d’Ethiopie (dépendant spirituellement de l’Eglise copte d’Alexandrie), deux fois millénaire, n’arrive pas à trouver le bon ton pour s’adresser à ses fidèles et aux autres Ethiopiens, estime Jacques Debs. Dans cette nouvelle configuration, l’Eglise orthodoxe a perdu de son ascendant sur la société. Elle n’est plus «la» matrice. Elle doit composer avec les autres partenaires éthiopiens, tout en surmontant ses propres divisions». Et c’est d’ailleurs le cœur serré que l’écrivain partira du pays, songeant aux équilibres internes, religieux et ethniques fragiles. Alors qu’en 2012, 56 églises étaient incendiées, l’écrivain se demande si «l’Ethiopie peut-elle échapper aux sirènes salafistes qui séduisent une partie de la communauté musulmane du pays? Cette salafisation de cette frange de la communauté peut-elle faire basculer l’Ethiopie dans une guerre de religion?».

 

Les syro-malabares
Son voyage s’achève finalement en Inde où les chrétiens, bien que représentant 2% de la population, assurent 25% du travail social dans tout le pays. Evangélisée par saint Thomas en 52, l’Inde chrétienne rassemble plusieurs Eglises: la syro-malabare et la syro-malankare (catholiques), les Eglises syriaque-orthodoxe, syriaque-orthodoxe d’Inde, jacobite et latine. Dans l’Etat du Kerala, à Kottayam, où les statues de Shiva et de la Vierge dialoguent dans les rues, Jacques Debs rencontre le père Jacob. «Compte tenu de notre situation en Inde, toutes les Eglises de saint Thomas ont décidé, lors d’un synode commun, de pratiquer l’œcuménisme, explique le religieux. Tous les fidèles des Eglises de saint Thomas, catholiques ou orthodoxes, peuvent pratiquer leur foi dans n’importe quelle paroisse. C’est une première dans les relations entre les Eglises catholique et orthodoxe de par le monde. Espérons que notre exemple en inspirera d’autres…».
L’inspiration, c’est un peu ce que demande l’auteur à ces Eglises premières. La nécessité de se réinventer pour rester dans leur environnement sans toutefois plier l’échine et se taire si injustice il y a. Ce livre, «c’est en fait un hommage à nos ancêtres, ceux qui ont eu le choix de résister ou de se soumettre et qui ont toujours choisi la liberté. Martyrs, saints, rebelles, imprécateurs, insoumis et, parfois, athées, ces ancêtres turbulents nous auront permis de rester sur nos terres, encerclés, minoritaires, persécutés sans aucun doute, mais toujours là, conclut-il. Leur choix «déraisonnable» de résister nous éclaire et nous oblige. Ils sont les résistants silencieux, ceux qui ont opposé la charité aux armes et à l’oppression, ceux qui ont toujours eu foi en l’humanité de leurs proches ou lointains prochains».

Delphine Darmency

«Mes Ethiopiques»
A la genèse du livre A la rencontre des Eglises premières, il y a la série de films documentaires Mes Ethiopiques, réalisée par Jacques Debs lui-même. Quatre volets de vingt-six minutes chacun sur l’Eglise maronite au Liban, l’Eglise arménienne, l’éthiopienne et les Eglises syro-malabare et syro-malankare en Inde, diffusés en décembre dernier sur la chaîne publique France 2.

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