Magazine Le Mensuel

Nº 2923 du vendredi 15 novembre 2013

Livre

Philippe Claudel. «Il faut surtout respecter le lecteur»

Ecrivain, scénariste et réalisateur, membre de l’Académie Goncourt, Philippe Claudel était présent au Salon du livre francophone de Beyrouth à plus d’un titre. Entretien.

Vous êtes notamment venu au salon pour 
présenter votre dernier ouvrage Parfums, soit donc 63 parfums classés alphabétiquement. Le parfum, un souvenir?
Ce serait réducteur de dire que c’est de l’ordre du souvenir. Le parfum échappe au temps. C’est une espèce de permanence, de réminiscence, qui, du coup, libère complètement du temps chronologique. Un parfum, vous le respirez au moment même et il ramène en même temps en vous les souvenirs de la première fois où vous l’avez senti. Et soudain, tous ces moments associés au parfum vont se rassembler en une espèce de temps présent. Le parfum nous libère de l’espace et du temps et nous renvoie à une très profonde mémoire intérieure. La mémoire des parfums, on le sait, est logée dans la partie la plus archaïque du cerveau, la plus primitive; nos ancêtres avaient besoin de leur odorat pour survivre, ce qu’on a perdu dans le monde modern`e. L’odorat est le sens qui a le plus diminué dans sa faculté de perception, mais il est celui qui nous procure souvent des émotions très fortes, notamment les parfums humains. Et les parfums sont classés en ordre alphabétique, avec une table des matières au début ou une table de parfums, pour permettre au lecteur d’aller là où il veut dans le livre, de composer sa lecture.

Que pourrait chercher le lecteur dans la littérature?
Les livres nous permettent d’inspecter nos vies, de nous comprendre mieux, de nous poser des questions que nous ne nous poserions pas sans eux, d’arriver à des analyses que nous ne ferions pas sans eux. Les livres sont toujours des grandes questions, mais on peut aussi les aborder sur un plan de distraction, de divertissement, pour quelques heures de détente. Mais pour moi, la littérature est une façon de comprendre un peu plus le mystère humain, d’aller un peu plus profondément dans le mystère de nos vies.
 

Vous êtes également au Liban pour prendre part à la Liste Goncourt/Choix de l’Orient. Quelle est, selon vous, l’importance de ce prix?
Que le prix Goncourt, le plus prestigieux et qui a plus de cent ans, ait donné l’envie à d’autres pays de prolonger cette sélection et de faire leur propre choix est déjà bien en soi. Tout ce qui permet au livre d’être davantage mis en valeur est une très bonne chose. Il est intéressant de voir quels sont les choix effectués, d’autant plus que, deux jours plus tard, nous effectuons le vote du Goncourt. J’ai accepté de rejoindre l’Académie Goncourt, mais je suis quelqu’un qui est très loin du milieu littéraire et mondain. Je me sens toujours un peu dans la belle position de l’amateur. Ce que j’aime aussi dans les jurys comme le Choix de l’Orient ou le Goncourt des lycéens (Philippe Claudel a remporté le Goncourt des lycéens en 2007 pour Le rapport de Brodeck, ndlr), c’est que ce sont de simples lecteurs qui votent, non des écrivains, des critiques, des éditeurs. Les prix des lecteurs sont intéressants, sincères et passionnés.

Vous avez commencé à publier tard. Faut-il donc prendre la littérature au sérieux?
Ah oui, c’est pour cela qu’il faut publier le plus tard possible. Il y a tellement de publications aujourd’hui. L’auteur écrit un livre parce qu’il en ressentait sans doute le besoin, mais pourquoi le publier? Publier est un acte important, grave. Un livre est une chose qui reste. Il faut surtout respecter le lecteur. C’est peut-être un peu orgueilleux, mais c’est la raison pour laquelle j’ai tardé à publier. J’écris depuis que je suis gamin, mais tous les livres que j’ai écrits avant, si j’étais heureux en le faisant, en les relisant, je les trouvais d’une qualité médiocre. Je ne les montrais donc pas à un éditeur. Jusqu’au jour où j’ai écrit un livre qui me paraissait meilleur et qui a donc été ma première publication (Meuse l’oubli, ndlr). Je crois qu’il faut en premier être très exigeant vis-à-vis de soi-même. Il y a beaucoup d’ouvrages qui paraissent dont on ne voit pas la nécessité. Respecter le lecteur à double titre d’ailleurs. Au niveau de la qualité c’est évident. Mais financièrement aussi. Parce qu’un livre est cher, surtout avec la crise économique.

Propos recueillis par Nayla Rached

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