Depuis le 18 septembre et jusqu’au 6 janvier prochain, les toiles du peintre Georges Braque, cofondateur du cubisme avec son complice d’un temps Picasso, s’exposent lors d’une rétrospective en son honneur, à Paris, dans les salles du Grand Palais.
Ce n’était pas arrivé depuis quarante ans… La faute, peut-être, à une méconnaissance de l’œuvre de Braque, souvent mal comprise, par une génération contestataire. Qu’à cela ne tienne, un demi-siècle après sa mort, c’est au Grand Palais qu’un vibrant hommage lui est rendu à travers une «exposition qui plaide en faveur d’une indispensable réhabilitation, amorcée depuis peu en France et bien engagée outre-Atlantique, affirme Brigitte Leal, commissaire de l’exposition, dans l’introduction du catalogue. Osons le défi de faire confiance à une génération orpheline de Braque, en lui permettant enfin de découvrir, dans toute son ampleur et sa richesse, une œuvre sous-estimée, parce qu’exigeante, rétive à toute facilité anecdotique et profondément pudique».
Une exposition chronologique qui retrace pas à pas toutes les périodes de son œuvre, du fauvisme jusqu’à ses derniers paysages, en passant par l’invention du cubisme, ainsi que par ses séries de Canéphores, ateliers et oiseaux. En tout, 238 œuvres de l’artiste, dont 158 toiles, l’ensemble documenté par des écrits, ouvrages, vidéos, photographies, installés tout au long de l’exposition, informant tant sur la vie que sur l’œuvre du peintre, également sculpteur et graveur à ses heures.
Une rétrospective à ne pas rater. Et trois semaines après l’ouverture, qu’on se le dise, même un jour de semaine, c’est l’affluence. Difficile de se frayer un chemin. Par centaines, amateurs d’art et curieux ont répondu présents, encore aujourd’hui, à la balade nommée «Georges Braque». L’artiste naît en 1882, ça ne s’invente pas, dans les pinceaux paternels, entrepreneurs d’une société de peinture en bâtiment. De la peinture, il va en faire son mode d’expression et débute ses gammes à l’école des Beaux-arts de Paris. Son exaltation créatrice, il la découvre à l’Estaque, dans le Midi, en octobre 1906. Du fauvisme, il passe ensuite au cubisme, qu’il crée avec son ami Picasso. C’est d’ailleurs précisément en novembre 1908 que naît officiellement ce nouveau courant lors d’une exposition de Georges Braque à la galerie Kahnweiler, présentée par le poète Guillaume Apollinaire. Un an auparavant, c’est ce dernier qui provoque la rencontre entre Braque et Picasso. Ensemble, ils révolutionnent l’esthétisme, la couleur s’efface, réduite à des camaïeux de gris-beige, reléguée au second plan au profit de la forme. «Malgré nos tempéraments très différents, nous étions guidés par une idée commune, décrit Braque à Dora Vallier en 1954. Nous habitions Montmartre, nous nous voyions tous les jours, nous parlions… On s’est dit avec Picasso pendant ces années-là des choses que personne ne se dira plus, des choses que personne ne saurait plus dire, que personne ne saurait plus comprendre… des choses qui seraient incompréhensibles et qui nous ont donné tant de joies». Progressivement, les deux complices évoluent du cubisme analytique au cubisme synthétique, comme l’explique Dominique Dupuis-Labbé dans Le Petit dictionnaire Braque du Cubisme en 50 objets. «De 1910 à l’été 1911, Braque, comme Picasso, explore sans se lasser les possibilités infinies de la décomposition de la forme. La vision de la réalité est si détaillée, écrit-il, qu’elle finit par nous échapper. Braque et Picasso sont parfaitement conscients du risque que présentent ces œuvres: le basculement dans l’abstraction. A l’été 1911, il devient urgent de trouver une solution; Braque introduit alors les chiffres et les lettres au pochoir, c’est le moyen de retrouver la réalité». L’artiste expérimentera par la suite dans ses toiles le mécanisme du papier collé. Parmi ses thèmes de prédilection à cette période, on note le leitmotiv des mandolines. Puis la Première Guerre mondiale éclate, éloigne les deux acolytes, Braque est grièvement blessé au combat et s’arrête de peindre jusqu’en 1916.
La visite se poursuit. Une guide, entourée de sa vingtaine d’auditeurs attentifs, chuchote dans un minuscule micro pour ne pas déranger les autres visiteurs: «Toutes les parties de la peinture de Braque sont importantes, le centre, le second et l’arrière-plan. C’est un élément redondant dans la peinture de l’artiste», souligne-t-elle. Les toiles du peintre défilent, ses natures mortes, ses nus et canéphores, ses séries inspirées des mythologies ou de la Seconde Guerre mondiale où Braque possède un atelier à Varengeville-sur-mer. Il y peindra des œuvres sombres et douloureuses. «Tu vois une croix là?», questionne une dame en direction de son mari. «Enfin, si tu veux, mais c’est un chevalet», répond-il, diplomatique. On regarde, on analyse, on se joue critique d’art et on interprète à sa façon. On parcourt des cimaises consacrées à ses séries des Billards, ses derniers paysages, ses Ateliers et puis… «Ahhh, enfin les Oiseaux», lance un visiteur. Un thème que l’on retrouve sur l’un des plafonds du Louvre, une commande faite à Georges Braque en 1953.
La boucle est bouclée pour ainsi dire. L’année 2013 aura été celle, en France, de la réhabilitation d’un peintre. 2013 ou la (re)découverte de Georges Braque.
Delphine Darmency, Paris
Le cubisme selon Braque
«Il a multiplié sur une surface dessinée, construite et peinte, la vision du monde, en offrant simultanément les diverses faces des choses et en ramenant sur un plan frontal le regard d’un horizon où il avait fini par
s’égarer, perdu dans un espace
conventionnel». (Entretiens, notes et écrits sur la peinture: Braque, Léger, Matisse, Picasso, André Verdet, 1978).