Tout près de la place de l’Etoile, la galerie d’art Aïda Cherfan accueille, jusqu’au 29 novembre, les cimaises du peintre Emilio Trad, des toiles hommage aux grands maîtres de la peinture parmi lesquels Léonard de Vinci, Ingres, Vermeer, Courbet ou encore Michel-Ange.
«S’il y a encore une révolution à faire dans la peinture, elle se fera à l’intérieur de la tradition et non à l’extérieur», introduit Emilio Trad pour expliquer le choix du thème de son exposition. «Ce n’est pas en s’attaquant au métier, à ses fondements, ses gammes, ses accords et à son harmonie même que cette belle idée révolutionnaire et traditionnelle, tellement désirée par nos contemporains et dont je suis partisan, verra le jour».
Ces gammes, il les connaît parfaitement pour les avoir exercées à l’Ecole des Beaux-arts de Buenos Aires; une institution qui aura un fort impact sur lui au point d’en forger son travail d’artiste. Dès son plus jeune âge, Trad passe ses journées à dessiner et à peindre, délaissant les autres matières qui ne le passionnent guère. A 19 ans, il intègre l’Ecole des Beaux-arts. «Un véritable soulagement, lance-t-il. Nous y allions encore pour apprendre et non seulement pour s’exprimer. L’école était là pour former, avec un apprentissage académique intense, dispensé par des professeurs d’un excellent niveau – beaucoup d’entre eux étaient eux-mêmes artistes», détaille-t-il. Dessin, peinture et gravure sont aux programmes, mais également géométrie, anatomie, composition ou même morphologie. «Pour cette matière, nous avions comme professeur un remarquable médecin-anthropologue, se souvient le peintre. Une fois par semaine, en dehors des horaires de cours, il nous emmenait à la morgue de la faculté de médecine, et pendant que les étudiants disséquaient des cadavres, nous nous tenions sur le côté pour dessiner».
Reprendre les mêmes armes de ses prédécesseurs pour révolutionner la peinture, voilà le message d’Emilio Trad. «D’ailleurs, ajoute-t-il, c’est ainsi depuis toujours. Quand Monet décide de peindre en plein air, d’installer son chevalet et sa toile face au paysage, il révolutionne la peinture mais il n’oublie pas son métier».
Dans la plupart de ses toiles exposées à la galerie Aïda Cherfan, la silhouette d’un géant revient en leitmotiv, tour à tour peintre ou bouquiniste, il présente à ses côtés des œuvres reproduites d’artistes célèbres. «Ce ne sont pas de vraies copies, relève Trad. Mon intention était de faire un clin d’œil et d’intégrer ces hommages dans mes toiles. Mais il s’agissait avant tout de faire un Trad». En approchant d’un peu plus près des cimaises, on remarque la présence de pages de journaux collées en arrière-plan. L’œuvre Fragments d’humanité, en hommage à Ingres, prend d’ailleurs son nom du titre bien visible de l’un de ces articles. Les premiers mots de ce dernier «Un écrivain. Une œuvre. Mais pas la sienne. Celle d’un autre auteur qu’il vénère ou qui l’a inspiré», résonne en écho avec le thème de l’exposition. Si l’artiste s’inspire de l’humanité toute intérieure, de sa vie, de celles des autres et du ciel, il souligne que tout ne peut pas être transmis dans une toile. «Un peintre doit rester peintre et son langage n’est pas celui d’un écrivain. Son langage doit rester avant tout pictural. Je veux dire par là que c’est sur la composition, la structure, les couleurs, les contrastes, les valeurs, la lumière, que doit se concentrer son travail. Et même si une histoire est racontée, elle doit rester secondaire, subordonnée au vrai métier de l’artiste peintre, sinon son œuvre risque de devenir une simple anecdote et non un tableau». Acharné de travail, chaque toile, dit-il, est un nouveau projet, un nouveau monde. «C’est une porte ouverte qui parfois se referme, tout ce que j’entreprends ne se transformant pas forcément en une œuvre aboutie, poursuit-il. C’est la règle du jeu à laquelle il faut se soumettre et à laquelle je me donne entièrement. Donner dans le vrai sens du terme, s’oublier, être quelqu’un d’autre ou plutôt un simple instrument qui parcourt le monde pour y distiller un peu d’harmonie et de beauté».
Delphine Darmency