Magazine Le Mensuel

Nº 2924 du vendredi 22 novembre 2013

general

Marché de l’art. Les bonnes affaires des Libanais

La vente d’art dans le monde a représenté un marché de 43 milliards d’euros en 2012 (source Tefaf 2013), principalement alimentée par une clientèle d’ultra-riches. La toile Joueurs de cartes de Paul Cézanne aurait été achetée en 2012 à 250 millions de dollars par la famille royale du Qatar, devenant le tableau le plus cher au monde. Depuis 2008, en dépit de la crise financière, jamais les enchères n’ont été aussi élevées. En 2012, Le cri d’Edvard Munch est parti à 120 millions de dollars. Il a cependant été détrôné la semaine dernière par un triptyque du peintre britannique Francis Bacon consacré à son ami Lucian Freud, qui a été adjugé à 142,4 millions de dollars à New York, pour devenir l’œuvre d’art la plus chère au monde vendue aux enchères.
Le marché de l’art au Liban ne fait pas exception. Il suit la tendance haussière. Les prix des œuvres de certains artistes flambent. En revanche, la circulation de «faux tableaux» fait fureur. Un doigt accusateur est pointé vers les intermédiaires ou courtiers d’œuvres d’art, qui profitent du manque d’experts certifiés au Liban et du changement du profil de la clientèle depuis la fin de la guerre. Aussi, Internet est-il fréquemment cité comme un moyen facilitant la copie de tableaux et donc une source alimentant la prolifération de faussaires sur les différents marchés. Un phénomène qui aurait empêché nombre d’artistes d’afficher leurs œuvres sur un site Web qui leur est dédié. «Bien sûr, le Liban a connu sa fièvre acheteuse entre 1965 et 1975. C’était l’explosion de toutes les déclinaisons des Arts, peintures, sculptures, poésies, productions théâtrales», raconte Odile Mazloum, considérée comme la doyenne des galeristes actuellement en activité à Beyrouth et elle-même peintre et artiste. «A cette époque, l’acquisition de toiles de qualité n’était pas trustée par les millionnaires. Le Libanais appartenant à la classe moyenne était en mesure de s’acheter trois ou quatre toiles par an, en ayant recours à un paiement par acompte», poursuit la propriétaire de la galerie Alwane, qui révèle que même pendant les premières années de la guerre, le marché se maintenait, les familles un peu plus aisées qui avaient déménagé vers des régions éloignées des bombardements souhaitaient décorer leurs maisons de tableaux, convaincues que les rounds de violence n’allaient pas durer. Depuis près de cinq ans, il y aurait plus de flambeurs que d’investisseurs et de vrais amateurs. Il y aurait «un effet de mode». D’après Odile Mazloum, l’étincelle de la bulle artistique a pris dans les pays arabes, notamment à Dubaï, où les maisons de ventes et d’enchères internationales ont quintuplé, sans critères ou références précis, les prix de leurs pièces parfois fausses mais trouvant toujours des acquéreurs. Une raison qui pourrait atténuer leurs comportements serait de ne pas avoir une bonne connaissance de la valeur des toiles d’auteurs orientaux. «Mais c’est une bulle artificielle qui fait le bonheur des faussaires au Liban», ajoute-t-elle. Ces intermédiaires s’adressent souvent à des particuliers dupes qui sont ravis d’acheter des toiles à des prix inférieurs à ceux affichés à Dubaï. Selon Odile Mazloum, aujourd’hui 5% seulement des Libanais sont des amateurs ou des collectionneurs qui continuent d’acquérir des œuvres de qualité. Ce qui justifie la fermeture de nombreuses galeries. Elle raconte une expérience personnelle: un intermédiaire a eu l’audace d’entrer dans sa galerie et de lui proposer un faux tableau. Elle l’avait menacé d’appeler la police. Mais renchérit-elle, la législation de la protection du droit de la propriété intellectuelle est une grosse farce au Liban. En France, la loi permet à un acheteur d’une fausse œuvre de poursuivre le commissaire priseur en justice jusqu’à dix ans après son acquisition de la pièce. Répondant à une question de Magazine, elle affirme que certains artistes sont, bien sûr, plus banquables que d’autres. «Les toiles gagnent en célébrité davantage à titre posthume. Mais ce qui est certain, c’est que la valeur des œuvres de qualité est intrinsèque, les collectionneurs qui sont de potentiels investisseurs ne sont jamais perdants avec le temps».

Liliane Mokbel

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