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Nº 2925 du vendredi 29 novembre 2013

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De Syrie, à l’hôtel… en enfer. Sur les traces de deux kamikazes

Imputé à un Libanais et un Palestinien, revendiqué par les Brigades Abdallah Azzam, l’attentat contre l’ambassade iranienne le 19 courant a traumatisé toute la nation. Magazine retrace le parcours des deux kamikazes avant leur dernier jihad.  

Quelques jours avant le double attentat contre l’ambassade d’Iran, Mouïn Abou Dahr, Libanais originaire de Saïda, et Adnan Moussa el-Mohammad, Palestinien vivant à Bayssarié, au Liban-Sud, traversent la frontière libanaise, sous de faux noms, en provenance de Syrie. Ils ont tous les deux passé quelques mois en Syrie, suffisamment de temps pour s’imprégner de l’idée de martyr, perçu comme héroïsme suprême, et avoir suivi une formation au combat auprès des rebelles syriens.
Les deux jihadistes prennent la direction de Beyrouth et s’installent à l’hôtel Sheraton Four Points, un quatre-étoiles, situé dans le quartier cossu de Verdun, où il fait bon vivre et où les bourgeois se pressent dans les cafés, à mille lieues de penser qu’un attentat d’envergure se prépare si près d’eux. A l’hôtel, on les prend pour des expatriés, venus passer quelques jours de vacances, malgré l’accent arboré par Adnan. Rien ne distingue ces jeunes gens des autres Libanais, leurs cartes d’identité leur fournissant la couverture nécessaire.

 

Vraies cartes, fausses identités
«L’émission de fausses cartes d’identité et de passeports libanais est chose commune dans le camp de Aïn el-Heloué et il est très facile de s’en procurer», ironise le chef d’une faction palestinienne. L’une des deux cartes d’identité utilisées par les kamikazes, retrouvée sur les lieux du crime, comprend des informations réelles sur un citoyen libanais, mais porte une fausse photo.
Avant le double attentat de Bir Hassan, les deux jihadistes récupèrent le véhicule piégé pour l’un, et une ceinture d’explosifs pour l’autre. Le 4×4 est volé et revendu à un concessionnaire de voitures, douteux, dans la ville de Brital, qui, à son tour l’a revendu à des rebelles syriens. L’intermédiaire serait… un détenu de la prison de Zahlé, accusé de vols de voitures.
Les deux jeunes gens sont également munis de téléphones achetés quelques jours plus tôt. L’un des kamikazes s’est chargé de l’achat des deux portables et s’est fait photographier volontairement par le propriétaire du magasin, en conformité avec une nouvelle mesure du ministère des Télécommunications, qui requiert l’identification des acheteurs de portables. Un des appareils a été par ailleurs abandonné dans la chambre d’hôtel du Four Points.
Le jour de l’attentat, les deux kamikazes prennent un taxi devant l’hôtel et se dirigent vers un endroit non encore déterminé par les enquêteurs pour récupérer le 4×4 et la ceinture d’explosifs. Ils se sont ensuite dirigés vers l’ambassade d’Iran, en empruntant la route de l’aéroport. Le véhicule piégé a été aperçu près du Palais Riad Solh quelques minutes avant la double explosion. Le premier terroriste s’approche à pied du portail de l’ambassade. Il touche sa poche comme pour vérifier quelque chose avant de se retourner brusquement et de se faire exploser. Le second kamikaze arrive en voiture, il emprunte la voie en sens interdit et se dirige tout droit vers le portail de l’ambassade. Il est, toutefois, surpris par le brusque arrêt d’un conducteur de camion, chargé du transport d’eau qui, terrorisé par la première explosion, abandonne son véhicule devant l’entrée de l’ambassade. Le kamikaze ayant embouti un véhicule alors qu’il roulait vers sa destination finale, est pris en filature par le policier Haytham Ayoub. Ce dernier tente d’ouvrir la portière du 4×4 alors que, simultanément, le responsable de la sécurité de l’ambassade iranienne, Radwan Farès, pointait son arme vers le kamikaze qui, pris de panique, se fait exploser avant d’atteindre son but. Moins de deux minutes d’intervalle séparent les deux explosions. Un véritable carnage fera près de 27 morts et plus de 140 blessés.

 

Une foule d’indices
Mouïn Abou Dahr et Adnan Mohammad ont laissé une foule d’indices, ainsi que de nombreuses indications sur leur filiation politique, prouvant ainsi leur manque de professionnalisme. «Les accusations portées sur leur appartenance au mouvement du cheikh Ahmad el-Assir ne sont pas nécessairement justifiées, mais ce dernier est devenu le bouc émissaire idéal pour éviter l’implication d’autres personnalités plus en vue dans le milieu radical», explique un cadre de l’Armée libanaise.
Les deux jeunes appartiennent à cette nouvelle génération de jihadistes ayant généralement une vingtaine d’années et appartenant aux quartiers défavorisés de Saïda, Tripoli, Tarik Jdidé et des camps palestiniens. Leurs parcours peuvent être ceux de n’importe quels autres jeunes et leurs hauts faits d’armes sont sans doute les prémices d’autres possibles.
Qui sont-ils?
Les deux kamikazes ont été identifiés grâce aux tests ADN. L’un, Libanais originaire de Saïda, Mouïn Abou Dahr, et l’autre Palestinien installé à Bayssarié, Adnan Moussa Mohammad. Les deux seraient proches du cheikh Ahmad el-Assir, ils auraient participé aux combats de Abra en juin et auraient pris la fuite avant la fin de la bataille. Le cheikh Assir s’est distingué par ses prêches incendiaires contre le Hezbollah et son attaque contre l’Armée libanaise qui s’est soldée, après vingt-quatre heures de combats, par la mort de dix-huit soldats, de vingt combattants et de vingt blessés. Assir, homme de religion sunnite de 45 ans, qui soutient les rebelles syriens contre le régime du président syrien Bachar el-Assad, est actuellement recherché par les autorités libanaises. Mouïn Abou Dahr était âgé de 21 ans. Il a été identifié par l’ADN de son père, chauffeur de camion qui aurait contacté les services de renseignement de l’armée après avoir reconnu son fils sur une photo diffusée par eux. Le jeune homme aurait téléphoné à son père en utilisant un numéro syrien quelques jours avant les attentats, «lui demandant pardon pour ce qu’il allait faire». Abou Dahr s’est radicalisé en Suède où il a fréquenté un imam extrémiste. Il a séjourné également par la suite au Danemark et au Koweït. La famille Abou Dahr, connue pour ses positions modérées, a publié un communiqué soulignant sa «douleur face à ce crime odieux».
Adnan Mohammad, le second kamikaze, est originaire de Bayssarié, une bourgade à 10 km de Saïda. «Mon fils était pieux et allait régulièrement à la mosquée. Je n’arrive pas à croire qu’il ait commis ce crime effroyable», a indiqué le père du jeune homme à un quotidien libanais. De nombreuses personnes décrivent Adnan comme un jeune homme plutôt simple et le père aurait tenté de dissuader son fils de fréquenter les  rassemblements du cheikh Assir à Saïda. Dans un communiqué, la famille de Adnan Moussa Mohammad a dénoncé l’attentat et déclaré qu’elle n’était pas liée aux activités de son parent. Il y a, quelques mois, Adnan se serait attaqué à sa sœur qui a épousé son voisin chiite contre l’avis de sa famille. Les deux familles se seraient ensuite réconciliées.

Mona Alami

L’armée menacée
S’exprimant au nom de la brigade Abdallah Azzam, le cheikh Sirajedine Zureikat aurait dénoncé la Grande muette dans une vidéo parue sur Youtube. Les mesures de sécurité dans les casernes de l’armée ont été ainsi renforcées. Mais des sources sécuritaires estiment que l’armée pourrait être victime d’attentats dans la période à venir».

La filière terroriste
Les Brigades Abdallah Azzam, un groupe palestinien aux liens obscurs avec al-Qaïda, ont revendiqué la responsabilité de l’attaque, 
affirmant qu’elle visait à faire pression sur le Hezbollah pour qu’il retire ses combattants de Syrie. Les membres de ce groupe, dont le cheikh Toufic Taha, un responsable impliqué dans de nombreux attentats terroristes, seraient toujours à l’intérieur du camp. On ne sait 
toujours pas ce qu’a été le rôle exact du cheikh Sirajedine Zureikat dans le double attentat de l’ambassade iranienne ni s’il était responsable du recrutement des deux jeunes gens.

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