La contestation ukrainienne ne faiblit pas. Au contraire, elle s’organise et les revendications des manifestants se radicalisent. Après l’échec du sommet de Vilnius, l’adhésion à l’Europe est passée au second plan, les contestataires demandent la démission du gouvernement et du Premier ministre Mikola Azarov, qui a donné l’ordre d’utiliser la force pour disperser les manifestants. Ils exigent également de nouvelles élections parlementaires et présidentielles.
Nathalie Ouvaroff, Moscou
L’annonce, le 21 novembre, que les préparatifs pour la signature de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Europe étaient suspendus et que Kiev s’apprêtait à adhérer à l’Union douanière proposée par le Kremlin, soucieux de retrouver son influence sur les anciennes Républiques de l’Union soviétique, a provoqué une vague de mécontentement sans précédent depuis la «révolution orange» de 2004. Des dizaines de milliers d’Ukrainiens sont descendus dans la rue pour crier leur colère et exiger du chef de l’Etat qu’il revienne sur sa décision. La dispersion particulièrement brutale de «l’Euromaidan» par les forces spéciales du ministère de l’Intérieur a fait encore monter la tension. Dimanche, des manifestants ont tenté de prendre d’assaut le bâtiment de l’administration présidentielle, des heurts très violents se sont produits, on déplore une centaine de blessés au nombre desquels plusieurs journalistes.
Par ailleurs, les manifestations s’étendent à d’autres régions du pays. Trois villes de l’ouest ont décrété une grève générale illimitée. Enfin, dans l’est, fief du chef de l’Etat, les militants du parti des régions (parti d’Ianoukovitch) ne se sont pas rendus au meeting organisé pour soutenir le président, tandis que les députés quittent les rangs du parti.
Ianoukovitch aux abois
Certes, le refus d’adhérer à l’Europe a constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, reste que le terrain avait été préparé par la politique du président, qui lui a valu une impopularité grandissante.
Issu du complexe militaro-industriel pro-russe de l’est du pays, adoubé par Moscou, Viktor Ianoukovitch n’a rien fait pour résoudre les problèmes du pays. La situation économique est catastrophique, alors que les oligarques se sont fortement enrichis. Par ailleurs, nombre d’Ukrainiens ont été choqués par la mise sous les verrous de l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko et surtout par le refus du président de la laisser quitter le pays pour se faire soigner à l’étranger.
«Quand un régime est aux abois, il prend des décisions contraires à ses propres intérêts», commente le politologue Stanislas Belkovski, qui estime que c’est justement le cas du président ukrainien qui, par peur, a fait le mauvais choix alors qu’il avait toutes les cartes en main.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les faits semblent lui donner raison. Courant novembre, le président Viktor Ianoukovitch se rend secrètement à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine. Le président russe, qui n’a jamais caché qu’il n’éprouvait pas une sympathie particulière pour le chef d’Etat ukrainien, lui aurait alors mis le marché en main: soit il renonce à l’association avec la communauté européenne, soit la Russie ferme ses frontières aux produits ukrainiens et instaure un système de visas pour les ressortissants du pays: c’est à prendre ou à laisser. Ianoukovitch, président faible et mal aimé, qui navigue à vue entre l’Europe et la Russie tentant d’obtenir des avantages des deux côtés, prend peur et accepte le marché assorti d’une promesse de revoir l’accord sur le gaz et de crédits pour l’industrie ukrainienne en difficulté. En réalité, cette décision qui a mis le feu aux poudres s’explique avant tout par des considérations personnelles, il veut faire un second mandat et a besoin du soutien politique et surtout financier du Kremlin.
Seconde erreur, de retour à Kiev, au lieu de s’adresser à la nation pour expliquer la situation et faire passer la pilule en douceur, Viktor Ianoukovitch, qui n’a vraiment pas l’âme d’un chef d’Etat, fait publier un communiqué sur le site de la présidence et c’est le Premier ministre, Mikola Azarov, qui tentera en vain de sauver la mise en expliquant qu’il s’agit d’une décision temporaire destinée à sauver les entreprises ukrainiennes menacées de faillite.
Dernière erreur, la dispersion brutale du rassemblement qui a ouvert la porte à la radicalisation du mouvement.
Reste une grande question. Ianoukovitch peut-il redresser la barre?
Une chose est sûre, les jours qui viennent seront décisifs; l’opposition, très présente dans la rue aux côtés des manifestants, a l’intention de profiter de la situation et de faire voter une motion de censure contre le gouvernement de Mikola Azarov. Le président a fait savoir qu’il signerait le texte si le gouvernement perdait la majorité à la Rada, ce qui est acquis dans la mesure où le nombre de députés du Parti des régions ont d’ores et déjà quitté la formation. Par ailleurs, le président a révélé qu’il avait demandé à Bruxelles de recevoir une délégation afin de reprendre les discussions sur l’adhésion de l’Ukraine à la Communauté européenne.
Ces concessions seront-elles suffisantes pour calmer la rue? Rien n’est moins sûr, d’autant plus que les déclarations de Vladimir Poutine à Erevan, qualifiant les événements de Kiev de «pogrom fomenté de l’étranger», ne sont pas de nature à ramener la paix civile en Ukraine.
Nathalie Ouvaroff
Des Femen urinent sur la photo d’Ianoukovitch
Des militantes du groupe féministe Femen ont uriné dimanche sur une photo du
président Viktor Ianoukovitch, devant
l’ambassade d’Ukraine à Paris, pour
dénoncer la répression de l’opposition à Kiev après la volte-face du pays à l’égard de l’UE.
Cinq militantes Femen, mouvement
protestataire originaire d’Ukraine, se sont réunies devant l’ambassade à Paris, seins nus, le torse couvert de l’inscription «Yanukovych piss off» («Ianoukovitch dégage!»).
Culotte baissée, des couronnes de fleurs dans les cheveux, elles ont longuement uriné sur des photos du chef de l’Etat, au cri de «l’Ukraine en Europe», avant de se rhabiller et de quitter les lieux sans incident.
«Nous sommes venues pour dire à l’Europe que nous avons besoin d’aide», a expliqué Inna Shevchenko, chef de file des Femen en France, en dénonçant «l’influence» exercée par le président russe Vladimir Poutine sur Kiev.