En refusant la tenue d’une séance du gouvernement démissionnaire que préside Najib Mikati, le président de la République Michel Sleiman a, une nouvelle fois, provoqué l’ire des alliés du Hezbollah, déjà échaudés par ses critiques formulées contre les accusations de Hassan Nasrallah contre l’Arabie saoudite. La course à l’échéance présidentielle est lancée.
Le chef de l’Etat joue-t-il la carte du pourrissement institutionnel pour assurer la prorogation de son mandat? C’est, en tout cas, ce que pensent tout haut les alliés du Hezbollah, qui se sont clairement prononcés contre cette éventualité. Des informations font état de l’inclination de la diplomatie française pour cette possibilité, au motif d’éviter à la présidence le vide qui paralyse depuis huit mois l’action du Parlement et du gouvernement. La continuité des institutions a bon dos, grommellent les contempteurs du président qui s’inquiètent de le voir faire le jeu du 14 mars. Pour répondre à l’enlisement de la situation du pays, Najib Mikati s’est mis en tête de réunir son gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes. Depuis plusieurs jours, le Premier ministre démissionnaire sonde les composantes de son équipe. Le Hezbollah, qui verrait d’un bon œil un tel retour aux affaires, au nez et à la barbe du Courant du futur, et le Courant patriotique libre (CPL), qui tient à faire avancer le dossier du pétrole, se sont déclarés en faveur de l’initiative. Mais à Baabda, Mikati a reçu une fin de non-recevoir.
Veto présidentiel
Quelques heures auparavant, le président du Parlement, Nabih Berry, déclarait qu’il appuyait la tenue d’une réunion du Conseil des ministres si le dossier du gaz et du pétrole était inscrit à l’ordre du jour. «Je pense qu’il n’y a aucun obstacle légal ou juridique qui m’empêcherait d’exercer pleinement mes prérogatives», a même ajouté Najib Mikati.
C’est pourtant l’un des multiples griefs que lui a opposés le chef de l’Etat lorsque l’idée a été évoquée. Mardi, ce dernier expliquait que «le Conseil d’Etat a émis un avis aux termes duquel le gouvernement démissionnaire n’a pas le droit de prendre des décisions dans le dossier pétrolier». A ses yeux, ce dossier ne rentre pas dans la catégorie des «raisons contraignantes» qui le conduiraient à accepter la tenue d’une telle séance. Autre motif de réticence présidentielle, plus politique cette fois, la mise hors jeu définitive de Tammam Salam, déjà dans l’impossibilité de former un gouvernement. Si l’équipe Mikati venait à être renflouée de la sorte, quelle place resterait-il au Premier ministre désigné? Un argument que le Futur reprend en chœur, soucieux de garder l’avantage que constitue la désignation d’un chef de gouvernement en phase avec ses thèses.
Mais une autre idée commence à poindre. En début de semaine, le chef de l’Etat a souligné la nécessité de former un gouvernement, avant l’élection présidentielle, «même sans vote de confiance au Parlement». Le président Sleiman propose donc une nouvelle date limite, celle de l’élection présidentielle, qui vient ajouter encore plus de confusion à la situation déjà extrêmement alambiquée des institutions du pays. A court terme, le président ouvre, une nouvelle fois, la porte à la formation d’un gouvernement qui n’aurait pas l’assentiment des forces politiques représentées au Parlement et à plus long terme, pose le débat du détenteur du pouvoir en cas de vide généralisé.
Le 14 mars sourit
Les négociations sur le gouvernement Salam sont au point mort depuis plusieurs semaines, les deux camps ayant des positions irréconciliables en l’état actuel des choses. Le député du Courant du futur, Ahmad Fatfat, a clairement expliqué qu’il n’accorderait pas la confiance à un gouvernement selon la formule 9-9-6, que soutient le Hezbollah, même s’il était présidé par l’ancien Premier ministre Saad Hariri.
En posant ainsi les termes de l’équation dans laquelle il s’inclut volontiers, le président s’impose comme clé de voûte de la crise institutionnelle. Une position préférentielle qui justifie, aux yeux du Hezbollah et de ses alliés, leur méfiance à son égard, surtout depuis la semaine dernière, après sa réaction virulente contre les propos de Hassan Nasrallah sur l’Arabie saoudite. «Il est inadmissible de porter atteinte aux relations historiques avec un pays qui nous est cher comme l’Arabie saoudite en lançant des accusations sans preuves, et d’intervenir dans les conflits des autres en faveur d’une partie aux dépens de l’autre», a vertement réagi Sleiman.
Réponse cette semaine du leader du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad. «En vérité, je m’efforce jusqu’à cet instant de croire que le président s’est précipité et qu’il a mal exprimé sa pensée. Entre le président et nous, nous réglons les problèmes lors de nos entrevues». L’agacement est évident. Il fleure de plus belle lorsque le député invoque l’éventuelle séance du gouvernement Mikati. «Le gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes et doit assumer ses responsabilités. Il y a, par ailleurs, un Premier ministre désigné, mais il y a une incapacité à former un nouveau cabinet. Si le but est de pousser le pays vers le vide, il apparaît clairement que c’est l’objectif auquel tend le 14 mars».
A la suite des déclarations de Sleiman sur l’Arabie saoudite, le chef du parti Tawhid, Wiam Wahhab, habile interprète de la geste politique, s’est demandé si le discours de Nasrallah «avait indisposé le chef de l’Etat parce qu’il visait l’Arabie saoudite ou parce qu’il avait opposé un veto à toute prorogation» du mandat présidentiel. En attendant les fruits de la nouvelle donne régionale qui définirait le destin du pays, le regard des leaders politiques est déjà tourné vers l’échéance présidentielle.
Dans une interview télévisée, le leader du CPL, Michel Aoun, a clairement défini sa position. «Je ne suis pas candidat à la présidence de la République, sauf si les députés et les chefs de file me demandent de me présenter. Je n’accepterais en aucun cas de devenir un président pour gérer la crise en cours. Notre position est la suivante: pas de prorogation, pas de réélection et pas de vide».
Dans l’autre camp, le député chrétien du Courant du futur, Hadi Hobeiche, a indiqué que «les discussions entre les composantes du 14 mars sont en cours dans le but de s’entendre sur le nom d’un candidat pour les présidentielles. Le parti n’a pas encore pris une décision finale à ce propos». Du côté de l’Eglise maronite, on s’inquiète. «Nous craignons que l’élection présidentielle n’ait pas lieu dans les délais constitutionnels. Il ne faut pas que le vide s’étende à la présidence comme c’est actuellement le cas dans les autres institutions du pays».
Paralysées par le blocage politique qui rend impossible tout dialogue, les institutions dépendent plus que jamais de la position du président de la République, garant des institutions, qui, lui aussi, regarde déjà l’élection présidentielle.
Julien Abi Ramia
Le coin des ambassadeurs
L’ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban, Ali Awad Assiri, s’est félicité des prises de position du président de la République. «Nous savons que certains ont pris part à cette campagne par complaisance à l’égard de leurs alliés ou par peur d’eux, sans en être eux-mêmes
convaincus. Le rôle de l’Arabie saoudite est motivé par les relations fraternelles entre les deux pays», conseillant «à tout le monde
d’éviter la situation embarrassante dans laquelle ils se sont plongés».
De son côté, Alexander Zasypkin, ambassadeur de Russie au Liban, s’est demandé: «Pourquoi devons-nous demander au Hezbollah de retirer ses combattants de Syrie si nos appels lancés, il y a deux ans, pour le retrait des groupes armés du Liban-Nord, ont été ignorés? Le Hezbollah est impliqué dans le conflit syrien en raison de l’implication d’autres groupes étrangers dans la bataille. Une vraie guerre a lieu en Syrie et nous voulons préserver
la stabilité au Liban».