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Nº 2928 du vendredi 20 décembre 2013

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As7ab el-maqamat ou Vos Excellences. Lamia Maria Abillama démystifie les politiciens

De renommée internationale, ses portraits font le tour du monde. Photographe de talent, Lamia Maria Abillama expose, à la galerie Kettaneh, une série de portraits de personnalités politiques et religieuses libanaises pris sous des angles inattendues. Plongez dans la découverte de nos dirigeants comme vous ne les avez jamais vus.
 

Une première question s’impose devant ces portraits: comment Lamia a réussi à photographier ces hommes, d’habitude méfiants et fermés, dans leur intimité, mais aussi dans leurs fragilités. Selon l’artiste, c’est grâce à son passé juridique en tant qu’avocate. «Ce métier m’a permis d’acquérir, dit-elle à Magazine, le sens de la persuasion et, surtout, je les prenais de court. Dans le sens où j’arrive chez eux, je suis accueillie par une horde de gardes du corps qui me prennent en charge. Je scanne les lieux, je vais à la recherche de deux ou trois endroits qui m’inspirent. J’ai une vision de l’homme à un endroit précis. J’identifie le lieu avec le personnage. Je le place dans un endroit qui révèle le ressenti, l’instinct et l’intuition que j’ai de lui». Elle les déstabilise peut-être parce qu’elle est femme, mais aussi par son professionnalisme. Elle entre en symbiose entre ce qu’elle voit et ce qu’elle révèle.
Samir Geagea, en jogging, assis sur son lit dans sa chambre à coucher, aux murs recouverts de miroirs, avec une peluche posée sur sa couchette. Amine Gemayel recroquevillé dans un coin dans une cave à voûte dont le plafond lui touche presque la tête, Salim Hoss souriant, Saad Hariri écrasé par le poids des photos de son père l’entourant, Emile Lahoud riant aux éclats, Farès Boueiz debout près d’un ours figé, Michel Murr entouré des icônes de la Vierge… Il faut le faire.
«Il m’a été très difficile, dit Lamia, de convaincre Samir Geagea de lui prendre ces photos. Il voulait que je le photographie près d’une table. J’ai refusé. J’ai insisté pour entrer dans ses appartements. Il a refusé. Comme je ne prends jamais un non pour acquis, j’ai insisté. Personne n’est jamais entré dans cet endroit. Je devais découvrir son intérieur, les espaces intimes de sa vie. Finalement, après beaucoup d’insistance, je réussis à entrer dans sa chambre. J’ai été émerveillée par les miroirs réfléchissants et le lit sur lequel il y avait cet ours offert par Sethrida, son épouse. Je lui ai demandé de s’installer sur la couche. Jai cru percevoir un autre côté de Samir Geagea. En ce qui concerne Amine Gemayel, cette pièce renfermée, cette position du président traduisent les tragédies familiales. Le portrait du patriarche Béchara Raï est un clin d’œil aux icônes religieuses. Il se regarde comme dans un miroir qui lui renvoie ses propres responsabilités. Nayla Moawad, la puissance de cette femme qui, depuis la disparition de son époux, a assumé les responsabilités. Ce portrait l’assoit davantage dans le pouvoir. Sleiman Frangié a toujours eu ce regard que j’ai réussi à capter et la présence de sa femme c’est la douceur, l’image féminine».
En observant de près vos portraits des politiciens, nous avons l’impression diffuse que les leaders chrétiens sont en crise aiguë et que les politiciens de tous bords sont carrément démystifiés. Elle sourit en coin. Mais d’après ses propos précautionneux − elle ne souhaite surtout blesser personne − elle ne les place plus sur un piédestal, vu le déclin de la classe politique, la paralysie du pouvoir, le dysfonctionnement de l’Etat qui sont en filigrane derrière ces portraits où on sent un malaise diffus.
Il n’y a aucune photographie du chef du Hezbollah dans sa galerie de portraits ni d’aucun responsable ou membre du parti d’ailleurs… Pourquoi? «En dépit de toutes mes tentatives, il était clair que le Hezbollah ne voulait pas faire partie de cette galerie de photos», répond-elle avec sobriété. 


Danièle Gergès

Bio en bref
Lamia Maria Abillama est née de parents 
libano-brésiliens, dans une famille avec un solide héritage politique. Elle a grandi dans l’ombre de la guerre civile, quittant 
finalement Beyrouth pour poursuivre des études juridiques et de la diplomatie de pointe à la Sorbonne à Paris, puis à l’Université Tufts de Boston à la Fletcher School de droit et de diplomatie. Mais elle a vite constaté que la photographie et les arts étaient sa véritable vocation. Après avoir été diplômée du Centre international de New York pour la 
photographie en 2006, elle se lance dans une série de portraits. Le premier, inspiré par une visite à sa grand-mère brésilienne, dépeint le monde de la high society de Rio de Janeiro.
La série dames a reçu une attention 
considérable et a conduit à plusieurs 
missions importantes de publications de 
premier plan, y compris le New York 
Magazine, Fortune et le New York Times, qui lui a commandé de photographier des 
portraits de professionnels de haut niveau.

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