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Paul Khalifeh

Grandes causes et petites affaires

Les Libanais sont angoissés par la propagation du terrorisme sur leurs terres. Il ne s’agit pas de manifestations isolées et passagères mais d’un phénomène structuré, répondant à des stratégies réfléchies et articulées dans un vaste projet obscurantiste. Les terroristes évoluent dans des réseaux organisés, disposent de bases de repli en Syrie, de sanctuaires au Liban, et, plus grave encore, d’un environnement «ami» dans certaines régions, qui leur offrent une liberté de mouvement et d’action. Les services de sécurité – qui n’ont pas tous, malheureusement, les mêmes priorités – possèdent des renseignements sur l’existence, au Liban, de cellules dormantes appartenant aux organisations les plus extrémistes, l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) et le Front al-Nosra, qui s’ajoutent aux groupes manipulés et téléguidés pour servir des agendas exclusivement régionaux. Le terrain a été tellement bien travaillé ces trois dernières années que la première fournée de «kamikazes faits maison» a éclos et s’annonce prometteuse. La deuxième génération le sera encore plus, avec sans doute, l’apparition des éviscérateurs et des coupeurs de tête. La période d’incubation est de quelques semaines seulement…
Les Libanais sont inquiets par le blocage politique qui paralyse les institutions du pays. Plus rien ne fonctionne, ou presque. Les administrations tournent au ralenti, les services sont fournis au compte-gouttes, les prestations sociales, déjà très modestes, prennent du retard. Les Libanais observent le vide envahir inexorablement les moindres recoins de l’Etat. On leur promet, pour le printemps prochain, le vide absolu, celui qui engloutira toutes les institutions, y compris la première magistrature.
Les Libanais sont dégoûtés par des hommes politiques irresponsables, qui se querellent comme des poissonniers, se narguent comme des buffles, se défient comme des coqs et s’étripent comme des hyènes. Des politiciens que rien ne semble émouvoir, pas même le terrible incendie qui ravage la Syrie si proche, et dont les flammes ont depuis longtemps traversé les frontières. Ni l’amour de la patrie, ni le péril terroriste, pas plus que le danger existentiel, ne sont des raisons suffisamment valables pour provoquer un déclic chez la classe politique et la convaincre que l’union sacrée n’est plus un luxe mais un besoin, un devoir, une fatalité. Malheureusement, la plupart de nos hommes et de nos partis politiques ont depuis longtemps hypothéqué leur libre décision et l’ont revendue au plus payant… les rares exceptions confirment cette règle.
Avec cette angoisse, cette inquiétude et ce dégoût, il y a encore une place pour la colère. Celle provoquée par le grand déballage entre Ghazi Aridi et Mohammad Safadi. Les Libanais n’en ont que faire de la carrière déclinante de l’un ou de son désamour avec son patron, et se désintéressent parfaitement des états d’âme de l’autre. Car, dans ce chaudron nauséabond et volcanique qu’est devenu le Liban, il y a encore des citoyens qui continuent de verser leurs impôts et leurs taxes, directs et indirects, de s’acquitter de leurs factures d’électricité, de téléphones et d’eau, de payer leurs contraventions. Bref, des Libanais qui se considèrent toujours citoyens «normaux», qui paient leur part, aussi modeste soit-elle, dans le financement de l’Etat, et qui attendent en contrepartie de recevoir le minimum de services et de prestations. Ces gens-là veulent savoir ce qu’il en est réellement du détournement d’argent, de l’abus de pouvoir, du gaspillage, du délit d’initiés, dont se sont accusés mutuellement les deux messieurs. Ces contribuables, qui engraissent les vauriens aux commandes, exigent que la lumière soit faite sur ce scandale et, s’il y a eu vol de deniers publics, que tout soit rendu au Trésor, jusqu’au dernier sou.
Certes, les Libanais sont préoccupés par la géographie et la démographie qui s’agitent autour d’eux. Mais les grandes causes ne cachent pas – ou ne chassent pas – les petites affaires.

Paul Khalifeh

 

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