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Mouna Béchara

Les scissions ont la dent dure

Que peut-on encore dire, ou écrire, sans se répéter lorsque les drames se suivent, se ressemblent, et frappent, encore et encore, les Libanais au cœur où qu’ils soient. En cette période, dite de fêtes, les forces de l’ordre, avait-on annoncé, protégeraient particulièrement les lieux de culte. Les criminels ont sévi ailleurs. Ne méritons-nous pas une paix, même provisoire? Une trêve des confiseurs à l’instar d’autres pays qui connaissent des turbulences? Sommes-nous condamnés à l’austérité que nous impose une importante tranche de la population avec laquelle nous partageons le droit du sol? Nous ne pouvons pas nous reconnaître dans ceux qui, sans ciller, tuent aveuglément. Mais, évidemment, nous sommes abandonnés à notre sort, n’ayant rien à offrir aux grandes puissances en contrepartie d’une aide, même morale. C’est à peine si les journaux télévisés étrangers ont consacré un titre à cet acte de terrorisme, d’autres drames à travers le monde constituaient leur priorité. Nous n’avons plus rien à perdre, sinon notre dignité, et nous ne le permettrons pas. Nous nous demandions, la semaine dernière, si un chiffre à la fin de l’année pouvait apporter le changement. La réponse nous a été fournie. De toute évidence, ce n’est pas le 2 janvier que nous reverrons sourire les familles qui ont perdu des proches ou même simplement des biens irréparables.
Une question est sur toutes les lèvres et à la «une» de tous les médias. Pourquoi Mohammad Chatah? La réponse est claire pour nombre d’analystes. Par la modération de son discours et la force de ses convictions, Mohammad Chatah était l’ennemi parfait de ceux qui combattent l’école à laquelle ils n’adhéraient pas. Quant à l’adolescent Mohammad Chaar, le destin a voulu qu’il se trouve au mauvais endroit et au mauvais moment. Dans la série noire qui a ponctué notre vie depuis des décennies, les Mohammad Chaar, victimes innocentes, ne se comptent plus. Illustres inconnus, ils font les frais des crimes dont les dirigeants au fil des années n’ont pas su les protéger. Leur souvenir, flou dans la mémoire collective, reste vivace dans l’esprit et le cœur de leurs familles et de leurs proches. La responsabilité de ces drames incombe à ceux qui ont permis que leurs auteurs échappent à la justice et courent toujours se sachant intouchables pour de multiples raisons. On pourrait nous accuser de mauvaise foi si cette réalité n’était pas flagrante, car toutes les raisons sont bonnes pour justifier le laxisme qui caractérise les enquêtes.
Après le choc qui a secoué le pays, ce dernier vendredi de 2013, et l’horreur d’un acte difficilement qualifiable, les scissions libanaises ont refait surface avec une force de plus en plus violente. La formation d’un gouvernement devenue urgente s’accompagne, non pas de mise en garde aux dirigeants, mais de véritables menaces adressées à tous, par ceux qui n’y auraient pas donné leur bénédiction et le feu vert et qui ne l’accepteraient que sous leurs conditions, conditions rédhibitoires. En tête de la liste ainsi ciblée, le chef de l’Etat dont la «grande trahison» à leurs yeux est la reconnaissance qu’il a exprimée à l’Arabie saoudite, rivale affichée de l’Iran, pour le support qu’elle a offert à l’Armée libanaise, via la France. Mais ce sombre tableau n’éteint pas la fièvre de vivre des Libanais. Malgré la peur au ventre et une profonde tristesse, ils continuent à voir le verre à moitié plein, plutôt que vide. Ils tenteront chacun à son échelle d’enterrer cette sinistre année 2013 en se disant que si 2014 n’est pas meilleure, elle ne peut pas être pire.

Mouna Béchara

 

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