Avec une distribution solide et intéressante, les merveilleuses Meryl Streep et Julia Roberts en tête, le réalisateur John Wells présente August: Osage County, un drame explosif autour d’une famille tout aussi explosive.
Il n’a pas eu de chance aux Golden Globes, malgré ses deux nominations, l’une pour Meryl Streep en tant que meilleure actrice dans une comédie et l’autre pour Julia Roberts comme meilleure actrice dans un second rôle. Des nominations plus que justifiées vu le magnifique jeu de ces deux exceptionnelles comédiennes.
Après son premier long métrage The company men, John Wells réalise son deuxième film, August: Osage County, une adaptation de la pièce éponyme qui a remporté plusieurs Tony Awards, dont celui de la meilleure pièce en 2008 et le prix Pulitzer, écrite par Tracy Letts qui signe d’ailleurs le scénario du film. Produit par George Clooney, l’histoire tourne autour d’une famille américaine dysfonctionnelle, tellement dysfonctionnelle qu’elle plonge dans la cruauté. Le sujet n’est peut-être pas nouveau pour le cinéma américain, mais John Wells s’en tire très bien, à différents points de vue. Notamment et surtout au niveau du magnifique casting qu’il a pu rassembler autour de ce projet: Meryl Streep, Julia Roberts, Abigail Breslin (Little Miss Sushnine), Benedict Cumberbatch, Juliette Lewis, Margo Martindale, Dermot Mulroney, Juliane Nicholson, Sam Shepard et Misty Upham. Une affiche qui ne peut, à elle seule, porter le film. Et c’est d’autant plus intéressant que la distribution aurait pu être différente; Jim Carrey et Renée Zellweger ont d’abord été considérés pour prendre part au film avant de céder leur place à Dermot Mulroney et Juliette Lewis, tout comme Chloë Grace Moretz (Kick-Ass I et II, Hugo Cabret) qui sera finalement remplacée par Abigail Breslin.
Un humour noir toxique
Et le film s’ouvre sur Beverly Weston, poète alcoolique sur le déclin, qui peine à vivre avec sa femme Violet, toxicomane, atteinte d’un cancer de la bouche, tellement dépendante des médicaments et des calmants que son discours en devient méchant, acide, sournois et cruel. Une vraie vipère. «Je bois. Et ma femme prend des calmants. C’est l’accord qu’on a conclu», explique-t-il en guise de préambule, tout autant à l’aide qu’il engage, l’Indienne Johnna, qu’aux spectateurs. Détonant incipit théâtral, valorisé par le jeu de Sam Shepard. Mais voilà que Beverly disparaît, avant d’être retrouvé noyé. Une mort qui entraîne une réunion de famille sous la houlette de la matriarche, dans la demeure familiale, après des années de séparation; les trois filles Weston, Barbara accompagnée de son mari Bill et de sa fille Jean, Karen et son nouveau petit ami Steve, et Ivy, ainsi que leur tante maternelle Matti Fae, son mari Charles et son fils «Little» Charles. Une réunion de famille pour se soutenir mutuellement… ou plutôt pour déballer et laver leur linge sale. Et dans la famille Weston, les problèmes sont nombreux, tout comme les non-dits, les secrets, les rancunes et les rancœurs. Entre larmes et rires, les piques fusent, cinglantes, touillant profondément là où ça fait mal. Elles atteignent toujours leur cible et la douleur n’en devient que plus insoutenable, infernale. Un vrai huis clos qui entraîne le spectateur dans un monde où l’air devient irrespirable, tout aussi étouffant que la chaleur qui règne dans la demeure familiale de l’Oklahoma.
Tour à tour, le spectateur en vient presque à détester chacun des personnages, à l’exception peut-être de Charles, incarné avec tellement de tendresse par Chris Cooper. Parmi tous ces personnages hauts en couleur, en cris, en insultes ou presque entièrement effacés, écrasés par un poids trop lourd ou une culpabilité drainée par le comportement des autres, Violet se distingue par sa véritable langue de vipère. Elle n’épargne personne. Toxique. Mortelle. Et Meryl Streep s’en sort à merveille dans ce rôle de composition, aidée par un dialogue étudié dans ses multiples nuances, où l’humour, l’humour noir, croise souvent la crudité du propos et la tragédie. Jusqu’à plonger dans une violence verbale qui, par moments, semble toutefois superflue et exagérée. N’étaient-ce certains moments de tendresse qui allègent l’ensemble et la sévérité du personnage principal qu’est Violet. Mais aussi sa fille Barbara, interprétée par une toute aussi glorieuse Julia Roberts. Le jeu de ces deux actrices vaut à lui seul le détour. Ainsi que la prestation des autres acteurs et actrices, chacun se complaisant jusqu’à l’insoutenable plaisir dans la peau des membres de cette famille explosive.
August: Osage County ne s’oublie pas facilement, mais cela n’en fait pas un très grand film. Le scénario souffre de certaines faiblesses, de certaines longueurs et d’une prolifération de détails et d’exagération dramatique superflue, malgré certaines scènes fulgurantes. Le spectateur se retrouve submergé par le drame des secrets qui se révèlent progressivement, par la rancœur qui habite, voire hante chacun des personnages, qu’il n’arrive pas à s’y retrouver au cœur de ces relations humaines. Des relations inhumaines plus justement. Est-il possible d’aller aussi loin dans le plaisir de faire souffrir, d’humilier l’autre? Sombrer dans la folie, sans aucune bouée de sauvetage.
August: Osage County ne ménage pas son public. Les coups durs se succèdent, la vaisselle vole en éclats, les cris fusent, la solitude guette, le drame éclate. En toute violence. Mais sans pathos. Véritable huis clos théâtral, véritable huis clos infernal, un film tordu à ne pas rater.
Nayla Rached
Circuits Empire et Planète – Grand Cinemas.