Tués le 17 janvier dans l’attaque du restaurant La taverne du Liban, prisé par les expatriés, son propriétaire Kamal Hamadé et le délégué du FMI Wabel Abdallah étaient les dignes représentants de cette diaspora qui n’hésite pas à s’installer dans les zones les plus sensibles de la planète.
Comme tous les vendredis, le 17 janvier est un jour chômé en Afghanistan. Les expatriés profitent de cette journée pour fréquenter les rares établissements dont la sécurité est jugée suffisante par les organisations internationales pour y autoriser l’accès à leur personnel. La taverne du Liban était l’un d’eux. Aux alentours de 19 heures, un kamikaze a déclenché la ceinture d’explosifs qu’il portait sur lui devant les portes blindées du restaurant, créant la panique. Profitant de la confusion, deux autres insurgés armés pénètrent dans l’établissement et tirent sur les clients, privilégiant les cibles étrangères. Ils ont pu accéder aussi bien aux cuisines, où des employés afghans sont tués ou blessés, qu’à la salle du restaurant, où ils ont tiré à feu nourri, provoquant un véritable carnage. Le directeur du restaurant, Kamal Hamadé, a tenté de se saisir d’une arme dans son bureau avant d’être atteint, à son tour, par les balles des tueurs.
La semaine dernière, les expatriés qui ont élu domicile dans la capitale afghane ont perdu leur havre de paix. Situé dans le quartier cossu de Wazir Akbar Khan, celui des ambassades et des organisations internationales, La taverne du Liban était leur point de ralliement privilégié. Un bar-restaurant aux boiseries chaleureuses où se rencontrent journalistes, diplomates et hommes d’affaires occidentaux. Sa clientèle, Kamal Hamadé, le sémillant propriétaire des lieux, la gâte depuis 2004. Dix années de service, que ce diplômé en droit comptait célébrer, en organisant une soirée spéciale. A Kaboul, tout le monde appréciait cet homme toujours souriant d’une quarantaine d’années, au parcours pas banal. Originaire de Baakline dans le Chouf, l’avocat est devenu restaurateur. Après avoir tenté sa chance en Ukraine, Kamal s’est donc installé en Afghanistan, au sortir de l’opération militaire de la coalition internationale destinée à renverser les talibans au pouvoir. Les mêmes qui, dix ans plus tard, ont revendiqué l’attentat contre le restaurant.
Trois éléments ont fondé la renommée de l’établissement. D’abord, sa cuisine libanaise, raffinée et généreuse, mitonnée par des commis afghans dirigés par des chefs libanais. Spécialité de la maison, ses mezzés bien sûr et un merveilleux gâteau au chocolat qui en a fait fondre plus d’un. Ensuite, la personnalité de Kamal. Tous les clients qui passaient la porte avaient droit à l’accolade du propriétaire. Il s’invitait volontiers à la table des convives pour engager des conversations à n’en plus finir. Ses yeux s’illuminaient lorsqu’il parlait de sa femme Nabila – qui explique que son mari s’apprêtait à revenir au Liban pour étudier la possibilité d’ouvrir un autre restaurant à Raouché − et de ses filles Mona et Tima, qui habitent Ras Beyrouth et qu’il appelait tous les jours. Les femmes de sa vie ne l’ont pas suivi à Kaboul. Pour Kamal, la sécurité passait avant tout. L’établissement est protégé par des portes blindées qui ne s’ouvrent que lorsque les clients tirent la sonnette. A l’extérieur patrouillent des gardiens dépêchés sur place par le ministre afghan de la Défense en personne, le général Abdel-Rahim Wardak. Des précautions extrêmes qui n’ont pas suffi.
Les talibans ont revendiqué, par un message Internet, l’assaut contre le restaurant libanais et assumé qu’ils visaient essentiellement la communauté étrangère. Leur porte-parole, Zabihullah Mujahid, a affirmé que l’attaque contre La taverne du Liban était destinée à venger la mort de civils afghans lors d’affrontements survenus deux jours plus tôt dans la province de Parwan, au nord de Kaboul, entre les talibans et les forces afghanes affiliées à celles de l’Otan.
Julien Abi Ramia
De Khiam à Kaboul
Originaire de Khiam, dans le Sud, Wabel Abdallah, 60 ans, est la seconde victime
libanaise de l’attentat de Kaboul. Ce
multilingue avait été nommé représentant du Fonds monétaire international (FMI) en Afghanistan en juin 2008. Il travaillait au FMI depuis 1993 et a occupé plusieurs postes, notamment au Proche-Orient. La taverne du Liban était son restaurant favori, disent ses proches. Kamal Hamadé était l’un de ses
meilleurs amis en Afghanistan. De l’avis même de ses interlocuteurs afghans, Abdallah a joué un rôle prépondérant dans la remise sur pied de la Banque centrale d’Afghanistan et la mise en place de profondes réformes économiques. Wabel Abdallah laisse derrière lui une femme et une fille.