Magazine Le Mensuel

Nº 2933 du vendredi 24 janvier 2014

à la Une

TSL: Ouverture des audiences. Un procès-fleuve en vue

Neuf ans après l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, le Tribunal spécial pour le Liban a siégé le 16 janvier, donnant la parole, pour l’ouverture du procès, à l’accusation, à la défense, ainsi qu’aux victimes.

L’émotion était palpable, ce jeudi 16 janvier, à l’ouverture, neuf ans après les faits, du procès relatif à l’attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri et à 21 autres personnes, le 14 février 2005. Austère, la salle du tribunal basé à Leischendam, à La Haye aux Pays-Bas, a accueilli en ce premier jour les différents acteurs du tribunal, qu’il s’agisse de l’accusation, de la défense, des juges chargés d’arbitrer les discussions entre les parties, ou encore du pôle des victimes. Situé dans les faubourgs de La Haye, l’endroit hébergeait autrefois les services de renseignement néerlandais et notamment la salle de sport des fonctionnaires.
Le box des quatre accusés, Moustafa Badreddine, Salim Ayache, Hussein Oneissi et Assad Sabra, est, comme attendu, resté vide. Au centre de la pièce, une surprise attend toutefois les différents protagonistes. Des maquettes reconstituant les lieux du crime trônent au milieu de la salle, afin de faciliter, sans doute, les argumentaires des parties.
L’absence des accusés, qui seront, comme l’autorise la loi libanaise, jugés par contumace, n’a pas empêché le Tribunal spécial pour le Liban d’entrer directement dans le vif du sujet. Cela, malgré la requête formulée par le chef du Bureau de la défense, François Roux, demandant à faire des réserves, refusées par le président du tribunal.
Premier à s’exprimer dans la salle, le procureur Norman Farrell s’emploie dès les premières minutes de son intervention, à reconstituer, minute par minute, les événements tragiques du 14 février 2005, depuis le départ de Rafic Hariri du Parlement, place de l’Etoile, jusqu’à l’explosion qui lui coûtera la vie, ainsi qu’à 21 autres personnes. Dans un exposé méthodique et très précis, le Canadien égrène successivement les faits, puis les preuves en sa possession. Brandissant des photos de l’attentat et argumentant sur l’énorme quantité d’explosifs utilisés − entre 2 500 et 3 000 kg −, il explique au public qu’il prouvera que les quatre accusés sont responsables.
Les preuves, comme annoncé dans l’acte d’accusation, se basent essentiellement sur les données téléphoniques retrouvées et analysées par un bataillon d’experts et sur la mise en place de réseaux de télécommunications différents, classés par code couleur pour plus de compréhension. L’accusation annoncera également qu’elle s’appuiera sur des témoignages et des photographies pour démontrer la culpabilité des accusés. Une vidéo, issue de caméras de vidéosurveillance, sera par la suite diffusée, montrant la camionnette Mitsubishi se rendant sur le site de l’explosion. En revanche, l’identité du kamikaze au volant du van reste jusqu’à présent inconnue.
Durant toute cette première journée, le procureur et ses différents substituts exposeront devant l’assemblée les principaux faits en leur possession, en détaillant notamment l’organisation des multiples téléphones utilisés par les quatre accusés. Graeme Cameron révèle ainsi que Badreddine aurait détenu pas moins de treize téléphones, et Ayache onze. L’accusation, qui affirme être remontée jusqu’en octobre 2004, date selon elle, du début de la surveillance de Rafic Hariri par les accusés, pointe également du doigt un autre suspect, dont ce n’est pourtant pas encore le procès, Hassan Merhi. Son nom sera mentionné 124 fois par l’accusation.
La démonstration de l’accusation se poursuivra jusqu’au lendemain, le vendredi. Cameron expliquera notamment devant la Cour les détails du recrutement présumé par les quatre accusés d’Ahmad Abou Adass, qui avait ensuite revendiqué l’attentat dans une vidéo. Avant d’achever sa présentation d’ouverture, l’accusation passera au crible la personnalité des accusés (voir encadré), ajoutant que «ironiquement», ce sont les différents réseaux de téléphone mis en place qui auront mené à leur identification. En ce deuxième jour d’audience, la Syrie sera également mentionnée, pour la première fois, quand l’accusation fait état d’un coup de téléphone passé par Hassan Merhi, à proximité de la frontière libano-syrienne. Reste à savoir si cette indication mènera à de nouvelles révélations sur l’implication − ou pas − de la Syrie, dans l’attentat. Comme par exemple, que la camionnette aurait été chargée d’explosifs à Zabadani, en Syrie.

 

La parole aux victimes
Le président du tribunal, le juge David Re, passera ensuite la parole aux représentants légaux des victimes. «L’heure de la justice est venue. Nous sommes prêts», débutera ainsi l’un des avocats des victimes, Mohammad Matar, saluant l’ouverture du procès, qui permettra «la fin de l’impunité» et rendra «leurs droits humains de base aux Libanais». Dans la salle, en ce deuxième jour d’audience, neuf victimes de l’attentat du 14 février 2005 ont fait le déplacement. Parmi elles, Saad Hariri qui s’est installé sur le banc du fond. A ses côtés, figurent la mère de l’un des gardes du corps de Rafic Hariri, tué dans l’attentat, mais aussi, un employé de la HSBC, blessé dans l’explosion, ou encore la veuve d’Abdel Hamid Ghalayini, qui avait été tué alors qu’il faisait son jogging, le 14 février 2005. Son corps ne sera retrouvé que le 2 mars suivant, enfoui sous dix centimètres de débris.

 

La défense contre-attaque
Mattar souligne également que si la justice avait été rendue pour d’autres crimes perpétrés au Pays du Cèdre, l’attentat contre Hariri n’aurait probablement pas eu lieu. Selon lui, de nombreuses autres victimes attendent également justice, de Marwan Hamadé, blessé par un attentat en 2004, jusqu’à la famille de Mohammad Chaar, 17 ans, tué dans l’attentat perpétré contre Mohammad Chatah le 27 décembre.
Puis c’est le chef des représentants légaux des victimes, Peter Haynes, qui prend la parole. Après s’être défendu d’être le porte-parole de la famille Hariri, il dit espérer que le procès ne soit pas ajourné en cas d’ajout d’autres suspects aux quatre accusés, comme cela aurait pu être le cas avec Hassan Merhi.
Lundi, pour la troisième journée d’audience, le pôle de la défense prend la parole. François Roux, le chef du Bureau de la défense, est le premier à s’exprimer. Comme les avocats des quatre accusés le feront tout au long de la journée, il commence son intervention en exprimant sa compassion pour les victimes de ce funeste 14 février. Avant de s’insurger contre l’implication dans le procès, lors des présentations de l’accusation, du cinquième suspect, Hassan Merhi, alors que celui-ci fait l’objet d’un acte d’accusation séparé, étant intervenu deux ans et cinq mois après celui concernant Badreddine, Ayache, Sabra et Oneissi. Selon Roux, il demeure impossible, compte tenu de ce délai entre les mises en accusation, que la défense de Merhi soit prête pour le procès en cours. Il a également rappelé les droits élémentaires des accusés et de Hassan Merhi, regrettant que le nom de ce dernier ait été prononcé 124 fois dans la déclaration préliminaire du procureur. Ceci sans que ses avocats ne puissent s’exprimer − Me  Mohammad Aouini jouissant uniquement du statut d’observateur −, le dossier n’étant pas encore inclus dans le procès en cours, malgré la demande de l’accusation. Une réclamation repoussée par le juge David Re, qui a estimé qu’il était difficile de ne pas évoquer le cas de Hassan Merhi, impliqué dans la même affaire.
Passée l’intervention de François Roux, c’est l’avocat de Moustafa Badreddine, 
Me Antoine Korkmaz, qui monte au créneau. Il estime notamment que «les accusations de terrorisme devraient être retirées, parce que le bureau du procureur a démontré que l’explosion visait seulement Rafic Hariri, ce qui représente un assassinat. L’explosion n’avait pas pour but de semer la terreur», balayant l’argument présenté par l’accusation. Pour Korkmaz, le procureur n’est pas parvenu à établir «le mobile du crime», lance-t-il, avant de regretter que les quatre accusés aient été caractérisés par l’accusation via leur «appartenance confessionnelle chiite». Il a aussi demandé qu’un procès soit organisé au sujet des fuites intervenues depuis le début de l’enquête. Korkmaz, à l’instar des autres avocats des suspects, s’est aussi plaint du manque de temps accordé à la défense pour analyser les documents réunis par l’équipe de l’accusation, estimant que ceux-ci avaient été communiqués avec beaucoup de retard à ses équipes. Il a aussi déploré le manque de moyens accordés à la défense, ainsi que l’absence de coopération de la part du gouvernement libanais.
S’attaquant aux preuves avancées par le procureur, l’avocat de Moustafa Badreddine a remis en cause la thèse de la camionnette piégée conduite par un kamikaze, validée par «des experts argentins», regrettant que d’autres pistes, comme celle d’une «charge explosive souterraine», aient été écartées. Deux de ces experts argentins, qui seront appelés à la barre pour témoigner, et qui, selon Korkmaz, auraient participé à l’enquête concernant l’attentat perpétré en Argentine et imputé au Hezbollah.
L’avocat de Hussein Oneissi, Me Vincent Courcelle-Labrousse, qui a souligné qu’il ne sait même pas si son client «est mort ou encore vivant», s’est plaint de «la résistance systématique du procureur à toute demande de documents» présentée par la défense. Le bureau du procureur avait réclamé, au cours de la procédure, que certains documents en sa possession ne soient pas transmis à la défense, afin de protéger les témoins. Là aussi, le manque de moyens et de temps pour étudier et analyser les preuves, et, le cas échéant, mener une contre-enquête, a été pointé du doigt. Cet état de fait aura d’ailleurs été brandi comme un leitmotiv par l’ensemble des avocats des quatre accusés au cours de cette troisième journée. Par ailleurs, a argué Me Courcelle-Labrousse,  «Le procès par contumace place la défense dans une position de faiblesse. L’Etat libanais n’a pas répondu à des requêtes de la défense».
Quant à l’avocat de Hussein Oneissi, Me Yasser Hassan, il a aussi repris à son compte les remarques formulées par son confrère Antoine Korkmaz, au sujet de l’appartenance religieuse chiite des accusés, mentionnée par l’accusation. «D’autres tribunaux internationaux font-ils référence à la religion des accusés?», a-t-il lancé, avant de se demander «si la religion est considérée faisant partie du crime commis». Enfin, il a estimé qu’il fallait mentionner toutes les victimes de l’attentat, y compris les collatérales, demandant «la justice pour tout le monde y compris pour les quatre généraux libanais». Yasser Hassan a déploré à ce sujet que seules les victimes de l’attentat du 14 février 2005 aient droit à un tribunal international. «Pourquoi des tribunaux n’ont pas été établis pour les assassinats des autres personnalités libanaises», comme Abbas Moussaoui, Kamal Joumblatt, Wissam el-Hassan, Rachid Karamé, Mohammad Chatah et Hassan Lakkis, ainsi que pour les derniers attentats de Bir Hassan ou de Tripoli?», s’est-il interrogé.
Alors que la quatrième journée d’audience s’ouvrait mercredi matin avec l’audition des premiers témoins de l’attentat, présentés par le bureau du procureur, on peut s’attendre à ce que le procès soit houleux dans les débats, entre les deux parties, mais aussi, à ce qu’il dure longtemps. Très longtemps…

Jenny Saleh

Petites phrases et déclarations
«Les accusés sont des membres du 
Hezbollah et le régime de Bachar el-Assad est celui qui en a donné l’ordre». «Je n’oublierai pas et je ne pardonnerai pas. (…). Pour la première fois, un tribunal met un terme à l’impunité. Cela veut dire défendre véritablement la démocratie au Liban», Saad Hariri, au micro de la radio Europe 1.
«S’il se confirme que les accusés ont effectivement assassiné Rafic Hariri, cela signifie que c’est le parti (Hezbollah, ndlr), qui en est directement responsable», 
Antoine Zahra, député.
«Nous n’avons constaté aucune preuve tangible contre les parties impliquées dans l’affaire (…) Tout ce qui se passe est politisé et vise à faire pression sur le Hezbollah au Liban comme sur la Syrie dans le passé, immédiatement après l’assassinat de Hariri», Bachar el-Assad, à l’AFP.
«La formule du ‘‘mieux vaut tard que jamais’’ne tient pas en matière de justice criminelle», François Roux, chef du Bureau de la défense.

Les accusés vus par l’accusation
Au cours de la présentation de l’accusation, Graeme Cameron s’est attardé sur la 
personnalité des accusés.
De Badreddine, il dira qu’il apparaît sous deux identités − l’autre étant Sami Issa −, qu’il sort avec plusieurs petites amies, et qu’il est accompagné de gardes du corps en 
permanence. Selon l’état civil libanais, Badreddine aurait deux femmes et des enfants, les dernières données à son sujet datant de l’an 2000. En revanche, aucune trace bancaire ou d’actes de propriété à son nom. Il est incontestablement, pour l’accusation, le cerveau et le chef du complot.
De Hassan Mehri, l’accusation ignore s’il travaillait ou touchait un revenu, aucun compte bancaire n’étant établi à son nom. Des traces de paiements en cash ont, en revanche, été retrouvées, pour la scolarité de ses enfants.
De Salim Ayache, l’accusation explique qu’il est marié avec la sœur d’une des épouses de Badreddine. Ce serait lui qui aurait supervisé l’équipe de surveillance de Rafic Hariri.

Avion affrété par Saad Hariri
Le fils de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri a, pour l’ouverture du procès, pris soin 
d’affréter un avion privé pour transporter à La Haye, un groupe de parents et victimes de l’attentat, ainsi que des journalistes libanais. Parmi les passagers, figuraient notamment la journaliste May Chidiac, elle aussi touchée par un attentat, Gisèle Khoury, veuve de Samir Kassir, Toufic Ghanem, fils d’Antoine Ghanem, assassiné en 2005, mais aussi les parents de l’officier Wissam Eid, tué alors qu’il travaillait sur l’enquête Hariri. 

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