1958 tirait à sa fin et le Liban sortait péniblement de l’insurrection qui l’avait secoué tout au long de l’été. Le général Fouad Chéhab est élu à la présidence de la République. Au début de son mandat, il doit faire face aux incidents qui continuent à perturber le climat interne. Une amnistie générale est votée, mais la sécurité n’est pas rétablie pour autant.
L’amnistie couvrait les fauteurs de troubles de l’année et les auteurs des incidents des années précédentes. Malgré la volonté unanime de dépasser les incidents qui avaient menacé le Liban pendant des mois, plusieurs affaires continuaient à troubler la scène interne.
Le 27 février 1959, des chocs sanglants opposant les pro et anti-nassériens à la Place des Canons ébranlent une sécurité encore fragile. Tout ce qui touchait au leader de la révolution égyptienne suscitait toujours de violentes réactions. Le 22 février, les partisans de Jamal Abdel-Nasser célèbrent l’anniversaire de la RAU à Basta et à Tarik Jdidé. Des meetings sont organisés et un tramway, prônant des slogans en hommage à Nasser, part de Basta vers Gemmayzé où les adversaires du leader égyptien les remplacent par d’autres particulièrement hostiles au même leader. Après un arrêt, le tramway reprend le chemin inverse. A son arrivée place Riad el-Solh, il est accueilli par les partisans de Nasser qui explosent de colère et le brûlent ainsi que deux autres.
La tension générale pèse sur le pays. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Eddé, intervient pour calmer la rue. L’incident est considéré clos, mais le feu couvait sous la cendre. La rue était calmée, mais les esprits restaient toujours surexcités.
Quelques jours plus tard, un autre incident trouble l’ordre général rétabli à grand- peine. Sur l’écran du cinéma Empire passe le portrait de Charles de Gaulle. Vivement applaudi par certains et autant injurié par d’autres. Les incidents éclatent, rapidement maîtrisés, ils n’en laissent pas moins des séquelles. Le lendemain, c’est sur l’écran d’un autre cinéma, le Hollywood, que l’histoire se répète. Cette fois provoquée par le portrait de Nasser paraissant sur le grand écran. La projection des actualités entraîne encore une fois des réactions divergentes. Les applaudissements des uns et les insultes des autres provoquent des bagarres dans la salle difficiles à contrôler. Les belligérants utilisant d’abord leurs poings pour défendre leur point de vue sortent rapidement des gourdins et des poignards. Partisans et adversaires de Nasser s’affrontent dans la rue où la bataille se généralise.
Des éléments armés affluent de Basta et Gemmayzé vers la place des Canons. Les poignards sont remplacés par des armes à feu donnant lieu à une fusillade. Les autorités interviennent pour ramener l’ordre, mais ne peuvent le faire qu’une heure plus tard. Elles parviennent à disperser les fauteurs de troubles qui, pourtant, laissent sur place un mort, Boutros Rayès, dont le corps est criblé de balles, et dix blessés: cinq par balles et cinq poignardés. L’un d’entre eux succombe à l’hôpital. Bilan: deux tués et neuf blessés. Rayès aurait été tué à Tarik Jdidé et son corps traîné vers le centre-ville où il fut retrouvé sur les lieux de la bagarre.
L’affaire ne s’arrête pas là. La panique s’empare des citoyens qui craignent la reprise de l’insurrection et d’autres sont enlevés à Tarik Jdidé.
Les leaders politiques se mobilisent pour limiter les répercussions des incidents. Pierre Gemayel et Raymond Eddé établissent des contacts avec Adnan Hakim et Saëb Salam. De toute évidence, ils n’allaient pas laisser la situation s’envenimer. Il fallait réagir vite pour mettre un terme à l’émeute qui menaçait d’éclater. Salam est catégorique. Il refuse de laisser la rue s’enflammer de nouveau, et le Premier ministre Rachid Karamé affirme que «le gouvernement est déterminé à sévir avec une extrême rigueur contre les fauteurs de troubles». Des mesures sont décrétées. Elles permettent la réouverture des salles de cinéma. Les projections n’ont plus entraîné de réactions et la circulation des tramways reprenait normalement. Une enquête est ouverte. Trente-cinq personnes sont interpellées. Le ministère de l’Intérieur impose cependant une censure préalable sur les actualités politiques projetées dans les salles de cinéma.
Arlette Kassas
Les informations citées dans cet article sont tirées du Mémorial du Liban – le mandat Fouad Chéhab de Joseph Chami.
Les troubles de 1959
Les chocs sanglants de 1959 surviennent alors que le Parlement vote l’adoption de la loi Eddé instaurant la peine de mort dans les cas des meurtres intentionnels. Cette loi devait
conduire à des mesures strictes envers ceux qui commettent des crimes à caractère confessionnel.