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Paul Khalifeh

Le Pacte, encore et toujours

C’est une profession de foi en un Liban uni, pluraliste, moderne, libre, indépendant, souverain, ouvert et tolérant, à laquelle s’est livré le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï. Des principes et des valeurs exprimés avec conviction dans un Levant en proie à la folie d’une pensée obscurantiste, exhumée des abysses du Moyen Age, pour imposer par le feu et le fer une vision rétrograde et réductrice de l’islam, dont la première victime est la religion que ces fous furieux prétendent représenter et défendre.
Un Liban pluraliste, à un moment où les sociétés implosent sous la violence inouïe de courants extrémistes, qui s’emploient à détruire le tissu social, la tradition d’ouverture, la culture de l’acceptation de l’Autre. Des mouvements qui martyrisent l’homme et la pierre, dans une tentative démente de corriger ce qu’ils estiment être des «erreurs» qui ont trop longtemps duré: les minorités sont soumises par la force, les vestiges archéologiques sont rasés, les esprits nivelés. A Raqa, dit-on, ces extrémistes tranchent les doigts des fumeurs, décapitent ceux qui laissent pousser leurs cheveux, imposent la jezia aux chrétiens, s’installent dans leurs maisons pour profiter de leurs femmes.
Un Liban uni, libre et indépendant, à l’ère de l’explosion des Etats, du Yémen à l’Egypte, sous l’effet d’une farouche lutte d’influence entre les poids lourds régionaux, facilitée et encouragée par les allégeances extraterritoriales de communautés et de groupes ethniques.
Un Liban moderne, où la décentralisation administrative est perçue non pas comme un prétexte pour le repli sur soi, l’isolement et la séparation, mais comme un outil pour une meilleure gouvernance.
Un Liban ouvert et tolérant dans une région écrasée par la malveillance, le rejet de la différence, l’étroitesse d’esprit, la rigidité de pensée.
La charte nationale présentée par le patriarche est un document refondateur non pas pour le Liban de demain, mais pour le Liban tel qu’il doit être s’il veut continuer à exister. Il s’agit d’une nécessité vitale, non pas d’une vision utopique et irréaliste.
Les principes énoncés par le chef de l’Eglise maronite sont exactement les mêmes que ceux qui ont participé à la création du Liban contemporain. «Le Liban sera fait ensemble ou il ne sera pas»; «Ni Orient ni Occident»; «Plus qu’un pays, un message, un modèle de liberté et de pluralisme pour l’Orient et l’Occident»; «S’interdire d’être un point de passage ou un point de départ à des actions de nature à impliquer le Liban dans les conflits entre axes régionaux ou internationaux»… Elémentaires, certes, ces constantes nationales n’ont toutefois jamais été respectées, ou si peu, depuis l’indépendance du pays. C’est donc un vibrant appel à un retour au pacte originel, celui qui préserve le modèle libanais, et qui reste, malgré toutes ses imperfections – et elles sont nombreuses – une nécessité pour le monde arabe, s’il souhaite évoluer au cœur de l’histoire et non pas en marge de celle-ci. C’est de la réussite de ce modèle, surtout dans la dimension de la convivialité entre chrétiens et musulmans, que réside le salut des Arabes. Le patriarche Raï l’a bien compris, lorsqu’il prône «la participation du Liban à l’émergence d’un véritable renouveau arabe».
L’Eglise maronite ne se contente pas d’énoncer des principes, elle propose aussi une feuille de route, un mécanisme d’application susceptible d’empêcher le Liban de sombrer dans une crise inextricable, qui rendrait difficile, voire impossible, tout processus de refondation.
Présentées sous forme de «priorités» visant à sauvegarder l’Etat et les institutions, ces étapes se résument aux points suivants:
– Election d’un nouveau président de la République et promotion d’un dialogue interne.
– Elaboration d’une nouvelle loi électorale et organisation d’élections législatives.
– Formation d’un gouvernement.
– Poursuivre l’application de l’accord de Taëf.
– Combler les lacunes de Taëf, apparues lors de la mise en œuvre de cet accord. Il s’agit notamment de renforcer les prérogatives du chef de l’Etat.
– Réforme administrative et lutte contre la corruption et le clientélisme.
L’Eglise maronite a (re)dévoilé sa vision. Mais pour danser le tango, il faut être deux. Pour l’instant, personne ne s’est encore présenté sur la piste.

Paul Khalifeh

 

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