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Paul Khalifeh

Paradoxes libanais

Le Liban est divisé sans être partagé, uni sans véritable unité. La vie y est belle sans pour autant être facile ou prospère. Il est gâté par la nature. Château d’eau du Proche-Orient, ses robinets sont, néanmoins, souvent à sec. Il dispose, paraît-il, d’importantes richesses gazières et pétrolières, mais sa facture énergétique engloutit une grande partie de son budget. Son parc automobile compte deux millions de véhicules, alors que son réseau routier, souvent vétuste et en mauvais état, n’est pas assez développé. Le pays est relativement sûr, bien qu’il existe une arme dans chaque maison, sans compter les arsenaux des milices, libanaises, syriennes et palestiniennes, qui y sont implantées.
Il y a dans le monde trois fois plus de personnes d’origine libanaise qu’au Liban même; il y a au Liban presque autant d’étrangers que de Libanais.
La campagne de Waël Abou Faour a révélé la malpropreté et l’insalubrité de notre industrie alimentaire et du secteur de la restauration et, pourtant, notre cuisine reste une des meilleures au monde.
Les Libanais se plaignent sans arrêt de la corruption dans les administrations publiques, mais ils n’hésitent pas à verser des pots-de-vin et de généreux bakchichs pour détourner une loi ou pour accélérer une formalité, à laquelle ils ont normalement droit pour un timbre de 1000 livres. Tous, y compris au gouvernement, dénoncent les abus de pouvoir, les délits d’initiés, les détournements de fonds publics, mais rares sont ceux qui croupissent en prison pour répondre à de tels crimes.
Certains fonctionnaires touchent le salaire minimum, d’autres ont des émoluments qui peuvent atteindre soixante millions de livres par mois. Et personne ne trouve rien à y redire.
L’écrasante majorité des Libanais dénigre la classe politique, critique ses dirigeants et lui fait assumer la responsabilité de ses malheurs et de ses infortunes. Mais à chaque consultation populaire, cette même majorité se rend sagement au bureau de vote, glisse dans l’urne le nom du bey, de l’effendi, du cheikh, de l’istaz ou du zaïm, pour recommencer à se plaindre au lendemain des résultats des élections. Richard Von Krafft-Ebing diagnostiquerait, sans la moindre hésitation, un état de masochisme fort avancé.
Le Liban est construit autour d’une série de paradoxes et d’impossibilités, qui font ressortir un tas d’anomalies et de bizarreries suffisantes pour mettre à plat des pays bien plus solidement constitués que lui. Et pourtant, il est toujours là, debout, défiant les aléas de l’histoire et les inconvénients de la géographie.
C’est cette extraordinaire capacité de résilience du pays et de ses habitants qu’il faut admirer pour continuer à garder espoir et à croire en des lendemains meilleurs.
Et si les indispensables réformes institutionnelles nécessaires pour bâtir un Etat moderne sont impossibles à ce stade de l’Histoire du Liban, il faut continuer à se battre pour s’engager dans la voie de réformes administratives, économiques et sociales. A force de petits pas, on finira bien, un jour, par faire un grand bond.

Paul Khalifeh

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