Portée par ses souvenirs qui ne s’effaceront jamais de sa mémoire, Antoinette raconte: «Je savais que j’étais innocente. Au point que le jour du premier verdict, j’étais confiante et persuadée d’être libérée. J’ai préparé mes affaires et dit au revoir à mes amies de cellule».
«Etre, après cela, condamnée à mort a été un véritable choc. C’était terrible», dit, le visage triste et fermé, Antoinette Chahine, ancienne détenue dans le couloir de la mort. Cette femme d’une quarantaine d’années, a aujourd’hui recollé les morceaux du puzzle de sa vie brisée en janvier 1997 quand, à 26 ans, elle entend l’insupportable verdict qui a suivi son arrestation en 1994. A l’époque, elle se retrouve prise au piège des activités politiques de son frère Jean, membre des Forces libanaises, impliqué dans le meurtre d’un prêtre. Après la fuite de Jean à l’étranger, il a fallu trouver un coupable, ce sera Antoinette. Aujourd’hui, elle ne peut pas encore oublier ce qui s’est passé, elle ne le veut pas non plus. Elle a voulu, plutôt, en faire partie intégrante de sa vie en menant le combat quotidien pour l’abolition de la peine de mort. «Je suis contre la torture et la peine de mort, dit-elle. J’ai tout vécu. Quelqu’un doit parler. Je ne fais que mon devoir à l’égard des condamnés à mort, au Liban et ailleurs. Mon histoire s’écrit aux quatre coins du monde».
Puisque son histoire a fait le tour de la planète, Antoinette fera, elle aussi, le voyage pour partager ses souvenirs et ses douleurs en militant comme elle a pu le faire dans la dernière conférence nationale contre la peine de mort, qui a eu lieu à Beyrouth le mois dernier.
Avance-t-on vers l’abolition?
La peine capitale est inscrite dans le Code pénal libanais. Depuis l’indépendance, en 1943, des centaines de personnes sont condamnées à mort, 51 seront exécutées. De 1983 à 1993, à cause de la guerre civile, les exécutions sont gelées. Mais où en sommes-nous aujourd’hui? De 2004 à 2013, cinq propositions et projets de loi pour l’abolition de la peine de mort ont été proposés, dont un initié par la campagne mise en place par le Lacr (Lebanese Association For Civil Rights). Aucun n’a franchi la porte du Parlement.
Néanmoins Ogarit Younan, écrivaine et sociologue, initiatrice de la lutte abolitionniste au Liban avec Walid Slaybi, est optimiste. «J’ai vécu cette campagne dès ses débuts. Etre pour l’abolition, c’est dire non à la violence. La peine de mort est un problème global en soi qui n’est pas seulement la réponse de l’Etat à un crime commis par un particulier. C’est le résultat de toute une société, de l’éducation, d’un système économique, de la pauvreté, de la solution que l’on décide d’apporter aux problèmes. En bref, la question est de savoir si on doit tuer quelqu’un qui a tué?», commente-t-elle. Elle ajoute: «Il faut commencer par le début pour comprendre comment les choses ont évolué à ce jour».
Partant de ce principe, elle raconte… «Après la guerre civile en 1990, le Lacr a lancé la campagne en 1997. Ce qui nous a poussés à nous engager dans la rue, c’est ce qui s’est passé en 1994, quand l’Etat a soudain repris la loi 302/94 de 1959 − promulguée à la suite des conflits confessionnels et politiques qui ont presque amené à une guerre civile − qui stipule que «toute personne qui tuera sera exécutée».
Pendant la guerre, cette loi a été gelée car, comme le dit franchement, Ogarit Younan: «Nous n’avions pas besoin de cette loi, tout le monde s’entretuait. Mais en 1983, il y a eu quand même une exécution ordonnée par l’Etat, dans un jardin public près de Hamra, c’était horrible et cette personne n’aurait pas dû être tuée, c’était un schizophrène. C’est la loi de la violence et du pouvoir. Le sentiment qu’en faisant un tel acte, on donnera une leçon et on fera peur à d’autres qui respecteront alors l’Etat qui veut, surtout en période de guerre, montrer sa présence et affirmer son pouvoir…».
Cette loi reprise en 1994 a permis de procéder à quatorze exécutions. L’initiatrice de la campagne poursuit, l’air affligé, que «les juges devenaient des robots et ne pouvaient rien faire ou dire. Celui qui tuera sera tué, donc pas de circonstances atténuantes, pas de dossiers, pas d’explications, pas d’arguments, rien. Les juges eux-mêmes se sont révoltés et l’un d’entre eux a même dépassé ses prérogatives et publié un article affirmant sa désobéissance à la loi».
A cette époque, le Lacr et tous ceux qui le soutenaient sont descendus dans la rue pour protester et faire bouger la société. «Nous avons réussi à obtenir la non-application de cette loi et la dernière exécution ordonnée sera celle de 1998, sur la place publique de Tabarja, qui marquera fortement les esprits», explique Ogarit Younan.
Cette exécution barbare sur la place publique, comme elle pouvait l’être il y a des centaines d’années dans les pays que l’on qualifie aujourd’hui de développés, répondait à la curiosité de ceux qui souhaitaient regarder des hommes mourir. La militante se veut rassurante: «L’Etat, dit-elle, a reconnu que c’était une erreur magistrale. Depuis très longtemps, on n’avait plus vu cela au Liban, c’était même contre la loi depuis 1939. Les exécutions devaient être faites à huis clos et même le texte initial mentionnant la peine de mort a qualifié de barbares les exécutions publiques. C’était une épreuve de force de la part du président de la République de l’époque», déplore l’activiste.
L’histoire fut malheureuse: un cambriolage, qui a mal tourné, se termina en meurtre, quand la famille rentrant chez elle tombe nez à nez avec les voleurs. Des échanges de feu des deux parties s’en suivirent et l’un des deux cambrioleurs a abattu le couple. Sur la place publique, aucune différence entre les deux condamnés, même celui qui n’a pas commis de meurtre sera pendu face à la population qui en redemandait presque, telle une scène du film Braveheart, dont il faut resituer l’histoire au XIIIe siècle. Ici, au Liban, à Tabarja, c’était en 1998…
Ogarit Younan, témoin de la scène, décrit les images qu’elle a en tête «Tout le monde regardait la scène, il y avait des voyeurs un peu partout, sur les balcons, aux fenêtres, dans la rue, et ce qui était choquant c’est que beaucoup applaudissaient. Nous sommes venus, nous étions près d’une trentaine de personnes, notre présence était surréaliste. Qui êtes-vous? Pourquoi êtes-vous ici? Nous étions vêtus de noir et, autour de nous, les gens pensaient que nous portions le deuil, ils nous parlaient gentiment. Vous êtes de la famille des victimes? Non. La famille des condamnés? Non. Quand ils ont compris, les gens se sont montrés exaspérés. Comment osez-vous venir ici pour mener une action contre la peine de mort, là où la famille des victimes est présente, dans leur ville, comment osez-vous? Walid, fondateur de toute cette stratégie, a préparé cette action en une journée avec comme slogan sur la banderole «Nous portons le deuil des familles du premier crime et des familles du deuxième crime». C’était le coup de départ de cette lutte, cela fut un véritable tournant, c’était très fort.
Partout dans le monde, il y a des gens qui soutiennent la peine de mort. Au Liban, Ogarit Younan affirme: «On ne peut pas dire qu’une majorité de l’opinion publique soit pour l’abolition de la loi. Partout à travers le monde, même là où la peine de mort est abolie, une partie, voir même une majorité de l’opinion publique, est favorable à l’exécution. La peine de mort ne peut être abolie que par une personne, un chef d’Etat ou de gouvernement, un penseur qui a le courage et ose dire non à la violence et à la mort. Avoir un résultat concret et donner de l’espoir, tel est notre objectif à travers cette campagne».
Elle conclut: «Aujourd’hui, nous constatons que beaucoup plus de magistrats sont favorables à l’abolition de la peine capitale. La société civile est également de plus en plus engagée et je suis presque sûre − nous ne pouvons pas avoir de statistiques exactes − que l’opinion publique aussi évolue dans la bonne voie. Quand nous faisons un travail de fond et que nous donnons calmement certains arguments, les gens changent d’avis. Je pense que notre pays est en bonne voie».
Les trois dernières exécutions au Liban ont eu lieu en 2004. Depuis, le pays est en situation de moratoire de fait. Toujours fragile et sur une pente qui peut s’avérer glissante, notamment à cause d’une situation sécuritaire alarmante, la peine de mort n’est plus appliquée, mais il semble que garder cette éventualité ouverte permet de répondre aux voix qui s’élèvent toujours en faveur de l’application de cette peine, abolie dans la majorité des sociétés qui se battent pour les droits de l’homme. Aujourd’hui, 54 condamnés attendent la date de leur mort que normalement seul Dieu décide dans la grande majorité des croyances…
Anne Lobjoie Kanaan
Objectifs de la Conférence nationale
♦ Fédérer les militants abolitionnistes autour de la campagne libanaise contre la peine de mort.
♦ Faciliter la mise en réseau des
organisations ayant pour objectif l’éducation et la sensibilisation de l’opinion publique à l’abolition de la peine de mort.
♦ Mobiliser les avocats libanais pour la défense des individus encourant la peine capitale et les condamnés à mort.