Les négociations de paix sur la Syrie se sont achevées sans résultats tangibles, et aucune date n’a été fixée pour un troisième tour de pourparlers. Face à cet échec relatif, les deux camps se déclarent cependant toujours favorables à une résolution politique du conflit. En attendant, chacun replace ses pions et réaffirme ses positions sur le terrain, dans l’espoir d’avoir une posture avantageuse pour de futures et hypothétiques négociations.
«Je suis vraiment, vraiment désolé, et je m’excuse auprès du peuple syrien, qui avait de très, très grandes attentes, pour que quelque chose se passe ici». C’est sur ces paroles de l’émissaire de l’Onu pour la Syrie, Lakhdar Brahimi, que s’est achevé, samedi
15 février, le deuxième round de négociations
de Genève II, censé apporter une issue
politique au conflit syrien.
Depuis que les pourparlers de Genève ont commencé le 22 janvier dernier, 5 800 personnes ont été tuées en Syrie, selon les estimations de l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme, basé en Grande-Bretagne.
Incapable d’accorder autorités et opposition syriennes, Lakhdar Brahimi a préféré ne pas fixer de dates pour de prochaines négociations. «Dans ces dispositions, j’ai considéré qu’il n’était pas bon pour le processus de paix que nous revenions pour un autre round de négociations et que nous tombions dans la même impasse à laquelle nous avons fait face durant ce deuxième round et la majorité du premier», a-t-il dit. «Donc, je pense qu’il est préférable de renvoyer les parties concernées à leurs responsabilités: veulent-elles vraiment que ce processus aboutisse?».
A cette question, les deux camps ont répondu par l’affirmative, chacun faisant porter la responsabilité de l’échec des négociations sur les épaules de son opposant.
Sauver la face
Du côté du régime, le ministre des Affaires étrangères, Walid Moallem, a déclaré à l’agence syrienne Sana, lors du retour de la délégation syrienne à Damas, que «contrairement aux analyses des médias et aux réactions des ministres des Affaires étrangères français et anglais, le second round n’a pas échoué». Il a notamment accusé les Etats-Unis d’essayer de «créer un climat très négatif pour les négociations à Genève».
Même son de cloche du côté de l’opposition et de ses alliés occidentaux. «Aucun de nous n’est surpris par la dureté des pourparlers, ni par la gravité de la situation, mais nous devons tous reconnaître que l’obstruction du régime syrien a réalisé un progrès d’autant plus important», a déclaré le chef de la diplomatie américaine. John Kerry a invité le régime à œuvrer pour la création d’un gouvernement transitoire, sans quoi «il [allait] devoir porter la responsabilité de l’échec des négociations». «Il n’y a pas de pause dans la souffrance du peuple syrien. C’est pourquoi les parties et la communauté internationale doivent tirer profit de cette pause dans les pourparlers, pour réfléchir à la meilleure manière permettant de trouver une issue politique à cette horrible guerre civile».
Plus que de permettre la réflexion, cette pause dans les négociations laisse place à un repositionnement des deux camps, qui se focalisent désormais sur le terrain militaire.
N’ayant pas été en mesure d’obtenir par les négociations ce qu’ils n’ont pas su acquérir par les armes, pour reprendre les termes du ministre de l’Information syrien, les Occidentaux ont montré, dès la clôture des négociations, des signes indiquant un durcissement de leur politique et la volonté de peser davantage sur le terrain militaire.
Le premier indicateur est apparu dimanche 16 février, au lendemain de la clôture des négociations, lorsque le général Salim Idriss, chef du conseil suprême militaire de l’Armée syrienne libre (ASL), a été limogé.
Selon un communiqué signé par vingt-deux des trente membres du Conseil suprême militaire de l’ASL, «cette décision a été prise en raison de l’inefficacité du commandement ces derniers mois, et dans le but de prodiguer un réel leadership pour les opérations futures à mener contre le régime et les terroristes». Remplacé par le général Abdel-Ilah Bachir el-Nuaïmi, chef du conseil militaire de la ville de Qonaïtra, l’Armée syrienne libre semble porter son attention sur la partie sud du pays. Une source de l’opposition a confié au Daily Star que le général aurait payé le prix de son rapprochement avec le Qatar, ce qui aurait déplu à l’Arabie saoudite, important allié et bailleur de fonds de l’opposition, dont Ahmad Jarba, président de la coalition, est le protégé.
Ce remplacement survient une semaine après que le ministre de l’Intérieur du gouvernement provisoire, mis en place par l’opposition l’année dernière, eut annoncé sa démission, pour ensuite être rappelé par son président Ahmad Jarba, l’assurant de son soutien. La Coalition nationale syrienne semble donc vouloir resserrer les rangs, afin d’être plus efficace sur le terrain militaire.
Les livraisons d’armes sont le deuxième indicateur de la volonté de l’opposition de peser davantage sur le terrain. Le Wall Street Journal a révélé qu’en réaction aux échecs des pourparlers, des armements antiaériens allaient bientôt être livrés aux forces rebelles. L’article parle d’armements chinois, appelés «man-pads», devant être livrés par l’Arabie saoudite et d’autres contributeurs du Golfe, et transitant par la Turquie et la Jordanie.
Assad avance ses pions
Du côté du régime syrien et de ses alliés, la sérénité est de rigueur. L’Agence France Presse révèle que le régime a conclu des accords locaux avec les forces rebelles présentes autour de Damas, notamment dans les localités de Babila, Yalda, Sahm et Yarmouk au sud, Barzeh au nord, Qudsaya à l’ouest, et Beit au centre. Négociés par des personnalités locales, ces accords incluent une trêve, la levée du siège, le libre approvisionnement en nourriture, ainsi que la mise en place du drapeau national syrien. Intervenant quelques jours après la fin de Genève II, ces accords font contraste avec l’échec des négociations internationales et mettent ainsi Bachar el-Assad dans une position de force, qui obtient des accords sans l’appui ni l’aide de la communauté internationale. Plus qu’une victoire politique, ces trêves constituent avant tout une victoire militaire, montrant l’efficacité de la tactique du régime. Ces trêves interviennent en effet dans des localités contrôlées par les rebelles, mais assiégées depuis de longs mois par l’armée régulière. Asphyxiés, les rebelles se sont donc rendus au régime qui, brandissant symboliquement son drapeau, a rétabli son autorité.
Après la ville de Homs, le régime a également permis au Croissant-Rouge syrien de secourir la population de Moadamié, localité de la banlieue ouest de Damas, sous le coup d’une trêve depuis deux mois, mais dont l’accès était bloqué par les autorités depuis quinze mois. Khaled Erkoussi, le chef des opérations du Croissant-Rouge, a déclaré que 500 paquets de nourritures ont été distribués, appelant à une plus grande action envers les 10 000 habitants de Moadamié, qui ont subi en août dernier des attaques chimiques.
Ailleurs, dans les provinces d’Alep, de Hama et de Yabroud, les troupes fidèles au régime avancent «doucement mais sûrement», pour reprendre les termes utilisés par une source sécuritaire libanaise pour décrire l’avancée du régime sur les rebelles à Yabroud, zone frontalière avec le Liban.
Elie-Louis Tourny
Riyad durcit sa position
Craignant un scénario similaire à celui de la guerre en Afghanistan, où ses ressortissants, combattants pour le jihad, se sont retournés contre elle, l’Arabie saoudite a mis
dernièrement en place une sévère peine pour ses ressortissants jihadistes qui reviendraient au pays. Ce durcissement de position coïncide avec l’éviction du commandement de l’Armée syrienne libre du général Salim Idriss,
considéré trop proche des Qataris. Il ne reste plus qu’à espérer pour l’Arabie saoudite que ses nouvelles livraisons d’armements
antiaériens ne tombent aux mains des extrémistes, comme l’appréhendent justement ses alliés américains. L’Iran, grand ennemi des Saoudiens dans la région, serait quant à lui, selon le New York Times, sur le point d’envoyer des troupes d’al-Qods, les forces spéciales des gardiens de la révolution iranienne.