Magazine Le Mensuel

Nº 2937 du vendredi 21 février 2014

general

Her de Spike Jonze. La solitude comme seul miroir

En 1999, débarquait sur nos écrans un ovni décapant: Being John Malkovich, signé Spike Jonze. Impensable. Et pourtant il l’a fait. Plus de quinze ans plus tard, il signe un nouveau film hors normes qui surprendra plus d’un. Her.
 

Golden Globe du meilleur scénario original pour Spike Jonze, et pour cause, Her propulse le spectateur à Los Angeles, dans un avenir proche, plus proche qu’on ne voudrait, qu’on n’aimerait le croire. Theodore Twombly, magnifique Joaquin Phoenix, est un homme sensible au caractère complexe, en instance de divorce, et qui n’arrive pas à clore ce chapitre amoureux avec sa future ex-femme Catherine (Rooney Mara). Il est seul, plombé par sa solitude, dans sa solitude. Une solitude renforcée par son travail qui consiste à écrire des lettres personnelles et manuscrites pour des gens incapables de traduire en mots leur attachement envers leurs proches ou amoureux, alors que dans sa vie intime, ironie du sort, il n’arrive nullement à communiquer ses émotions. Et la vie passe, dans le quotidien, dans la routine, dans la solitude, au cœur d’une technologie de plus en plus avancée entraînant une véritable dépendance à Internet, aux réseaux sociaux, aux jeux et aux multiples outils virtuels. Theodore fait un jour l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur. Son OS (Operating System) s’appelle Samantha. La communication s’établit entre lui et cette voix féminine, intelligente, sensible, intuitive et drôle, magnifiquement rendue à l’écran à travers la voix de Scarlett Johansson. Et l’impensable arrive; ils tombent amoureux l’un de l’autre. Encore plus impensable, leur relation ne semble pas choquer l’entourage de Theodore, notamment sa voisine Amy, incarnée par une merveilleuse Amy Adams aux yeux de plus en plus pétillants.
 

L’amour au temps de l’informatique
Her est très loin d’être une simple comédie romantique, une simple romance de science-fiction, une histoire d’amour futuriste, avec ses hauts et ses bas, ses moments de joie et ses moments de dispute. C’est que le film de Spike Jonze se laisse découvrir dans ses multiples degrés de lecture, ou plus justement de visionnage. Il s’agit avant tout d’un film sur la solitude, cette extrême solitude à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux desquels, que nous le voulions ou non, nous nous rapprochons de manière inexorable. D’ailleurs, Spike Jonze, même dans le décor de cet avenir proche, n’est jamais parvenu jusqu’à l’outrance inconcevable. Le décor rétro-futuriste qu’il nous propose est plus que probable: des gratte-ciel voilés par la brume, un brouhaha urbain, des plans flous de citadins affairés, de métros bondés, des plages encore plus bondées, la ville plongée dans l’anonymat total, le désintérêt. Et ce détail qu’on ne peut que relever à propos de la tenue vestimentaire de tous les personnages, très «old fashioned», et qui renvoie finalement à l’image de solitude écrasante qui régit de plus en plus notre monde. En l’absence de l’autre, quel qu’il soit, l’image que l’on renvoie n’a plus aucune importance. La solitude est devenue le seul miroir ne réfléchissant que la solitude.
Dans la plus grande partie du film, le spectateur est seul face à Theodore, encore plus seul. D’images réfléchissantes en miroir scénique, Theodore représente la conscience de chaque spectateur, tout comme Samantha finit par devenir la conscience de Theodore. Pas d’échappatoire à la solitude, aux sentiments humains. Même quand Theodore se retrouve avec quelques amis, il est toujours comme habité par un malaise inexprimable, un manque de communication réelle, sauf lors de ses discussions avec sa voisine Amy. Amy qui prononce une des plus belles et plus troublantes phrases du film: «L’amour est la forme la plus acceptable socialement de l’insanité». Film sur la solitude, film sur l’amour, Her explore la profondeur des sentiments humains qu’on n’arrive toujours pas à sonder, qui ne cessent de nous préoccuper. Pour le Philadelphia Inquirer, Her s’impose comme: «une méditation exceptionnelle et mélancolique sur qui nous sommes et où allons-nous?» Un film sur la condition humaine, enrobé d’ingéniosité, de réflexion philosophique, de dialogues drôles et sérieux à la fois, d’humour, d’incertitude et d’émotions piquées à vif. 


Nayla Rached
 

Circuit Empire – Grand Cinemas.

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