Magazine Le Mensuel

Nº 2937 du vendredi 21 février 2014

à la Une

Les nombreux défis du gouvernement. Une trêve précaire

Après dix mois d’attente et de tergiversations, le gouvernement présidé par Tammam Salam a enfin vu le jour, samedi 15 février. Un cabinet qui n’est théoriquement en place que pour cent jours, avec de nombreuses échéances locales à respecter. Y parviendra-t-il?

La politique du compromis a visiblement fini par remporter la bataille. Alors que des problèmes paraissaient repousser encore une fois la formation d’un cabinet aux calendes grecques, Tammam Salam, Premier ministre désigné, il y a déjà dix mois, annonçait enfin, depuis Baabda, la formation de son gouvernement. Un gouvernement «rassembleur» selon ses termes, dont la tâche principale est de «préserver l’unité nationale». Suivant la règle des 3 x 8, le cabinet Salam répartit donc les portefeuilles entre le 8 mars, qui se voit attribuer notamment les Affaires étrangères, avec à sa tête Gebran Bassil, le 14 mars, qui gagne l’Intérieur et la Justice notamment, et les centristes nommés conjointement par Michel Sleiman, Walid Joumblatt et Tammam Salam.
Toutefois, penser que le plus dur a été fait, avec la formation de ce gouvernement qui aura pris plus de 300 jours, serait une erreur. Car de nombreux défis attendent justement le cabinet Salam, qui doit se lancer dans une véritable course contre la montre. Voire faire face à un véritable parcours du combattant.
Premier écueil, qui devra être surmonté, l’élaboration de la déclaration ministérielle. Mardi, lors de la première réunion du Conseil des ministres à Baabda, la commission ministérielle qui en sera chargée a été nommée. Composée de Boutros Harb, Ali Hassan Khalil, Mohammad Fneich, Gebran Bassil, Waël Abou Faour, Nouhad Machnouk et Sejaan Azzi, représentant chacun un bloc parlementaire du gouvernement, cette commission devra élaborer le plus rapidement possible le texte. Et déjà, même si les ministres concernés évoquent un «climat positif», les problèmes apparaissent. Que va donc contenir cette déclaration ministérielle, qui a, par le passé, posé tant de problèmes? Du côté du CPL, l’heure est à l’apaisement. Elias Bou Saab, fraîchement nommé ministre de l’Education, déclarait ainsi, au sortir de la réunion hebdomadaire du Bloc du Changement et de la Réforme, que «le texte de la déclaration ministérielle sera réduit, n’éliminera aucune partie et ne contiendra pas de règlements de comptes». A Magazine, le député du CPL, Farid el-Khazen, confie qu’il pense que «cette fois, la déclaration devrait être rapide et concise», afin de pouvoir au plus tôt, s’occuper des échéances à venir, la présidentielle et les législatives, qui seront «les véritables enjeux» de ce nouveau gouvernement. La rédaction de ce texte ne devrait pas être une simple promenade de santé. Depuis Maraab où il venait de s’entretenir avec le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, en compagnie d’une délégation du 14 mars, mardi soir, Marwan Hamadé a indiqué que «la déclaration ministérielle ne doit en aucun cas renfermer le fâcheux triptyque Armée-peuple-Résistance», cher au Hezbollah. Contacté par Magazine, Hamadé souligne que  «l’essentiel est d’éliminer une fois pour toutes ce triptyque qui donne une légitimité au Hezbollah que ni la Constitution, ni les accords de Taëf, ni la résolution 1701 des Nations unies ne lui accordent». Réagissant aux propos volontiers apaisants du CPL, Marwan Hamadé estime que «courte et concise» signifie sans doute que l’élimination du triptyque est «acquise». Il relève que la «déclaration de Baabda pourrait aussi poser problème, car le président Sleiman y est très attaché». «Je pense que ça sera plus difficile». «Pour que la déclaration de Baabda figure dans le texte, il faut que le Hezbollah sorte de Syrie».
Du côté du Moustaqbal, on sous-entend aussi que l’élaboration de la déclaration ministérielle dépend de la position du Hezbollah. Et veut rester ferme, fort des portefeuilles obtenus dans le cabinet. Le député Ammar Houri a ainsi souligné, mercredi matin, sur la Future TV, que «les forces du 14 mars accepteront uniquement une déclaration ministérielle en harmonie avec les convictions de toutes les composantes de cette alliance. Notre position est claire quant à la formule tripartite Armée, peuple et Résistance et la déclaration de Baabda. Ceci se traduira dans la déclaration ministérielle». La balle est donc dans le camp du parti de Dieu, qui pourrait choisir, compte tenu du contexte local et régional, de lâcher du lest ou pas. La solution pourrait être de ne mentionner ni la formule Armée-peuple-Résistance, ni la déclaration de Baabda, afin de contourner le problème et de ne pas se relancer dans des querelles sans fin. Cette option apparaît dominante dans l’entourage du Premier ministre, afin de tenter d’aplanir tout élément de désaccord entre les différentes composantes du gouvernement.  
 

L’étape de la présidentielle
Car une fois l’étape de la déclaration ministérielle surmontée, le gouvernement Salam devra se frotter à une échéance cruciale, celle de la présidentielle. Michel Sleiman a, plusieurs fois, indiqué qu’il partirait de Baabda le 25 mai, au terme de son mandat, comme le prévoit la Constitution. Le nouveau gouvernement parviendra-t-il à tenir les délais? Que se passera-t-il si ce n’est pas le cas?
Pour Marwan Hamadé, «les écueils qui attendent le gouvernement sont très grands». «L’ombre d’un conflit ouvert demeure», ajoute-t-il, même si le contexte régional a changé, par rapport à celui qui prévalait en janvier 2011, lors de la formation du cabinet Mikati, «sous hégémonie syrienne et l’influence de l’Iran d’Ahmadinejad». «L’équipe Salam bénéficie d’un contexte de crise régionale modifié, avec l’assouplissement de la politique iranienne voulue par Hassan Rohani et l’ébranlement total de Bachar el-Assad, qui se maintient grâce à un jeu de massacre», dit-il. Pour autant, s’il estime que «(le 14 mars) a gagné une manche, en étant solidement implanté dans le gouvernement», il reste «plus difficile de s’entendre sur un président que sur un portefeuille». Bien sûr, ajoute Marwan Hamadé, «il y a un signe précurseur d’une détente, mais elle ne peut pas aboutir à l’élection d’un président monochrome de couleur trop visible». Pour Farid el-Khazen, du CPL, «ce n’est pas le gouvernement qui résoudra tous les problèmes. Son succès se mesurera davantage à sa capacité à ne pas engendrer de nouvelles crises». Au sujet de la présidentielle, Khazen souligne que «le parcours qui mènera jusqu’à la présidentielle est à la fois dépendant et indépendant du gouvernement». «C’est une bonne chose pour la stabilité du pays, un bon exemple, cela peut faciliter les choses même, mais du point de vue politique, ce sont les partis qui décideront de nommer le président, pas le gouvernement». Autrement dit, après un vide gouvernemental de dix mois, les Libanais seraient en droit de s’attendre à un vide présidentiel, comme celui qui avait succédé au départ d’Emile Lahoud.

 

Quid du Parlement?
En attendant que les différentes parties s’accordent sur le nom du futur chef de l’Etat, les commandes du pays reviendraient donc, conformément à la Constitution, au gouvernement. «Le cabinet Salam serait une bouée de sauvetage pour se maintenir à flot pendant quelques semaines ou quelques mois. Cela dit, on ne doit pas priver les maronites de cette fonction», souligne Marwan Hamadé. «Ce gouvernement doit être une sorte de moteur qui nous pousse à élire un président. Mais les ambitions personnelles peuvent parfois bloquer», ironise-t-il.
Si l’ensemble des parties politiques s’accordent sur la nécessité d’avancer rapidement vers la présidentielle, tout n’est pas acquis. Pourrait-on alors s’engager dans une prorogation du mandat de Michel Sleiman, même si celui-ci y semble hostile, si la situation l’exigeait? Du côté du CPL, on n’y tient pas, sans surprise.
Quant à Marwan Hamadé, s’il se prononce «contre la prorogation dans le principe et contre les militaires au pouvoir», il souligne tout de même que «Michel Sleiman a prouvé qu’il pouvait faire l’affaire, le temps que le climat se calme et qu’il y ait une nouvelle Chambre. Les événements et les députés peuvent le lui imposer, sauf ceux, bien sûr, qui visent ce poste».
La vacance présidentielle pourrait succéder au vide gouvernemental. Un vide d’autant plus gênant que le Parlement, qui s’était autoprorogé l’an dernier, verra de toute façon son mandat expirer le 25 novembre prochain. Avec toujours, l’inconnue concernant la prochaine loi électorale. Le projet de loi orthodoxe semble relégué aux oubliettes, mais aucune nouvelle proposition n’a pour l’heure émergé. Hamadé ne voit pas de modification importante dans une nouvelle loi, à part peut-être un «réajustement dans les cazas», ou la mise en place de «quotas féminins».
Le cabinet Salam a donc du pain sur la planche, dans un laps de temps très court et une conjoncture pour l’heure en sa faveur. Mais les dossiers qui s’annoncent sont complexes. Sans oublier ceux, tout aussi difficiles, du sauvetage d’une économie exsangue, ou encore le retour de la sécurité, comme l’attentat perpétré mercredi matin à Bir Hassan vient de le rappeler.
La détente apparente, concrétisée par un rapprochement subtil entre Michel Aoun et Saad Hariri et le parapluie franco-américain associé à un possible apaisement entre l’Iran et l’Arabie saoudite dans les mois 
qui viennent, lui en donneront-ils les moyens?

Jenny Saleh
 

Photo retouchée
La photo officielle de la nouvelle équipe ministérielle présidée par Tammam Salam, prise à Baabda dès la publication des décrets de sa formation, a suscité des remous. Le président Nabih Berry, raconte un ministre, était arrivé au palais présidentiel avant les ministres, conformément au 
protocole. Les présidents Michel Sleiman et Tammam Salam lui ont communiqué la formule finale avant d’en faire l’annonce et de convoquer les concernés à se présenter pour la photo officielle, à 13 heures. Ce qui fut fait à l’heure prévue en l’absence de deux ministres retardataires. A ce moment précis, le président Michel Sleiman annonce leur arrivée, mais le président Berry, qui devait prendre l’avion pour le Koweït, n’a pas voulu patienter bien que les présidents Sleiman et Salam aient tenté de le retenir.
Une deuxième photo avec l’équipe au grand complet a fini par être prise, le président Sleiman ayant sollicité les services de son conseiller pour l’information, Adib Abi Akl, qui a posé à ses côtés. Le photoshop s’est occupé du reste en substituant la photo du président de la Chambre à celle d’Abi Akl. L’affaire de la retouche a fait les choux gras des commentateurs sur les réseaux sociaux.

Nasrallah tire la couverture à lui
S’exprimant dimanche à l’occasion de la 
commémoration des martyrs du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah a bien évidemment évoqué la formation du gouvernement, 
intervenue la veille. Il a estimé que le parti de Dieu avait «pavé la voie à la formation du gouvernement» et qu’il continuerait à soutenir «l’Etat, le dialogue et le partenariat». A ceux qui ont accusé le Hezbollah, et plus globalement 
le 8 mars, de retarder la formation du cabinet, 
Nasrallah a rétorqué que «ce qui a bloqué ou retardé pendant dix mois la naissance du 
gouvernement n’est pas la rotation ni la 
distribution des portefeuilles ministériels, mais bien le fait que le camp adverse revendiquait un gouvernement neutre et apolitique pour nous mettre à l’écart».
Visiblement satisfait du gouvernement Salam, le sayyed a souligné: «Nous (Amal et le Hezbollah, ndlr), nous sommes rendu compte que nous étions forts, au Liban et dans la région, et que nous n’avons jamais été aussi forts durant les trois dernières années».
Selon lui, il était impossible pour le Liban de se doter d’un gouvernement «neutre ou du fait accompli», qui «aurait provoqué une crise dans le pays», alors «nous avons accepté la formule des trois 8, quitte à ce que nous perdions un de nos ministres chiites». Nasrallah a aussi estimé qu’ils avaient fait «le plus de sacrifices, même au niveau de la distribution des portefeuilles que nous n’avons pas revendiqués».
Toutefois, il a modéré l’enthousiasme de certains en soulignant que le gouvernement n’était «pas rassembleur», mais plutôt «consensuel, ou 
d’intérêt national, qui servira à diminuer la tension de la rue et à paver la voie au dialogue». «Cela devrait nous pousser en tout cas à œuvrer pour l’élection d’un nouveau président et la 
formation d’un nouveau cabinet», a-t-il ajouté.

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