Une série de coups de maître ont permis de démanteler un réseau terroriste, impliqué dans les attentats suicide frappant le Liban, et de désamorcer plusieurs voitures piégées. Ces arrestations permettront-elles d’affaiblir l’activité des organisations radicales tels le front al-Nosra et l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), malgré l’attentat, mercredi, contre le Centre culturel iranien?
A la fin de la semaine passée, des soldats de l’Armée libanaise ont poursuivi une voiture suspecte du type Rav 4 sur une route utilisée par les contrebandiers passant par Toufeil, évitant ainsi les barrages de l’armée. Le véhicule intercepté, dont le conducteur a pris la fuite, contenait 240 kilogrammes d’explosifs. La Rav 4 contenait également dix kilos de matières inflammables et deux obus. Les explosifs, reliés de manière sophistiquée à deux téléphones, devaient être déclenchés après la première sonnerie. L’opération de désamorçage a nécessité l’intervention d’un deuxième expert militaire, la charge étant dispersée dans les différentes parties de la voiture. Le véhicule venait de la région du Qalamoun, en Syrie. «Ces arrestations sont pour la plupart le fruit d’une collaboration avec le Hezbollah et sur la base de renseignements fournis par les services de renseignements américains, qui ont ainsi pu localiser plusieurs voitures piégées se trouvant au Liban», précise un officier de l’Armée libanaise, s’exprimant sous couvert d’anonymat. Cette collaboration a également facilité l’arrestation de Naïm Abbas, un responsable des Brigades Abdallah Azzam, identifié après l’interrogatoire du cheikh Omar el-Atrache. Abbas est accusé d’avoir planifié plusieurs opérations terroristes, notamment dans la banlieue sud de Beyrouth.
Son arrestation avait permis de désamorcer deux voitures piégées par l’armée, l’une à Mazraa (Beyrouth) et l’autre à Laboué (Békaa). Cela a également mené à la découverte de roquettes déployées à Debbiyé, dans le Chouf, en direction de la banlieue sud de Beyrouth.
Ce sont les aveux de Naïm Abbas, peu après son interception, qui avaient permis de démanteler une partie du réseau, entraînant l’arrestation de trois femmes originaires de Ersal, dont l’une serait impliquée dans le transfert d’une voiture piégée devant être remise à un individu se trouvant dans une localité proche. Le véhicule était destiné à une opération kamikaze à Baalbeck ou au Hermel.
Naïm Abbas serait également responsable de l’attentat suicide de Choueifate. «Les informations sécuritaires disponibles mettent en exergue l’implication de ressortissants syriens dans les derniers attentats de la Békaa et celui de Choueifate», souligne l’analyste Kassem Kassir, spécialiste des mouvances radicales.
Le repaire de Yabroud
Par ailleurs, le juge d’instruction militaire, Fadi Sawan, a interrogé, en début de semaine, Abdel-Majid Hmeidan, Mohammad Ali et Alaa el-Mohammad, accusés d’appartenir à une organisation terroriste liée à al-Qaïda. Les trois individus seraient des membres de l’EIIL. Ils se seraient rendus en Syrie, dans le Qalamoun, où ils auraient rencontré le représentant de l’EIIL, Aboul-Kheir. «La localité de Yabroud en Syrie joue un rôle déterminant dans le terrorisme au Liban, cette dernière étant un repaire pour les voitures piégées devant être acheminées vers le Liban», signale Kassir.
Le juge Sawan a également émis un mandat d’arrêt contre les trois suspects et contre Omar el-Satem, membre de l’EIIL, qui se trouverait en Syrie. Ce dernier aurait endoctriné son jeune cousin, Qutayba el-Satem, impliqué dans l’attentat suicide de Haret Hreik exécuté en janvier dernier dans la banlieue sud de Beyrouth, où quatre personnes sont tuées et 77 autres blessées.
Ces trois suspects n’ont toutefois pas été les seuls à avoir occupé les devants de la scène. Le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire, Sakr Sakr, a engagé des poursuites contre Nawaf Hussein en raison de son appartenance aux Brigades Abdallah Azzam. Nawaf Hussein aurait des liens avec Naïm Abbas et Ahmad Taha, ainsi que d’autres personnes appartenant aux Brigades Abdallah Azzam, à l’EIIL et au Front al-Nosra.
Toutefois, dans les milieux palestiniens, on estime que l’appellation générale de l’EIIL pourrait prêter à confusion, ses membres et ceux du Front al-Nosra gravitant tous dans le même cercle dans les camps palestiniens.
Selon Kassir, les récents coups de filet ayant permis de découvrir les réseaux chargés de piéger les voitures et de les transférer au Liban afin de les remettre aux kamikazes, pourraient affaiblir ces derniers. «Le fait que ces réseaux n’aient sans doute pas de structure hiérarchique laisse présager l’éventualité que de nouvelles cellules puissent voir le jour, les nébuleuses terroristes n’étant généralement pas reliées entre elles, afin de préserver leur anonymat», ajoute Kassir. L’arrestation de Naïm Abbas a été suivie de plusieurs autres tentatives de transférer au Liban de nouvelles voitures chargées d’explosifs. L’attentat, revendiqué par les Brigades Abdallah Azzam, ayant frappé Bir Hassan, confirme cette tendance.
Mona Alami
Les jihadistes au Liban
La localité rebelle de Yabroud se situe dans une région frontalière du Liban. De violents combats se déroulaient, depuis la semaine passée, entre les forces du régime et des brigades islamistes locales, ainsi que des jihadistes du Front al-Nosra. Les affrontements se concentrent autour de Ras el-Maara et al-Sahel, où l’armée syrienne et le Hezbollah tentent de resserrer leur emprise sur la région. «Une victoire de l’armée syrienne dans cette région mènera sans doute à l’affaiblissement des réseaux au Liban. Mais le danger principal réside dans l’éventualité que des jihadistes traversent la frontière et se transforment en kamikazes», commente l’expert Kassem Kassir.
Le message des brigades Azzam
La semaine dernière, les Brigades Abdallah Azzam ont diffusé, en soirée, sur leur compte Twitter, un enregistrement de 18 minutes montrant le double attentat suicide, perpétré à Beyrouth le 19 novembre dernier. Dans cette vidéo, Mouïn Abou Dahr indiquait que cette attaque «causera de grandes pertes à l’ennemi». Il assure avoir décidé de déclarer la guerre à l’Etat criminel (en allusion à l’Iran, ndlr) en raison de sa guerre menée contre les musulmans, de son soutien au régime «qui tue nos frères en Syrie», de son appui au Hezbollah au Liban et de sa «protection de la frontière du Liban-Sud avec l’ennemi israélien». «J’ai eu l’honneur de participer aux combats à Abra (aux côtés du cheikh sunnite en cavale Ahmad el-Assir), afin de défendre notre région et nos mosquées, après la couverture assurée par l’armée au parti de l’Iran (le Hezbollah, ndlr)», ajoute Abou Dahr quelques minutes avant l’attaque, selon la vidéo. Le groupe avertit ensuite: «Le Hezbollah iranien et ses intérêts au Liban sont pour nous des cibles légitimes». Il assure qu’il combattra le parti chiite «par les moyens qu’il juge appropriés, jusqu’à ce qu’il retire ses combattants de Syrie», lui faisant assumer la «responsabilité des conséquences». Les Brigades Abdallah Azzam ont démenti, après l’arrestation de Naïm Abbas, que l’un de leurs responsables ait été appréhendé au Liban. Les Brigades ont annoncé aussi avoir fondé «l’association Ouzaï de production médiatique», dont le but est de «dévoiler les vérités, montrer les faits et publier les informations concernant les opérations militaires des jihadistes». Kassir estime que ce communiqué tend à remonter le moral des membres de l’organisation après la série d’arrestations l’ayant touchée.