Roula Yaacoub, Manal Assi, Margaret Tannous… Toutes décédées sous les coups de leurs maris. Des femmes de plus victimes de la maltraitance. A ce jour, et malgré les campagnes de sensibilisation, on estime que trois quarts des femmes libanaises ont subi un jour ou l’autre des violences physiques de la part d’un homme. Etat des lieux et témoignages.
Selon Kafa, une organisation libanaise qui lutte contre l’exploitation et la violence envers les femmes, «trois quarts des femmes libanaises ont subi, à un moment ou un autre de leur vie, des violences physiques de la part de leurs maris ou d’autres hommes de leur entourage. Dans le système démocratique multiconfessionnel du Liban, les affaires de violence domestique sont portées devant l’un des quinze tribunaux religieux ou dits des affaires familiales dont les lois remontent à l’ère ottomane. Le nouveau projet proposé stipule que la violence domestique ne relève plus de la compétence des tribunaux religieux, mais de celle du système judiciaire civil et ne dépend plus des spécificités confessionnelles, donnant les mêmes droits à toutes les femmes indépendamment de la confession ou de la communauté auxquelles elles appartiennent. Or, à ce jour, le Parlement n’a rien fait».
Il existe plusieurs types de maltraitance: physique, sexuelle et psychologique. Toutes peuvent conduire à la mort. Les violences physiques sont celles qui se remarquent le plus du fait qu’elles laissent des traces. La victime est carrément frappée avec la main et parfois à l’aide d’objets. Elle est également jetée contre le mur ou par terre, à coups de pied; elle est brûlée, griffée et bâillonnée pour étouffer ses cris… l’imagination des acteurs de la violence peut être sans limites quand il s’agit de s’en prendre physiquement à l’autre. Les violences sexuelles: viol, inceste, attouchements, obligation à se plier à des désirs dits pervers pouvant aller jusqu’à la prostitution obligatoire… Et les violences psychologiques aussi dangereuses mais plus difficiles à cerner et à prouver tels les injures, l’indifférence totale, le mépris, la malnutrition, les humiliations, les négligences délibérées, l’absence de soin et les agressions verbales…
Témoignages
Janine est une belle jeune femme divorcée et mère de deux enfants. Trois ans après le mariage, son mari médecin commence à la maltraiter jusqu’au jour où les choses se sont dégradées de manière inquiétante. «Le premier passage à l’acte a eu lieu pour une futilité. Un soir, mon mari rentre de mauvaise humeur et affamé. Il me trouve occupée avec le bébé et entre dans une rage folle. Il me tire par les cheveux et m’entraîne à la cuisine. Il me prend par le cou et me plonge littéralement le visage dans le plat que notre cuisinière avait préparé, en hurlant: «Il n’a aucun goût» et tu vas le payer cher. J’étais sidérée. Les choses ont fini par s’arranger… Deux ans plus tard, cela reprend. Jean me bat pour un oui et pour un non. Je lui trouvais toujours des excuses et n’osais en parler à personne, jusqu’au jour où il m’a tellement frappée que j’ai été hospitalisée. J’ai compris alors qu’il ne changera jamais. J’ai mis vingt ans pour m’en sortir et avoir le courage de le quitter».
Elise, elle, n’a jamais eu le courage de quitter ce mari qui la malmène tant. Mère de trois enfants, elle craint qu’il ne se venge en les accaparant et en les éloignant d’elle. «Marwan est cultivé, posé et il m’a séduit par son caractère fort et déterminé. Nous avons vécu dans l’harmonie et la joie pendant quatre ans, et puis sa vraie nature a pris le dessus. Sa violence était verbale au début. Il me critiquait sous n’importe quel prétexte. Il n’hésitait pas à m’insulter devant nos familles respectives et devant nos amis. Mais il regrettait aussitôt après son attitude et m’entourait de sa tendresse et de sa gentillesse. Nous avons eu trois enfants et j’oscillais entre l’amour et la haine, ne comprenant pas son attitude destructrice. Après dix ans de mariage, sa violence verbale est devenue physique. J’ai reçu un coup au moment où je m’y attendais le moins. Comme mon père était violent avec ma mère, je me suis mise en tête que, peut-être, je le méritais. Que c’était notre sort de femmes. Je n’ai jamais pensé le quitter. Mes enfants étaient ma priorité et je ne pouvais concevoir ma vie sans eux».
Les femmes, victimes de violence conjugale, sont souvent très seules. D’une part parce que ce n’est pas gratifiant d’être battues ou violées, elles gardent donc le silence et ce secret reste enfoui dans leurs foyers. D’autre part, elles ont peur de déchaîner plus de violence en osant en parler. Les proches sont souvent dans le déni et essaient de relativiser par crainte du scandale et du qu’en-dira-t-on. La victime a tendance à se dire «ça va s’arranger» et l’agresseur «je ne suis pas violent, c’est juste une réaction du moment qu’elle a, elle-même, provoquée». Mais il faut savoir que plus on intervient vite et plus on a de chances d’être écoutées et de stopper la machine infernale qui s’est mise en place. Les enfants sont souvent témoins et victimes, mais aussi otages des auteurs de violence qui les utilisent en leur faisant du chantage. Les personnes violentes appartiennent à tous les milieux. On serait surpris de constater que des individus, éduqués et raffinés en apparence, versent dans ce cycle parfois infernal. Selon les psychologues, les personnes maltraitées dans leur enfance ont tendance à répéter le même schéma avec leurs femmes. Le recours à une thérapie de couple peut s’avérer intéressant dans ces cas, mais la difficulté vient du fait qu’il est extrêmement difficile de convaincre un homme de l’accepter, d’autant plus que les hommes violents sont souvent convaincus que leur déchaînement est provoqué par leur compagne et non par leur personnalité.
Danièle Gergès
Comment affronter la violence?
Toutes celles qui se reconnaissent comme victimes de maltraitance doivent savoir qu’une autre vie est possible, quelles que soient les difficultés pour y parvenir. Sortir de ce cercle vicieux et difficile, voire
douloureux, demande courage et
détermination, mais on y gagne la vie qui mérite d’être vécue.
n Se confier immédiatement à des membres de la famille en qui on a confiance ou à des amis proches. Des confidences qui servent à donner la force d’affronter l’autre, mais qui
serviront aussi à nourrir les témoignages devant un tribunal si on s’y adresse. En
l’absence de témoins, c’est la parole de la
victime contre celle du coupable. La plupart des instances religieuses considèrent que la femme victime de maltraitance doit «supporter» son sort pour préserver son foyer, mais celle-ci ne doit en aucun cas continuer à se taire.
n Constituer un dossier de preuves:
photographier sur-le-champ ses bleus et ses blessures éventuels et faire constater ces séquelles physiques par la police judiciaire. Certes, les autorités policières n’interviennent pas avec détermination quand elles reçoivent des plaintes de maltraitance, cependant, cette étape est nécessaire.
n Demander l’aide des associations qui se consacrent aux femmes agressées et qui sont équipées pour vous aider à faire face.
Kafa: (01) 391 220 – (03) 018 019.