Ersal, petite bourgade frontalière, semble s’être transformée en véritable «Far West», une zone sans foi ni loi, abandonnée par l’Etat. Accueillant plus de 80 000 réfugiés syriens dont de nombreux combattants qui fuirent les combats du Qalamoun, encerclé par le Hezbollah, la ville frontalière de Ersal est devenue une extension de la Syrie. Magazine enquête.
La petite route remontant vers Ersal à partir de Laboué est constamment embouteillée par de nombreux véhicules, les voitures passant lentement au niveau d’un barrage du Hezbollah érigé en bas de la montagne. Les passagers d’un taxi sont soudain interpellés: «Syriens? Descendez, levez les mains au-dessus de la tête et dirigez-vous vers le poste pour être fouillés», ordonne un jeune militant. Notre voiture subit le même sort, sans toutefois que l’on nous demande de quitter le véhicule. «Descendez les vitres», m’enjoint-on. Cette technique, paraît-il, permettrait de s’assurer que les portes de la voiture ne sont pas piégées.
Dans le village de Ersal, par dizaines, des camions et des 4×4 conduits par des Syriens, sans plaques d’immatriculation, sillonnent les ruelles étroites. «Nous disposons en principe de huit membres des Forces de sécurité intérieure dont seulement quatre sont en fonction simultanément pour une population de plus de 120 000 personnes, dont 40 000 Libanais seulement. La police est débordée et ses ressources limitées», explique Ahmad Fleety, un membre de la municipalité de Ersal.
La chute de Yabroud aux mains de l’armée syrienne aggraverait la situation sécuritaire déjà très précaire. Ersal, qui se trouve en bordure de la frontière, s’est naturellement transformée en un camp de réfugiés syriens à ciel ouvert. De nombreux combattants tel Abou Ghazi, de l’Armée syrienne libre, y ont laissé leurs familles à l’abri, tout en faisant le va-et-vient à intervalles réguliers. Interrogé sur la possibilité de combattre à partir de Ersal dans le cas où le Qalamoun tomberait aux mains du Hezbollah et de l’armée syrienne, Abou Ghazi esquive la question. «Yabroud résistera».
De nombreuses voitures piégées, acheminées de Yabroud, traversent Ersal frontalière à destination du Hermel ou de la banlieue sud. Mais les attentats terroristes ne sont pas les seuls à être associés à la localité. En effet, la crainte des enlèvements s’est multipliée dans cette ville depuis le début de la crise syrienne. Un gang comprenant à la fois des Libanais et des Syriens est impliqué dans les kidnappings devenus un vrai business. Ces gangs sont liés aux réseaux traditionnels de la drogue et du trafic d’armes opérant depuis des décennies dans cette région.
Un officier de l’Armée libanaise, parlant sous couvert d’anonymat, a signalé une tentative d’enlèvement mercredi 26 février de deux journalistes étrangers. «Deux journalistes de sexe féminin se trouvant à Ersal pour des entrevues ont été suivies sur le chemin du retour par un véhicule ayant tenté de les intercepter, mais l’armée est intervenue à temps», souligne l’officier.
Deux autres journalistes, un Européen et un Libanais, ont également disparu dans le secteur de Ersal. Cependant, les familles des otages préfèrent garder l’identité de leurs proches secrète afin d’éviter de porter préjudice aux négociations en cours.
Ces enlèvements sont souvent organisés par des personnes servant d’intermédiaires aux journalistes étrangers. Ahmad Fleety lie ces incidents à des questions politiques. «Les deux derniers journalistes ont été enlevés par les rebelles syriens après la diffusion de leurs entretiens avec ces derniers sur al-Mayadeen au lieu de stations étrangères comme convenu», assure-t-il. Certains rebelles associent la télévision al-Mayadeen au Hezbollah et au régime Assad.
L’exode continu de réfugiés et de combattants vers Ersal à partir de Yabroud va sans doute accentuer encore plus la vulnérabilité de la ville. La chute de Yabroud va certainement aggraver l’anarchie qui y règne et attiser des tensions ayant déjà atteint un niveau maximal.
Mona Alami
Enlèvements
Ce n’est pas la première fois que Ersal se retrouve sous les projecteurs en raison de l’insécurité y régnant. Hussein Hallak était lié en 2011 à l’enlèvement de sept cyclistes estoniens qui se sont retrouvés otages en Syrie avant leur libération dans des conditions mystérieuses. En 2012, la ville a connu de nouveaux enlèvements. Krikor Vossian, un Arménien se rendant tous les mois à Ersal, a été enlevé pendant quelques jours dans la zone frontalière. D’autres enlèvements comme celui de Hussein Kamel Jaafar, ont été suivis par d’autres en représailles.