Magazine Le Mensuel

Nº 2939 du vendredi 7 mars 2014

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Michel Sleiman. Fin de mandat musclée

En vampirisant la vie politique du pays, la guerre en Syrie a donné une tout autre dimension à l’action présidentielle de Michel Sleiman, fortement soutenu par la communauté internationale. A quelques semaines de la fin de son mandat, le chantre du consensus et du dialogue s’affirme comme un homme à poigne qui n’hésite pas à user de ses prérogatives pour imposer son agenda. Au grand dam des détracteurs.

Vendredi 28 février, à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (Usek), quelques heures avant de s’envoler pour Paris où la communauté internationale se réunit au chevet du pays (voir encadré), le chef de l’Etat affichait un visage empli de gravité. Il sait que le discours qu’il s’apprête à lire fera du bruit. C’est exactement ce qu’il recherche. Première salve, «la terre, le peuple et les valeurs communes forment le triptyque en or pour la patrie, le seul à même de lier son passé à son futur». Deuxième salve, «à l’occasion de la discussion de la déclaration ministérielle, j’appelle toutes les parties à ne plus s’accrocher à des équations rigides et à une langue de bois qui entravent la mise au point de ce texte». Troisième salve, «la déclaration de Baabda est devenue partie intégrante des constantes et se situe à un niveau équivalent au pacte national».
 

Face au Hezbollah
En trois phrases, le président a piqué le Hezbollah au vif, réveillé le nouveau-né gouvernemental qui somnole dans les bras confortables de la commission de rédaction de la déclaration ministérielle (voir encadré) et rappelé sa prééminence sur le dossier. Une stratégie qu’il a fait sienne depuis plusieurs mois.   
Le déchaînement de la crise syrienne au Liban a dynamité le processus de conciliation né à Doha en 2009 et contraint le président Sleiman à changer de braquet. Au gré de l’escalade communautaire et régionale qui s’est mise en place en Syrie, les conférences de dialogue entre les composantes chiite et sunnite du pays sont rapidement devenues inopérantes. Aux yeux de la présidence, le Hezbollah, ostensiblement allé combattre en Syrie, a rompu le contrat de confiance qui les liait. Après tout, la déclaration de Baabda, paraphée par le parti le 12 juin 2012, stipule explicitement la primauté de la politique de distanciation, acquis que le président présente systématiquement à ses partenaires étrangers.
En découle un autre désaccord beaucoup plus profond, qui tient plus à la fonction présidentielle qu’à l’homme qui en assure la charge. Les premières divergences de fond entre Baabda et Dahié apparaissent au grand public le 1er août dernier, à l’occasion du 68e anniversaire de l’armée, lorsque le président déclarera qu’il est temps que l’Etat soit «le seul décideur de l’utilisation des capacités de défense du pays». En accolant la question de la stratégie nationale de défense à la conférence du dialogue national, le chef de l’Etat n’en a pas reporté l’examen aux calendes grecques. La paralysie de la vie politique du pays a pu le faire penser, mais il l’a en fait inscrit, à juste titre d’ailleurs, à l’ordre du jour des négociations susceptibles de pacifier durablement le pays.
Alors que le président voit le retour dans le giron de l’Etat de la décision de guerre comme une restauration de l’autorité des institutions dont il est le garant, le Hezbollah y voit une attaque en règle contre la Résistance. Le premier personnage de la République, qui a dirigé l’Armée libanaise, sait l’importance essentielle de la lutte contre l’ennemi, lui qui, à l’Onu, a multiplié les plaintes officielles contre les violations israéliennes du territoire national. Toutes ses postures lui ont permis de renforcer sa stature auprès des instances internationales et des chancelleries étrangères.
C’est l’une des modifications de la gouvernance de Michel Sleiman. Après avoir joué la carte du dialogue et du consensus, le président s’est élevé au-dessus de la mêlée et a enfilé le costume du chef d’un Etat qui subit les affres de la crise syrienne, et auquel la communauté internationale se doit de venir en aide. Lorsque son homologue français François Hollande a ouvert mercredi la deuxième réunion du Groupe international de soutien au Liban (GIS), Michel Sleiman et son équipe diplomatique, l’une des plus actives à Baabda avec la cellule sécuritaire, ont déjà calé les principaux chantiers. A leur tête, celui de l’humanitaire.
En s’adressant aux représentants des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, de l’Union européenne, de la Ligue arabe, du Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR), de la Banque mondiale, du Pnud, de l’Allemagne, de l’Arabie saoudite, de l’Espagne, de la Finlande, de l’Italie et de la Norvège qui participent également à la conférence au titre de leurs contributions diverses, le président libanais a expliqué que «l’afflux de réfugiés syriens représente un danger existentiel qui menace l’unité libanaise». Le renforcement des forces armées libanaises et le soutien à l’économie par l’intermédiaire d’un Fonds créé par la Banque mondiale et l’aide aux réfugiés sont également à l’ordre du jour du GIS. Objectif, «prendre de nouvelles mesures dans un contexte qui s’aggrave, puisque la crise syrienne se prolonge», expliquait l’Elysée quelques heures avant l’ouverture de la conférence.
Après avoir remercié l’Italie et l’Arabie saoudite pour les aides matérielles et financières apportées à l’Armée libanaise, le président a déclaré espérer que l’armée soit capable de mettre en œuvre la stratégie de défense qu’il a proposée à la table de dialogue lors des réunions de Baabda, soulignant qu’il revient à l’armée seule de protéger le Liban. Une façon d’apposer à son programme politique au Liban un label international qui le rendrait incontournable, en somme.
Selon les délais prévus par la Constitution, l’élection présidentielle devra avoir lieu entre le 25 mars et le 25 mai. Une échéance à laquelle le locataire actuel de Baabda semble s’être préparé. «La présidence de la République n’est pas née avec mon mandat et ne finira pas avec mon départ. Je refuse de considérer le défaut de quorum comme une pratique démocratique. Mon ambition est de prononcer mon discours d’adieu et j’ai donné l’ordre pour qu’on entame sa rédaction», a-t-il récemment déclaré dans une interview à une revue juridique. Dans ses interventions publiques, les intentions du président ne font aucun doute: il veut des élections présidentielles.
Autre signe de cette volonté, son appel à accélérer la rédaction de la déclaration ministérielle. A écouter le leader du Courant patriotique libre (CPL), Michel Aoun, les deux questions sont intimement liées. «La déclaration ministérielle n’est pas une solution en soi, et le gouvernement n’a pas été formé pour trouver des solutions ni pour décrire une réalité donnée, mais pour assurer la pérennité des institutions constitutionnelles. Sa seule mission est l’échéance présidentielle, après quoi il livrera le pouvoir à quelqu’un d’autre».
Il reste donc quelques semaines à Michel Sleiman pour laisser son poste à son successeur. Le temps pour lui de tenter, avec l’aide des puissances extérieures, d’amortir le choc des répercussions de la crise syrienne.

Julien Abi Ramia

La déclaration au point mort
En début de semaine, le ministre de la Santé, Waël Abou Faour, se disait pessimiste quant à la possibilité d’un accord sur la déclaration ministérielle. «Toutes les parties doivent faire des concessions afin de parvenir à un accord». Les discussions butent toujours sur la question de la Résistance.
Mardi, le ministre de l’Information, Ramzi Jreige, a expliqué que le délai constitutionnel de trente jours imparti au gouvernement, à partir de la date de sa formation, pour rédiger ce document, «n’est qu’un délai d’incitation», dont l’expiration n’aurait pas pour 
conséquence une démission du 
gouvernement. «Les cas de démission sont énumérés limitativement dans la Constitution et n’incluent pas ce cas de figure. De plus, le gouvernement ne fait qu’expédier les affaires courantes à l’heure actuelle».

Les évêques dénoncent
Mercredi, à l’issue de leur réunion 
mensuelle, les évêques maronites réunis à Bkerké ont dénoncé les attaques dont le président Michel Sleiman a été la victime. «Lorsque la tête est atteinte par une flèche, le corps entier souffre», ont-ils déclaré, appelant toutes les parties à «cesser leurs attaques par respect pour la nation». 
Réagissant au retard que prend la rédaction de la déclaration ministérielle, les prélats ont souhaité que «la commission chargée de rédiger la déclaration s’inspire du mémoire de Bkerké», soulignant que ce document a obtenu «un soutien national unanime». L’assemblée des évêques a ensuite appelé l’ensemble du monde politique «au respect de l’échéance présidentielle».

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