Moins de vingt-quatre heures après son enlèvement, Michel, le tout jeune fils de l’homme d’affaires Ibrahim Sakr a été libéré. Aucune rançon n’a été payée. La pression populaire des leaders politiques de la région et des forces de sécurité a porté ses fruits.
Ce vendredi 7 mars, les trois enfants d’Ibrahim Sakr − Rafqa, 15 ans; Lina, 13 ans et leur petit frère Michel, 9 ans − quittent le domicile cossu de Zahlé pour se rendre à l’école. Ils montent dans une Kia Picanto conduite par un chauffeur. En raison de sa fortune personnelle et de ses accointances politiques qu’il affiche jusque sur les autoroutes − les panneaux à la gloire de Samir Geagea, c’est lui −le mécène des Forces libanaises est une cible exposée. Lors de ses déplacements, il est toujours accompagné par des gardes du corps. Pour ses enfants, Sakr a fait le choix d’une voiture banalisée, d’autant que l’école n’est qu’à deux pas. A 7h35, deux véhicules se mettent en travers de la route pour l’encercler. De la Jeep Grand Cherokee teintée or sortent quatre individus aux visages dissimulés. Ils se dirigent vers le chauffeur et l’assomment. Il s’évanouit. Le commando ouvre la porte côté passager, braque ses armes sur la tempe du petit garçon et lui somme de sortir de la voiture. Michel s’exécute et est emmené dans le 4×4 qui file en trombe, vers le nord.
La nouvelle se propage comme une traînée de poudre. Elle fait l’effet d’une bombe. Ibrahim Sakr est un notable respecté de Zahlé. En s’en prenant à un enfant, l’apanage des fourbes, les ravisseurs suscitent une colère populaire qui a conduit les habitants à fermer les grands axes qui partent de la capitale de la Békaa à coups de pneus brûlés, de pierres et de sable. Une colère teintée de haine. Avec les enquêteurs, le procureur de la région, le juge Farid Kallas, constate que les kidnappeurs ont pris la direction de Baalbeck. La colère se transforme en haine, les yeux se tournent vers les clans chiites de Baalbeck, spécialistes des enlèvements de ce type. Les sit-in de solidarité et de contestation se multiplient jusque dans la cour de l’école Sainte-Famille, où devait se rendre le petit Michel. La mobilisation des habitants de Zahlé et les contacts entrepris par Ibrahim Sakr auprès des représentants politiques de la localité ont obligé les autorités à agir vite.
L’enquête avance vitesse grand V. Le 4×4 des ravisseurs est identifié. Volé deux jours plus tôt à Sin el-Fil, la police retrouve sa trace à Brital, sanctuaire des voitures volées du pays. Sur place, le bâtiment de la gendarmerie est visé par des rafales de tirs. Intimidation en guise de baroud d’honneur car à Aïn el-Tiné, Nabih Berry s’est emparé de l’affaire afin d’enrayer l’escalade. Sont également sur le qui-vive le président Michel Sleiman, le Premier ministre Tammam Salam, le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk et le patriarche Mgr Béchara Raï. La voiture est retrouvée, les ravisseurs identifiés. Les négociations commencent avec le médiateur et syndicaliste Bassam Tleiss, envoyé par le leader du mouvement Amal. Originaire de la région, il connaît les ravisseurs et a déjà mené ce type de tractations dans d’autres affaires du même genre. Elles dureront jusqu’à deux heures du matin.
Une demi-heure plus tard, le petit Michel est relâché dans le petit village de Hour Taala, en contrebas de Brital. Pris en charge par une équipe de policiers, l’enfant est emmené à la caserne de Talia, sur l’autoroute qui lie Zahlé à Baalbeck, puis au sérail de Zahlé. Après avoir été débriefé (voir encadré) par les services de l’enquête, le petit est rendu à sa famille.
En guise d’avertissement, son père, pressenti pour être candidat aux prochaines élections législatives dans la région, prévient: «L’acte que vous avez commis envers les habitants de Zahlé est le début de la fin pour vous. Nul ne peut porter atteinte aux habitants de Zahlé. Ne touchez pas à Zahlé et à la Békaa car vous risquez de réveiller un monstre dormant».
Julien Abi Ramia
Le calvaire de Michel
Le petit Michel Sakr raconte son
enlèvement: «Les ravisseurs m’ont dit que j’allais rentrer chez moi à 6h du matin. Ils m’ont emmené dans un appartement non meublé, puis ensuite dans une maison d’où j’ai pu parler à mes parents. Il n’y avait pas de meubles, uniquement des matelas. J’ai dormi puis je me suis réveillé à 11h du soir lorsque quelqu’un m’a conduit vers une autre maison. Un ravisseur a alors enlevé le bandeau qui me couvrait les yeux et m’a demandé de dire aux propriétaires de la maison où il m’avait emmené ce qui s’était passé». Les propriétaires alertent alors les forces de sécurité.