La 10e édition des Ecrans du réel, qui se poursuit ce week-end encore, jusqu’au 30 mars, a accordé cette année une place de choix aux documentaires qui intéressent les Libanais au plus près de leurs préoccupations. Magazine fait le tour de trois d’entre eux.
E muet
Beyrouth au féminin
E muet de Corine Shaoui est le deuxième documentaire libanais prévu, ce samedi 29 mars, au programme de cette 10e édition. Quand Beyrouth et l’amour se conjuguent au féminin.
Un documentaire intime, intimiste. Peut-être un peu trop. De 2008 à 2013, Corine Shaoui filme ses amies au plus près des émotions, au plus près de la chair, au plus près de la vie, leur vie amoureuse, leur vie intime à Beyrouth, le jour, la nuit. Entre les ruelles nocturnes de la ville, longeant l’intérieur de leur appartement, au détour d’un rocher surplombant un paysage de montagne, face aux vagues ondoyantes de la mer, face à la caméra, face au regard curieux, intrigué et amical de la réalisatrice, ces jeunes femmes libanaises s’expriment. Sans restrictions, sans se cacher, comme dans une conversation ouverte, secrète, tout en étant conscientes du regard du tiers qui se posera sur leur visage, sur leurs mots, elles parlent des choses de la vie; l’amour, le désir, la sexualité, les hommes, le corps, la déprime, la lassitude, le vide intérieur, la ville, Beyrouth. Ce qu’elles veulent, ce qu’elles cherchent, ce qu’elles ont perdu, ce qu’elles sont en train de perdre. L’éphémère.
Tout d’abord, il y a Nanou, dont la première vraie histoire d’amour s’est achevée brusquement. Ensuite, Rajwa qui, après maintes relations frivoles, s’achemine vers une vie de couple rangée. Et il y a d’autres aussi, dont on ne voit que le visage, que le silence, dans le cadre d’une scène presque figée, vivante pourtant à travers certains détails qui animent l’image; un sourire, une touffe de cheveux au vent, un regard qui fixe la caméra au moment où on entend la voix de Barbara: «Dis quand reviendras-tu?» Corine Shaoui observe en silence ses amies, explore leur beauté intrigante, se nourrit de leur passion, de leurs doutes et de leurs expériences. Elles deviennent, pour elle, des mondes qu’elle parcourt à la recherche de sa propre voie.
«Je ne sais pas», cette expression revient à plusieurs reprises dans les mots des protagonistes. Tout en établissant une barrière entre le spectateur et le sujet cinématographique, d’où peut-être l’impossibilité de se réfléchir dans leur vécu, ces mots ne cessent de renvoyer à la ville. Beyrouth, toujours l’incertitude de la vie, pour toutes ces femmes coincées entre deux pensées, entre deux modes de vie. Coincées dans l’entre-deux.
Araq, guardians of lost time
Déterminisme ou espoir?
Le documentaire de Diala Kashmar, projeté le 27 mars, Araq, guardians of lost time ne laisse pas le spectateur libanais indemne. C’est qu’il engendre une multitude de questions dont on ne cesse de chercher les réponses.
Diala Kashmar a pénétré avec son équipe au cœur du quartier libanais d’al-Lija, pour côtoyer à travers sa caméra, mais aussi son entité humaine, le groupe de jeunes hommes marginalisés, surnommés les voyous de Lija. La force de ce documentaire se situe dans cette fine ligne qu’il trace entre l’objectivité et la subjectivité, entre l’observation et l’implication, entre les questions prises comme point de départ et les questionnements qu’elles engendrent.
S’adresser à ces jeunes, les pousser à s’exprimer, à parler devant la caméra, au-delà des interdictions, des permis de filmer dans cette région, c’est là le défi hautement relevé de la réalisatrice. Et de ses «sujets». Abadayes, voyous, mis au ban de la société, outils de propagande ou potentiel milicien? Entre pugilats, prison, drogue, appartenance confessionnelle et partisane, entre leurs rêves et leurs espoirs déçus, entre leur envie de vivre tout simplement, ces jeunes Libanais semblent condamnés à ce déterminisme qui plombe le pays, à ce désœuvrement qui pèse, et au fanatisme qu’ils engendrent. Pourtant, la situation n’est jamais noire ou blanche. Diala Kashmar la suggère, ou peut-être est-ce juste une envie d’espérer. Entre les deux côtés de la balance, il devrait y avoir une zone grise, celle de l’humanité, celle de l’homme, celle d’un honneur non bafoué, l’honneur pris dans le sens noble du terme, dans le sens large du terme. La dignité. Mais quelle place encore pour cette notion-là? Comment échapper au destin qu’un pays trace pour nous? Peut-on parler d’un destin tout tracé, en fonction de l’endroit où on naît, où on vit, où on se meut, où on se bat? Pour qui et pourquoi est-ce qu’on se bat encore et toujours? La tragédie libanaise qui ne cesse de prendre des allures de tragédie grecque. Sans issue?
Asmahan, une diva orientale
Entre intrigue et passion
La salle 1 du cinéma Métropolis était plus que comble ce soir du lundi 24 mars. Et pour cause. Le documentaire Asmahan, une diva orientale était projeté.
Asmahan apparaît à l’écran, majestueuse, fragile, d’une beauté incandescente et brutale à la fois. Et sa voix réveille tous les sentiments imbriqués à la chair. C’est parce qu’il a été fasciné par cette voix et cette présence, que le réalisateur Silvano Castano s’est décidé à partir à la recherche des traces d’Asmahan, du Caire à Beyrouth. Une tâche difficile. Secondé par l’auteure libanaise Imane Humaydan, qui se penche sur l’écriture d’un livre autour de la chanteuse. Le documentaire emmène le spectateur dans un voyage entre le passé et le présent, au cœur d’une Egypte dont le visage a changé depuis son âge d’or passé.
Asmahan, une diva orientale révèle le vrai sens du mot; une diva. Une diva orientale. Et Asmahan l’était. De sa naissance sur un bateau, princesse syrienne, à son premier mariage, à sa tentative de libération de la coupe de son frère aîné Fouad, à sa collaboration avec son second frère Farid el-Atrache, à sa rivalité implicite avec Oum Koulthoum, à ses activités politiques et d’espionnage, le film lève le voile sur ces événements méconnus par la plupart d’entre nous. Et ne cesse de résonner le discours d’un photographe égyptien qui affirme qu’Oum Koulthoum a arrêté l’éveil de la chanson arabe, parce que tout le monde cherchait à lui plaire. Et Asmahan aurait pu être encore plus influente si elle n’était pas morte à 26 ans. Seulement 26 ans d’existence et sa vie ressemble à un vrai roman né d’un imaginaire touffu, où s’imbriquent «star system», frasques, outrances, tristesse, amour, ambitions politiques, espionnage. Une ambiance électrisante que le documentaire ranime pour nous plonger au cœur de cette intrigue qu’était Asmahan. Une intrigue qui ne trouve toujours pas de réponse. Est-elle morte dans un accident tragique, ou a-t-elle été tuée? L’imaginaire continue de surfer sur une vague d’images, bercé toujours par ce qui nous reste d’elle; sa voix.
Dans les salles de cinéma
Casse-tête chinois
Comédie dramatique de Cédric Klapisch
Après L’auberge espagnole et Les poupées russes, voici la suite de l’histoire de Xavier, toujours incarné par Roman Duris. Il y a quinze ans, il s’enrôlait dans le programme Erasmus en Espagne. Il y a dix ans, il galérait entre Paris, Londres et St-Pétersbourg, pour trouver sa voie dans la vie et l’amour surtout, qu’il a finalement trouvé dans les bras de Wendy. Mais, à 40 ans, la vie de Xavier ne s’est pas forcément rangée et tout semble devenir de plus en plus compliqué. Désormais père de deux enfants, son virus du voyage l’entraîne cette fois à New York, au beau milieu de Chinatown. Dans un joyeux bordel, Xavier cherche sa place en tant que fils, en tant que père… en tant qu’homme. Séparation. Famille recomposée.
Homoparentalité. Immigration. Travail
clandestin. Mondialisation. La vie de Xavier tient résolument du casse-tête chinois! Avec Audrey Tautou, Cécile de France, Kelly Reilly…
Circuit Empire – Grand Cinemas
Mea-Culpa
Drame de Fred Cavayé
Avec Nadine Labaki à l’affiche, qu’elle
partage avec Vincent Lindon et Gilles Lelouche, Mea-Culpa va sûrement attirer le public libanais, rien que pour voir l’actrice libanaise. Et Mea-Culpa saura accrocher les fans de suspense et de thriller, à la manière des plus grands films américains du genre, avec toutefois toujours la touche française, et un étonnant retournement de situation final. Le film s’ouvre sur une scène paisible à la plage, où le spectateur découvre Simon, sa femme Alice, son fils Théo, aux côtés de son ami Franck, flic aussi. Changement d’ambiance, Simon vit désormais seul, ayant perdu son boulot. Mais Franck veille toujours sur lui. Et quand Théo se retrouve malgré lui le témoin d’un règlement de comptes mafieux, les deux amis iront jusqu’au bout de leur destin, éclairant les zones d’ombre de leur passé commun.
Circuit Empire – Grand Cinemas