Dans la nuit du samedi 22 mars, l’évêque maronite de Baalbeck et de Deir el-Ahmar, Mgr Semaan Atallah, a échappé à une tentative d’enlèvement, unanimement condamnée, sur les routes de la Békaa grâce au sang-froid de son chauffeur. Que s’est-il passé ce soir-là?
Samedi 22 mars, aux alentours de vingt-deux heures. Mgr Semaan Atallah a quitté Taalabaya, à une trentaine de kilomètres au sud de son diocèse à Baalbeck, où il vient de donner une conférence sur la fête de l’Annonciation, une demi-heure plus tôt. Les débordements sécuritaires qui émaillent sa région d’adoption ne l’ont pas fait changer d’avis. Pas question de renforcer sa sécurité. Il se contentera de son 4×4 Volvo conduit par un chauffeur, Samir Mehanna. A hauteur d’Eïaat, à la sortie de Baalbeck, sur la route qui mène à Deir el-Ahmar, le conducteur de l’évêque remarque un étrange ballet dans son rétroviseur. Derrière lui, deux 4×4 blancs − une FG et une New Grand Cherokee − effectuent des manœuvres agressives, à coups d’accélérations soudaines et d’appels de phare menaçants. Mehanna a rapidement déduit qu’il s’agissait de kidnappeurs cherchant à couper sa route. Le chauffeur appuie sur l’accélérateur pour essayer de les semer. Il dépasse les 120 km/h. A-t-il pensé à ce moment-là que quelques centaines de mètres plus loin, à la bifurcation de Chlifa, se trouvait un barrage de l’Armée libanaise?
Le réflexe est en tout cas judicieux. A la hauteur du poste militaire, les deux véhicules qui le pourchassaient quittent brusquement la route pour s’enfoncer dans l’un des nombreux sentiers de terre qui quadrillent le secteur. Mgr Atallah vient d’échapper à une tentative d’enlèvement. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. En signe de solidarité, toutes les églises de la Békaa sonnent leurs cloches. Le lendemain, le prélat préside une messe, en présence de nombreuses personnalités de la région. Sont notamment venus rendre visite à l’évêque, le ministre des Travaux publics et des Transports, Ghazi Zeaïter, représentant le président de la Chambre Nabih Berry, les députés Emile Rahmé et Ali Moqdad, le coordinateur du Courant du futur dans la Békaa, Hussein Solh, le cheikh Mohammad Yazbeck, responsable du conseil chérié du Hezbollah, les muftis sunnites Bakr Rifaï et Khalil Choukeir, ainsi que des notables et des chefs de tribu de la région.
Faire taire les rumeurs
Dans un communiqué destiné à éteindre les rumeurs, le diocèse a mis en exergue «les solides relations qui lient l’archidiocèse aux autres clans, en particulier celui des Jaafar dirigé par Ahmad Sobhi Jaafar et le maire Ali Harb Jaafar. Nous n’accusons personne. Nous appelons les services de sécurité, l’armée et la justice à arrêter les criminels qui perturbent la vie et la sécurité de la région». Autre appel, celui du patriarche maronite Béchara Raï, qui a exhorté les responsables à «éradiquer le phénomène des rapts si l’on veut que l’Etat contrôle la sécurité et consolide la coexistence. Les mots qui stigmatisent ou qui compatissent ne suffisent plus». En début de semaine, le prélat de la Békaa a préféré mettre l’accent sur «le droit de vivre dans la sécurité et la dignité des habitants de la Békaa. C’est grâce à l’armée que nous préservons notre espoir», appelant «les habitants à soutenir la troupe et à préserver la convivialité que ce soit dans les écoles ou les entreprises».
Le vide sécuritaire de la région a fait une autre victime dans la Békaa cette semaine. Sur la route qui relie Rayyak à Baalbeck, des inconnus à bord d’une voiture aux vitres fumées ont barré la route à un ingénieur agronome, originaire de Deir el-Ahmar, Habchi Habchi. Ont été volés sa Toyota de location modèle dernier cri, son téléphone portable et la chaîne en or qu’il portait autour du cou. Les appels à la sécurisation des zones de non-droit deviennent lancinants, place aux actes.
Julien Abi Ramia
«Un acte honteux»
Dans son homélie de dimanche, Mgr Semaan Atallah a condamné «un acte honteux». «Même si les personnes qui sont en train de perpétrer des enlèvements sont uniquement motivées par l’argent, leurs actes peuvent mettre en danger le Liban. La situation dans le pays n’est pas bonne actuellement et de tels actes peuvent mettre le feu aux poudres. J’appelle les responsables des partis et des tribus de la Békaa à œuvrer avec les chrétiens de la région pour préserver l’unité nationale. Il faut que les chefs des partis, ainsi que les responsables sécuritaires se rendent compte de la gravité de la situation et qu’ils prennent les décisions adéquates».