Trois groupes rebelles, dont le Front al-Nosra, se sont alliés, vendredi dernier, pour reprendre du terrain au régime de Bachar el-Assad dans le nord-ouest syrien. La Turquie s’est investie fortement aux côtés des rebelles, en abattant un avion syrien dimanche. Alors que la prise de Yabroud et du Krak des Chevaliers semblait marquer une avancée du régime, l’ouverture de ce nouveau front dans le fief de ce dernier constitue un développement aux graves conséquences.
Hilal el-Assad, cousin du président syrien Bachar el-Assad, a été tué dimanche dernier dans des affrontements avec des combattants rebelles près de la frontière turque. C’était le chef des forces paramilitaires pour la Défense nationale de la province de Lattaquié, d’où le clan Assad est originaire.
Située à l’extrême nord-ouest de la Syrie, bordée par la côte méditerranéenne et la frontière turque, cette région est l’un des bastions du régime au nord syrien. Parmi les neufs postes-frontières officiels avec la Turquie, seuls ceux de Kassab et de Qamishli-Nassibin sont encore aux mains du régime, situés respectivement aux extrêmes ouest et est de la frontière.
Vendredi dernier, trois groupes rebelles, le Front al-Nosra et les milices jihadistes Ahrar el-Cham et Ansar el-Cham, ont annoncé le lancement d’une campagne baptisée Anfal.
Cette nouvelle offensive fait suite aux défaites essuyées par les rebelles, notamment le long de la frontière syro-libanaise, avec la prise de Yabroud par l’armée syrienne. Acculés également dans les régions environnantes de Damas et de Homs, les rebelles se replient donc au nord. A part les régions d’Alep et de Lattaquié, Kurdes et rebelles se partagent les régions frontalières avec la Turquie (voir encadré page 45).
Les rebelles ont par ailleurs profité du retrait de l’Etat islamique de l’Irak et du Levant (EIIL), avec qui ils se battaient depuis le
3 janvier dans cette région, pour lancer une opération conjointe dans quatre provinces du nord-ouest syrien.
Dans la province d’Idlib, «l’armée a cédé une quinzaine de postes de contrôle près de Khan Cheikhoun, et le régime n’y dispose plus que des bases militaires de Wadi el-Deif et Hamadiyé, encerclées et approvisionnées par voie aérienne», a indiqué Rami Abdel- Rahman, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG pro-opposition basée en Grande-Bretagne. «A Alep, le régime a perdu les quartiers de Layramoun, de la Vieille ville et du mont Chwayhné, et enregistré de nombreuses pertes», a-t-il ajouté, tandis que dans la province de Hama, la ville de Morek est le théâtre de violents affrontements.
Action rebelle coordonnée
Les rebelles ont bénéficié d’une action coordonnée, jamais observée depuis les combats entre le Front al-Nosra, filiale
d’al-Qaïda, et l’EIIL.
«Après que les combats eurent commencé à Lattaquié, l’armée a mobilisé beaucoup de ses troupes basées à Idlib pour aller y combattre», indique par Skype le colonel Afif el-Suleimani, qui dirige le Conseil militaire rebelle d’Idlib. «Cela a ouvert une brèche à Idlib, dans laquelle nous nous sommes engouffrés», a-t-il ajouté.
Nouveau champ de bataille
Mais les plus forts des combats se déroulent autour de Kassab, ville frontalière avec la Turquie, où a péri Hilal el-Assad.
Selon l’OSDH, ces combats auraient fait, depuis vendredi, plus de 130 morts des deux côtés, dans la seule région de Lattaquié. Dimanche, l’organisation affirmait que les combattants du Front al-Nosra et d’autres groupes avaient investi le point de passage, tandis que les forces du régime ripostaient à coups de frappes aériennes.
Un groupe rebelle de Lattaquié a posté une vidéo montrant un membre de la brigade Ansar el-Cham s’adressant à un résidant de Kassab, l’informant qu’il n’allait pas être touché par les combats: «Si vous voulez partir, partez. Mais si vous préférez rester, nous vous protègerons».
L’OSDH a également rapporté des affrontements pour le contrôle de la colline 45, emplacement stratégique proche de Kassab.
Assad vs Erdogan
La confrontation entre rebelles jihadistes et troupes fidèles au régime à quelques kilomètres du territoire turc n’a pas manqué d’envenimer les relations entre la Syrie et la Turquie.
Dès le début de l’offensive rebelle sur Lattaquié, le représentant permanent de la Syrie à l’Onu, Bachar Jaafari, a déposé une plainte au Conseil de sécurité: «Certains Etats voisins, ainsi que d’autres forces extérieures insistent dans leur soutien au terrorisme. Vendredi, des affrontements ont eu lieu dans la zone frontalière de Kassab, où des militants ont traversé la frontière. Ils ont été repoussés par les forces de l’armée syrienne. L’armée turque a fourni une aide logistique et militaire à ces assaillants».
Après les combats, les rebelles ont pris possession de la frontière de Kassab, célébrant leur victoire. Des obus tirés en riposte par les troupes du régime sont tombés du côté turc de la frontière, obligeant le ministre de l’Intérieur du pays à faire évacuer la zone avoisinant le poste-frontière.
Quelques heures plus tard, un avion militaire syrien est abattu par un F-16 turc.
L’armée turque a déclaré avoir lancé des avertissements à quatre reprises à deux avions de chasse Mig-23 syriens leur imposant de rebrousser chemin. Ce n’est que lorsque l’un des appareils a refusé d’obtempérer qu’elle a fait décoller ses F-16, toujours selon l’armée turque.
Une intervention du même genre avait déjà été faite par la Turquie il y a plus de six mois, en septembre 2013, à l’époque où le camp occidental envisageait sérieusement une intervention armée en Syrie.
A la suite de la destruction de son Mig-23, la Syrie s’est indignée, arguant que son avion n’était pas dans l’espace aérien turc. Le pilote, qui a pu s’éjecter, a indiqué à l’agence officielle syrienne Sana qu’il a été attaqué alors qu’il était à 7 kilomètres de la Turquie, dans l’espace syrien.
Le ministère syrien des Affaires étrangères a accusé le gouvernement turc d’«une attaque sans précédent contre le territoire syrien». Il a estimé que cet acte était «un aveu de l’échec et de la faillite de Recep Tayyip Erdogan, miné par la corruption et les manifestations de son peuple contre lui. Le gouvernement syrien appelle celui d’Erdogan à mettre fin à ces agressions et à respecter les lois internationales».
Le Premier ministre turc, quant à lui, a déclaré sèchement: «Un avion syrien a violé notre espace aérien. Notre F-16 a décollé et détruit cet avion. Pourquoi? Si vous continuez à violer notre espace aérien, notre claque sera encore plus dure. Menés par notre général en chef des armées, je félicite nos honorables pilotes de l’Air Force. C’est tout ce qu’il y a à dire sur le sujet».
Ce discours a été prononcé au cours d’un meeting électoral dans le nord-ouest du pays. Si Recep Tayyip Erdogan tient des propos si durs à l’égard de la Syrie, c’est en effet en raison du contexte politique interne de la Turquie. Erdogan prépare une série d’élections locales, dans un contexte où les contestations à son égard viennent de toutes parts. Confronté à des affaires de corruption à répétition, affaibli par une alliance avec le guide Gülen qui s’effrite (voir numéro 2930), pour lui, les combats aux abords de sa frontière sont une aubaine. Face aux élections à venir, il doit calmer la contestation de son propre camp et de la rue, renforcée par le décès de Berkin Elvan, après avoir été plongé dans le coma par un tir de grenade lacrymogène en juin dernier.
Accusé par les branches nationalistes de ne pas avoir réagi après les tirs syriens sur un avion turc et la mort de ses deux pilotes en mars 2012, Erdogan a su tirer profit de cet incident.
Il a su rassurer beaucoup de monde en Turquie, à commencer par la communauté Alevi. Bouleversée par les massacres d’Alevis par des groupes armés à Lattaquié en août 2012, ceux-ci sont très soucieux du sort des nombreux Alevis vivant à Kassab.
Le Premier ministre turc a également su rassurer la communauté turkmène, très sensible à ce qui se passe en Syrie, notamment depuis que Zara, localité située près de Homs et du Krak des Chevaliers, habitée par une majorité de Turkmènes, a été reprise par le régime.
Il faut également noter que des groupes rebelles, ayant mené une offensive au nord-ouest de la Syrie, Ansar el-Cham, sont composés de beaucoup de Turkmènes.
Les événements récents ne sont pas favorables à Bachar el-Assad. Reste à voir quelle stratégie il va adopter pour répondre à ces nouvelles forces qui se dressent contre lui.
Elie-Louis Tourny
Le Hezbollah en action à Yabroud
Une embuscade, menée par le Hezbollah, a tué dimanche trois chefs rebelles experts dans la préparation de voitures piégées, ainsi que leurs quatre gardes du corps, dans la stratégique région syrienne du Qalamoun, frontalière du Liban. Les trois experts ont été identifiés. Il s’agit d’Ahmad Ali Hamra, Farid Mohammad Kheir Jumaa et Hussam Masoud Hammoud.
«Peut-être que certains n’ont pas accordé beaucoup d’importance à la grande avancée réalisée dans la région du Qalamoun et à Yabroud. Ces avancées réduiront
certainement, de manière considérable, le nombre de voitures piégées au Liban», a déclaré le numéro 2 du Hezbollah, le cheikh Naïm Qassem, au cours d’une cérémonie dans la banlieue sud de Beyrouth.
L’EIIL à l’offensive chez les Kurdes
L’Etat islamique d’Irak et du Levant, groupe extrémiste dissident d’al-Qaïda, a annoncé, pendant la prière de vendredi, son intention de lancer une offensive sur la région
autonome kurde de Kobani.
L’EIIL dispose d’une base arrière dans la région de Raqqa, au sud de Kobani. Les premiers affrontements avec les combattants kurdes du parti de l’Union démocratique (PYD) ont eu lieu à Tal Abiad, faisant
soixante morts chez les combattants de l’EIIL, selon l’OSDH. Après avoir pris possession du point de passage avec la Turquie, de nombreux habitants kurdes de la région se sont réfugiés en Turquie. Plus proche d’Alep, l’EIIL contrôle également le poste-frontière de Jarabulus.