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Nº 2945 du vendredi 18 avril 2014

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Les absents de Georgia Makhlouf. «Dans nos vies, les absents sont plus nombreux que les présents»

A travers une galerie de portraits des personnes qui ont traversé sa vie, ou qui y ont carrément séjourné, et qu’elle appelle Les absents, titre de son ouvrage, Georgia Makhlouf tisse un roman bouleversant. Interview.
 

Vous décidez d’écrire un roman Les absents à partir d’un vieux carnet d’adresses. Vous dites dans le prologue: «Certains noms et adresses sont tout ce qui me reste de pans entiers de ma vie…». Pourquoi revenir sur ces absents au lieu de vous pencher sur les présents?
C’est le projet du livre que de parler des absents. Quand on consulte des carnets d’adresses, on retrouve des noms dont on se souvient à peine, des personnes que l’on a perdues de vue, d’autres avec lesquelles on s’est disputé, avec qui on a pu rompre à la suite de malentendus. Il y a aussi les disparus, les morts… Je suis bouleversée par le fait que, dans nos vies, les absents soient plus nombreux que les présents. Nous sommes tous hantés par tant d’absents. Chaque absence est une histoire de vie qui s’est achevée. J’avais donc envie de raconter une tranche de vie à travers les portraits de certains de ces absents.

Toujours dans votre prologue, vous dites: «Mes carnets sont les répertoires de mes échecs, des divorces qui m’ont meurtrie, des trahisons et des malentendus qui ont jalonné ma vie… Et des morts dont je ne veux pas être consolée». Pourquoi avoir choisi de revenir sur des pans tristes de votre parcours?
Je voudrais préciser que cet ouvrage est un roman. Ce n’est donc pas de moi qu’il s’agit, même si la narratrice et moi avons des choses en commun. Nous appartenons à la même génération, la génération de ceux qui étaient adolescents quand la guerre a éclaté. Ceux qui étaient encore des enfants, à cette époque, qui ont pu être «protégés» par leurs parents qui ont pu leur donner des explications, leur raconter des histoires rassurantes, alors que lorsque nous sommes adolescents, nous devons affronter le monde et les drames de la vie avec nos propres armes. J’ai eu envie de me situer dans le cadre de cette génération qui a vu son monde s’écrouler, les valeurs que nous avaient transmises nos parents, l’école, la société… étaient bouleversées par la guerre, et partout, c’était la violence, le mensonge, l’irrespect, les kidnappings, les bombardements aveugles… Il nous fallait essayer de donner un sens à notre vie, trouver nos propres repères pour comprendre ce qui se passait. C’était si difficile à accepter. Tous les fondements de la société étaient bouleversés. Ce n’est pas étonnant que la thématique de la trahison, de l’absence, de la mort soit prégnante pour notre génération jetée sans armes dans la guerre.

Quel est l’impact de cette guerre et de l’exil sur votre écriture, vous qui partagez actuellement votre vie entre Beyrouth et Paris?
Quand j’ai commencé l’écriture de ce roman, le thème sur lequel j’ai eu envie de travailler était celui des absents. Quand on écrit, il arrive souvent qu’il y ait un thème explicite et un autre implicite. Au fil de l’écriture, je me suis aperçue que la guerre était en filigrane, qu’elle était le fil conducteur entre les différents portraits et qu’elle faisait même le lien entre les deux parties du récit, entre Beyrouth et Paris. Le thème de la guerre m’avait rattrapée. Personne n’a échappé aux effets collatéraux de la guerre. L’exil en a été la conséquence. La narratrice avait l’impression qu’elle allait se retrouver chez elle en France. Elle s’aperçoit qu’elle est une étrangère et que ce n’est pas parce qu’elle a acquis une culture française, à travers les livres, qu’elle fait partie de cette culture. Elle est confrontée à maints problèmes d’adaptation. Les codes du comportement sont très différents dans les deux pays et ce n’est pas parce qu’on parle une langue qu’on appartient à un pays. Elle va être confrontée à l’apprentissage de l’intégration et de la construction de son identité.

La double appartenance est-elle, pour la narratrice, source de richesse ou de souffrance?
La narratrice prend conscience à la fin de l’ouvrage que c’est elle la grande absente. C’est-à-dire qu’elle a été obligée de faire face à toutes sortes de ruptures pour garder la tête hors de l’eau. Elle s’aperçoit qu’il y a beaucoup de choses dans son parcours qu’elle n’a pas réellement choisies et qu’elle mène une vie qui ne lui ressemble pas. On peut donc appeler ça une crise identitaire. Elle a peut-être dû faire le deuil d’une partie de son identité.

Propos recueillis par Danièle Gerges

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