Pour la première fois, depuis très longtemps, les ingérences étrangères dans une échéance électorale locale se font discrètes. Le profil bas adopté par les ambassadeurs, habituellement curieux et envahissants, a poussé la classe politique à affirmer que les Libanais sont, aujourd’hui, laissés à eux-mêmes. Effectivement, les déclarations des représentants des grandes capitales au sujet de l’élection présidentielle sont rares, autant que celles de leurs ministres des Affaires étrangères. On se souvient que lors des précédentes consultations, aussi bien législatives que présidentielles, en 2004, 2005, 2007 et 2009, les ambassadeurs avaient squatté le paysage médiatique et monopolisé le débat public, distribuant conseils, commentaires et remontrances aux acteurs locaux. Le temps, où les diplomates américains, français ou iraniens occupaient les tribunes, et où les responsables libanais faisaient la navette entre Beyrouth et Damas, semble révolu.
Mais il ne faut pas être dupe. Cette discrétion ne signifie pas que les «capitales» se désintéressent de l’élection présidentielle au Liban et, encore moins, que le déroulement de cette échéance est guidé par des vents exclusivement locaux. Le facteur interne est, certes, prédominant, comme l’a affirmé le député Walid Joumblatt à Magazine. Les pays traditionnellement concernés par la situation au Liban ont choisi, à ce stade, de s’éclipser, laissant aux acteurs locaux le soin de gérer la première étape de l’élection présidentielle. Cependant, lorsque les Libanais se heurteront à un mur qui risque de compromettre cette échéance, le facteur externe ressurgira avec autant de force et de vigueur qu’auparavant, pour tenter d’aplanir les obstacles. Et le retour en scène des ambassadeurs pourra se produire plus tôt que prévu. D’abord, parce que les Libanais ont pris le mauvais pli d’être assistés. Ils se retrouvent donc perdus, comme un enfant qui a lâché la main de sa maman dans une gare bondée; ensuite, une partie de la classe politique, totalement dépendante de l’extérieur, est dépourvue d’une dynamique qui lui est propre. Par conséquent, elle fonctionne et réagit conformément à des intérêts étrangers.
Le retour du facteur externe est malheureusement inéluctable, surtout que tous les scénarios imaginables laissent penser que l’élection présidentielle se dirige vers un blocage. Au lieu d’assainir le tableau, la séance électorale du 23 avril risque, au contraire, de l’encombrer. On va vraisemblablement assister à une dispersion des voix au sein de chaque camp. Si l’ancien président Amine Gemayel décide finalement de se porter candidat, les voix du 14 mars seront partagées entre lui et le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, avec un certain nombre de bulletins blancs. Aux dernières nouvelles, le 8 mars (le mouvement Amal, le Hezbollah et les quatre députés du PSNS et du Baas) pourrait, à la surprise générale, voter pour un député maronite, membre de la coalition, qui obtiendrait 57 voix, alors que Samir Geagea récolterait 59 votes. L’objectif est de «ne pas griller le général Michel Aoun», selon des sources proches de cette coalition. C’est aussi une façon de rappeler au leader du Courant patriotique libre, qui a choisi le camp du Courant du futur au détriment de ses alliés dans le bras de fer autour de l’échelle des salaires, qu’il a impérativement besoin de leurs voix pour accéder à la présidence.
Quelles que soient les intentions des uns et des autres, cette dispersion des voix, et le refus des quatre principaux leaders maronites de s’entendre sur un seul candidat, vont conduire l’élection présidentielle au blocage.
C’est à ce moment-là que le facteur externe reviendra en force. Mais il n’est pas dit qu’il réussira à garantir l’élection d’un président avant le 25 mai.
Paul Khalifeh