Invité par l’Institut français du Liban, Jean-Daniel Magnin, directeur littéraire du théâtre du Rond-Point, a animé, la semaine dernière, un atelier d’écriture dans le cadre du programme Répliques. Rencontre.
La veille de la rencontre, Jean-Daniel Magnin avait déjà eu l’occasion d’entamer avec trois des cinq candidats sélectionnés des exercices autour des questions dramatiques. «Alors qu’en France, le problème auquel on fait face c’est de savoir sur quoi écrire, ici, il y a beaucoup d’histoires, de guerre, de famille, d’injustice. Racontés par une deuxième génération avec des distances plus individuelles, ces récits sont plus abstraits, plus universels». Il fallait donc adapter le workshop à ce contexte particulier, d’où le fait de travailler davantage sur «les questions dramatiques, sur la construction dramatique qui n’est pas canonique, donc qui est appelée à être adaptée à chacun des projets et des personnes qui vont faire cette traversée avec nous pour aider chacune à aboutir à sa démarche d’écriture. Travailler aussi sur comment raconter une pièce de théâtre, ce qu’est une pièce de théâtre au XXIe siècle, alors qu’elle ne cesse de se modifier, de subir des influences du cinéma, de la littérature, des arts plastiques, des performances». Et Magnin souligne le fait que les participants sont dans une position humble puisqu’ils ont déjà terminé leurs pièces, mais qu’ils sont là pour les remettre en jeu, les casser, les revoir… Une attitude très agréable. Et d’ici à septembre, on aura le temps de mettre en crise ces textes pour qu’ils puissent peut-être aboutir à la naissance d’un autre texte caché à l’intérieur de ces premiers jets».
Une parole libre
Auteur d’une quinzaine de pièces de théâtre et d’un roman, Jean-Daniel Magnin a écrit avec Jean-Michel Ribes le projet du Théâtre du Rond-Point, un théâtre créé d’une manière un peu révolutionnaire, consacré aux auteurs vivants et né d’un véritable besoin. C’est qu’il y a un réel conflit entre les auteurs vivants et les auteurs classiques. «Les écrivains de théâtre vivants avaient très peu de place en France après la guerre, où à travers l’invention du ministère de la Culture, on est passé du théâtre de l’art, de l’artisanat ou du spectacle à une dimension culturelle. On mettait donc sur le plateau de la culture des auteurs confirmés du XXe siècle. Même le mot contemporain est marqué par son acception musicale, abstraite, qui crie attention, pièce difficile. Alors qu’un auteur de théâtre vivant ne demande qu’à revenir à l’équipe artisanale de théâtre, à un lieu où on se rencontre pour parler de tout et de rien, de la vie, pour rire. On ne veut pas de messe culturelle, mais une parole libre et joyeuse où on aborde tout. Un auteur vivant est quelqu’un qui ose se jeter à l’eau, qui propose à une communauté provisoire, le public qui viendra ce soir-là, d’exister autour de certaines vibrations internes, d’une histoire qui nous concerne et qui nous raccroche aussi à nos anciens et à notre futur».
Supervisant le comité de lecture au Théâtre du Rond-Point, Jean-Daniel Magnin voit défiler sur son bureau plus de 1 200 pièces par an, de tous les niveaux. Et de souhaiter qu’à la fin du stage, les cinq propositions retenues puissent avoir une chance dans ce type de comité de lecture. Comment définit-on actuellement une pièce de théâtre? «Ce qui définit le théâtre, qu’on le veuille ou non, c’est quand même le dialogue dramatique qui, au théâtre par opposition au cinéma, s’est libéré du réalisme». C’est également sur le dialogue dramatique qu’insiste Omar Abi Azar, un des membres fondateurs de la compagnie Zoukak, qui se chargera de faire le suivi entre une session de travail et une autre. «Au Liban, souligne-t-il, on a un rapport d’abondance à la matière. On pose la matière qu’on a et on ne joue pas avec elle dans une dialectique théâtrale. Magnin propose une sorte d’épurement de cette abondance pour aboutir à une matière théâtrale dans cette forme de dialogue dramatique. Pour qu’il y ait théâtre, il doit y avoir dialogue dramatique. Et c’est un énorme manque au Liban où ce qu’on appelle le théâtre politique est une sorte de positionnement continu de nos idées sur scène comme étant une opinion et non une dialectique». Et d’ajouter: «Cette dialectique n’est pas uniquement dans le jeu entre les personnages et les acteurs, elle est aussi dans le texte. Ne pas tenir de discours, ne pas lancer de messages, mais jouer, lancer un jeu qui va créer un chemin dans lequel vont s’engouffrer les spectateurs, chacun à sa façon».
Nayla Rached
Le programme Répliques
Dans le cadre de la promotion de la francophonie au Liban, le programme Répliques vise à soutenir et à encourager le développement des écritures de pièces de théâtre arabes contemporaines en langue française et permettre l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs. Les cinq candidats, sélectionnés par le jury sur une quinzaine de projets reçus, vont bénéficier jusqu’en septembre 2014 d’ateliers d’écriture encadrés par des professionnels de théâtre libanais et français.