«Ce que je sais, c’est que Mgr Béchara Raï a l’habitude de prendre ses décisions à la lumière de ses convictions et de son devoir ecclésiastique vis-à-vis de ses fidèles et dans le cadre précis de la visite du souverain pontife en Terre sainte, vis-à-vis du pape François. Et ce n’est pas l’opinion de telle ou telle personne qui le fera changer d’avis». Interview de l’évêque Samir Mazloum,
vicaire patriarcal maronite.
La visite du patriarche Béchara Raï à Jérusalem a suscité une vive polémique dans certains milieux libanais. Va-t-il quand même accompagner le pape François en Terre sainte?
Le patriarche a annoncé sa décision d’accompagner le pape en Terre sainte, et tel que je le connais, je pense qu’il ne changera pas d’avis, quelles que soient les pressions exercées sur lui.
Considérez-vous cette polémique justifiée, vu que le Liban est toujours, du moins techniquement, en état de guerre avec Israël?
Absolument pas. La polémique est injustifiée dans le sens où le patriarche n’effectue pas une visite politique et ne va pas rencontrer les responsables israéliens ni les accompagner, ni négocier avec eux. C’est une visite pastorale, ecclésiastique. Il y a des maronites qui vivent à Jérusalem. Il va, en leur nom, accueillir le pape. Nous devons distinguer entre le politique et le religieux. En procédant à cette distinction, on comprend la position de Mgr Béchara Raï.
Plusieurs médias ont qualifié cette visite «d’erreur historique», voire de «péché»…
Chacun est libre de son opinion. Mais aller jusqu’à traiter le patriarche d’homme qui va tendre la main à l’ennemi israélien ne correspond pas du tout à la réalité. Personne ne peut se prévaloir d’être aussi fidèle à la cause palestinienne que le patriarcat maronite. Il rejette tout ce qu’a fait Israël: comment les Israéliens ont chassé les Palestiniens de leur terre, comment ils leur refusent le droit d’avoir un Etat, comment ils ne veulent pas entendre parler du droit au retour… les positions de l’Eglise sont très claires et ne supportent aucun questionnement sur ces points. Le patriarche a toujours dénoncé clairement les injustices perpétrées par les Israéliens à l’encontre des Palestiniens et il continuera à le faire. Je le répète, cette visite est tout simplement pastorale et destinée à accueillir le pape. Ne mélangeons pas les genres.
Où va-t-il s’installer?
L’Eglise maronite possède une maison d’accueil à Jérusalem.
Les défenseurs de cette visite avancent que cette initiative est susceptible de mettre les Israéliens devant le fait accompli et de faire de Jérusalem une ville ouverte à toutes les religions. Partagez-vous cet avis?
Cette position est depuis longtemps celle de l’Eglise. Mais je pense que rien ne va changer la politique adoptée par les Israéliens. La visite n’aura malheureusement pas de traduction concrète.
Quel est le message que le pape va transmettre lors de cette visite?
Le pape va essayer de convaincre les parties concernées de la nécessité de créer un Etat palestinien. Il va appeler à la sauvegarde des lieux saints et confirmer la présence des chrétiens en Terre sainte.
Quelles vont être les répercussions de cette visite sur les rapports entre le patriarche Raï et certaines instances politiques et religieuses libanaises, surtout après son retour de Jérusalem?
Ce voyage va-t-il, à votre avis, affecter ces relations?
Je ne le pense pas, puisque le patriarche va limiter sa visite à un cadre pastoral. Mais on ne peut prévoir à l’avance les réactions des uns et des autres. Ce que je sais, c’est que Mgr Béchara Raï a l’habitude de prendre ses décisions à la lumière de ses convictions et de son devoir ecclésiastique vis-à-vis de ses fidèles et, dans ce cadre précis, vis-à-vis du pape François. Et ce n’est pas l’opinion de telle ou telle personne qui le fera changer d’avis.
Propos recueillis par Danièle Gergès