Boko Haram, le groupe radical nigérian, se trouve une fois de plus sous les feux de la rampe depuis l’enlèvement de plus de deux cents adolescentes, le mois passé. La mouvance radicale semble représenter un danger de plus en plus grave pour le Nigeria, pays au pouvoir central très affaibli par la corruption et les divisions Nord/ Sud, mais aussi pour les Etats voisins.
Une nouvelle vidéo a été diffusée, cette semaine, par Boko Haram montrant les lycéennes kidnappées par la nébuleuse. Selon Abubakar Shekau, chef de la secte, les adolescentes ne seraient remises à leurs familles qu’après la libération des membres de Boko Haram des prisons de l’Etat. Dans une autre vidéo, Shekau avait affirmé que l’esclavage était autorisé dans sa religion. Des rapports avaient fait état de la vente des jeunes otages à des radicaux pour 12 dollars chacune.
Boko Haram a été fondé en 2002 par Mohammad Yousuf à Maiduguri, dans l’Etat du Borno, situé à l’extrême nord-est du Nigeria. Boko signifie à l’origine «faux», un qualificatif attribué par les radicaux nigérians à l’éducation occidentale, alors que haram, signifie comme en arabe, interdit. A ses débuts, le groupe se contente de dénoncer la corruption des hommes politiques qui détournent la rente pétrolière en laissant les populations du Nord vivre dans une misère profonde.
Ce n’est qu’à partir de 2009 que Boko Haram a recours à la violence pour affirmer ses revendications. Il attaque alors les postes de police et les bâtiments gouvernementaux à Maiduguri. Des centaines de partisans de Boko Haram, ainsi que leur chef sont alors tués dans de violents affrontements avec les forces de l’ordre. Selon John Campbell, chercheur auprès du Conseil en relations étrangères (Council on Foreign relations-CFR), Boko Haram opère en toute impunité dans le nord-est du Nigeria.
Un pays pauvre
On estime que plusieurs facteurs sont à l’origine de la radicalisation de cette mouvance, en partie le résultat d’une mauvaise gestion du gouvernement central des revenus pétroliers détournés par les responsables politiques.
Les Nigérians sont parmi les plus pauvres au monde, leur pays étant en proie à des disparités économiques très importantes, notamment entre le Nord et le reste du pays. A titre d’exemple, plus de 72 pour cent de la population du Nord vivent dans une situation d’extrême pauvreté, contre 27 pour cent dans le sud du pays, selon le CFR. «Il existe un fort sentiment de marginalisation dans le Nord», précise Campbell.
La répression violente des populations autochtones par le gouvernement, accusé de corruption, a exacerbé la colère des habitants. En outre, l’élection d’un président chrétien en 2011 n’a fait qu’envenimer les relations entre la population du Nord et l’autorité centrale. «De nombreux Nigérians du Nord estiment que l’arrivée au pouvoir du président chrétien Goodluck Jonathan est illégitime», explique un homme d’affaires libanais résidant au Nigeria et s’exprimant sous couvert d’anonymat. En effet, l’élection de ce dernier à la suite de la mort du président Omar Musa, un musulman, décédé deux ans après le début d’un mandat de quatre ans, contrevient selon les Nigérians musulmans, au principe de rotation entre chrétiens et musulmans qui prévaut dans le pays. Boko Haram a donc justifié son objectif principal, visant à l’établissement d’un califat, en se basant sur les revendications des populations musulmanes et sur l’argument selon lequel une nation gouvernée par l’islam serait naturellement plus équitable.
A la mort de Yousuf, en 2009, Boko Haram se disperse en plusieurs groupuscules, dont l’un, dirigé par Shekau, concentre ses activités sur les questions de politique intérieure. «La mouvance dirigée par Shekau a pris pour cibles des membres de l’establishment islamique traditionnel, accusés de collaborer avec le pouvoir central», commente Campbell. Plusieurs opérations terroristes sont attribuées au groupe de Shekau, dont une attaque ayant visé une caserne militaire à Abuja, suivie par une autre contre le siège de l’Onu, en 2011. En début d’année, Boko Haram a également abattu près de soixante jeunes pensionnaires dans le nord du pays. «Cette attaque reflète la vision de Boko Haram selon laquelle l’éducation occidentale est mauvaise», souligne Campbell. Selon l’ONG Amnesty International, la mouvance serait responsable de la mort de plus de 1500 personnes lors des trois derniers mois.
Le groupe Ansaru
En marge du mouvement de Shekau, d’autres courants comme celui d’Ansaru apparaissent à la mort de Yousuf. Contrairement à Boko Haram, Ansaru aurait tissé des liens avec al-Qaïda dans le Maghreb islamique (Aqmi) et entretiendrait un agenda international. Des médias africains, tel le Mail and Guardian, accusent Mamman Nur, un membre d’Ansaru, d’être également impliqué dans l’attentat contre le bâtiment des Nations unies à Abuja. Nur se serait lié d’amitié avec des membres des Shabab, un groupe somalien extrémiste, avec lequel il aurait suivi des formations militaires en Somalie. On attribue également à Mamman Nur, l’adoption de nouveaux modes opératoires proches des pratiques d’al-Qaïda, comme les attentats suicide, l’utilisation de kamikazes et les enlèvements de ressortissants étrangers. En janvier 2013, un convoi d’Ansaru se serait ainsi attaqué aux troupes nigérianes en route vers le Mali. Il aurait également pris pour cibles des employés étrangers travaillant au Nigeria.
Une collaboration plus étroite entre Boko Haram et d’autres factions militantes comme celle d’Ansaru pourrait aggraver les tensions déjà fortes entre chrétiens et musulmans dans un pays se trouvant dans une situation de quasi-défaillance politique. Elle pourrait en outre contribuer à l’expansion régionale de ces groupes, ainsi qu’au renforcement des liens avec les franchises d’al-Qaïda dans les pays d’Afrique.
Mona Alami
Al-Qaïda au-delà du Sahel
Un autre groupe serait né de l’éclatement de Boko Haram à la suite de la mort de Yousuf. Cette mouvance serait responsable de l’assassinat de deux ressortissants européens, incident survenu au Nigeria en 2012. L’enlèvement de ces deux hommes avait été revendiqué par un groupe qui se faisait appeler «Al-Qaïda dans le pays au-delà du Sahel». Ce kidnapping présente de nombreuses similitudes avec les opérations organisées par Mokhtar Belmokhtar, un commandant algérien d’Aqmi, qui a fait des pratiques d’enlèvement un véritable business, assurant une source de financement importante pour cette organisation islamiste dans sa guerre contre des régimes qu’elle accuse d’apostasie.