Parrainée par le président Michel Sleiman, Walid Joumblatt et le patriarche Béchara Raï, la cérémonie célébrant le retour des déplacés à Brih clôt le dernier chapitre d’une histoire douloureuse vieille de plusieurs décennies.
Il y a plus de trente ans, ce sont des dizaines de familles qui ont dû fuir leur terre souillée par la guerre de la Montagne qui a opposé les milices chrétiennes aux troupes de Walid Joumblatt. Ces familles ont trouvé refuge à Beyrouth, dans le Metn ou le Kesrouan, dans l’espoir d’un possible retour. Ceux qui ont été froidement appelés les déplacés ont pardonné il y a longtemps. Le temps a fait son œuvre. L’horloge de l’Histoire indique une génération. Les grands-parents d’antan ont disparu, laissant à leur descendance l’héritage d’une enfance déracinée. Les maisons ne sont plus là, les pierres, si, mais abandonnées. Trois décennies qu’elles attendaient leurs propriétaires.
Brih a longtemps été amputé. Les habitants racontent encore les massacres de 1860, l’assassinat de Kamal Joumblatt en 1977 et les tensions qui explosent en 1983 entre le PSP et les Forces libanaises. «Nous refermons la dernière blessure de la guerre des autres sur nos terres, nous tournons une page noire de notre histoire et ouvrons celle de l’avenir, avec vous nous ouvrons une nouvelle page de la coexistence», a déclaré Walid Joumblatt en clôture de son discours. La cérémonie officielle s’est tenue à l’emplacement de la Maison druze, qui avait été construite durant la guerre sur des terrains appartenant à des chrétiens et détruite à coups de bulldozer sur ordre du leader druze. Au programme de ces retrouvailles, l’inauguration de la nouvelle Maison druze et la pose de la première pierre des deux églises détruites du village, Saint-Georges et Saint-Elie.
Hors caméra, les familles chrétiennes de Brih ont arpenté les sentiers, les maisons et le voisinage de leur enfance. C’est d’abord cela, le retour des déplacés. Un retour aux sources, à la normalité. Le 9 mai dernier, la ministre des Déplacés, Alice Chaptini, a émis un décret visant à évacuer les maisons occupées du village.
Les histoires du passé reviennent, comme celle de Georges Chalhoub, un jeune médecin exilé à Paris qui, en septembre 1977, revient chez lui pour des condoléances. Il est tué à Aley à un barrage syrien. Lors de ses obsèques, des miliciens druzes entrent dans l’église Saint-Georges et tuent quinze personnes. Les cadavres sont enterrés dans la crypte. En 1982, l’armée israélienne envahit le Liban. Ses alliés chrétiens tentent de forcer l’avantage dans le Chouf. Des dizaines de combattants druzes sont tués. Après le départ des Israéliens, les druzes prennent leur revanche. Tout ce qui se rapporte aux chrétiens − les églises, les maisons, les vergers − est détruit.
La reconstruction a débuté sous les auspices des plus hautes autorités politiques et religieuses de la région. Les fonds sont débloqués, mais les déplacés n’ont pas attendu la cérémonie pour reprendre leurs marques dans le village. Les familles chrétiennes ont retrouvé leurs voisins druzes. Eux sont restés. Le récit des souvenirs est poignant. L’émotion est à fleur de peau. Ont coulé des larmes emplies de tristesse, en mémoire de leurs aînés qui n’ont pas pu revenir chez eux. Non, les chrétiens ne reviendront pas se réinstaller de plain-pied à Brih. La guerre et les années qui ont suivi ont déplacé leurs foyers vers une autre vie. Les trente millions de livres par maison débloquées par l’Etat étaient nécessaires, mais sont insuffisantes. Ils reviendront l’été et le week-end, le temps de rebâtir les maisons de leur enfance.
Le processus ouvert il y a treize ans est en passe de s’achever. Le président Sleiman s’était fait un point d’honneur d’imposer sa marque sur le dossier. Pour le clore définitivement, reste encore le village de Kfarmatta, dans le caza de Aley, étudié par le PSP et le CPL lors de réunions préparatoires entre les deux partis l’année dernière.
Julien Abi Ramia
Eloge à Sleiman
Le chef de l’Etat a vécu son déplacement à Brih comme si c’était son dernier. Accueilli par les hourras d’une foule lui lançant des pétales de rose, Michel Sleiman a reçu deux vibrants hommages. Celui de Walid Joumblatt d’abord: «En ce jour, vous clôturez un mandat plein de succès, malgré tous les défis et les problèmes. Vous avez fait face aux défis pour empêcher la vacance de la présidence au Liban et que le pays ne glisse vers l’anarchie», a-t-il dit, soulignant que «le centrisme permet de faire face aux divisions radicales entre les camps politiques». Et celui du Mgr Raï: «La réconciliation est la meilleure des réalisations pour clore un mandat présidentiel. Nous voulons un président qui poursuive la route de Michel Sleiman».