Dix jours de cinéma, d’émotion, de joie et de glamour. La 67e édition du festival de Cannes a eu lieu du 14 au 24 mai. Retour sur un palmarès ouvert, courageux et dosé.
Une nouvelle fois, une 67e fois, Cannes dit adieu à son célèbre festival. Et un nouveau palmarès entre dans l’histoire du cinéma. Un palmarès qui a été annoncé le samedi 24 au soir, vingt-quatre heures à l’avance de la date prévue, en raison de la tenue, le lendemain, des Elections européennes. Et la consécration suprême, la Palme d’or, revient au Turc Nuri Bilge Ceylan pour Winter Sleep, un huis clos psychologique se déroulant dans un hôtel d’un village d’Anatolie. Après avoir reçu son prix des mains d’Uma Thurman et Quentin Tarantino, très ému, il a dédié sa victoire à la jeunesse de son pays. Il succède à Abdellatif Kechiche et sa Vie d’Adèle, marquant une 2e Palme d’or turque après Yol de Yilmaz Güney en 1982. Le réalisateur turc est un grand habitué de la cérémonie de clôture de Cannes; il y avait déjà décroché deux fois le Grand Prix (Uzak en 2003 et Il était une fois en Anatolie en 2011) et une fois le prix de la mise en scène (Les trois singes en 2008).
Comme chaque année, c’est la désormais très attendue montée des marches, le cérémonial du tapis rouge qui lance la cérémonie de clôture du festival. Entre robes signées, costards et caméras qui crépitent, les invités prennent place dans la salle. En parfait maître de cérémonie, Lambert Wilson entame son discours: «Ils sont venus du monde entier pour se faire acclamer ou siffler. Le monde entier attend de savoir qui va remporter le plus prestigieux des trophées», avant d’ajouter, ironique, «plus que 18 jours avant la coupe du monde de football». Et ironiquement toujours, il lance en pique acérée, un «Welcome to Cannes», en référence au film sur l’affaire DSK, le Welcome to New York signé Abel Ferrara, avec Gérard Depardieu et Jacqueline Bisset.
Présidé par la Néo-Zélandaise Jane Campion, le jury, composé de Carole Bouquet, Sofia Coppola, Laila Hatami, Do-Yeon Jeon, Willem Dafoe, Gael Garcia Bernal, Zhangke Jia et Nicolas Winding Refn, avait du pain sur la planche cette année avec une sélection de haut niveau. Faut-il donc imaginer, comme l’a dit Lambert Wilson, «un jury de festival comme un couple de neuf personnes, qui va au cinéma deux fois par jour». Et qui débat de longues heures pour chaque choix, comme l’a expliqué Jane Campion après la cérémonie. Notamment en ce qui concerne le prix du jury décerné ex æquo à Mommy de Xavier Dolan et à Adieu au langage de Jean-Luc Godard. Le premier considéré un génie par Campion, le deuxième un homme libre.
Avec ce prix, le Canadien Xavier Dolan, 25 ans, confirme son statut de «jeune prodige du cinéma québécois», qu’il a acquis au fil des cinq dernières années, depuis la projection de son premier long métrage J’ai tué ma mère à La Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2009. Mommy, son 5e long métrage, suit l’histoire de Diane, une veuve monoparentale qui récupère la garde de son fils adolescent Steve, atteint d’une forme grave de TDAH (trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité). Au cœur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l’aide inattendue de l’énigmatique voisine d’en face, Kyla. En recevant son prix, Dolan, plus ému que jamais, la voix tremblante, affirme: «On fait ce métier pour aimer et être aimé en retour. C’est la revanche en quelque sorte de nos amours imaginaires», avant de rendre hommage à Jane Campion et son célèbre film The piano, ainsi qu’à tous ceux de sa génération en terminant son discours par ces mots d’espoir: «Nous pouvons changer le monde par nos rêves. Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais».
Du côté des comédiens, c’est l’acteur Timothy Spall qui remporte le prix d’interprétation masculine pour son rôle du peintre britannique Turner, dans Mr. Turner de Mike Leigh, et son duplicata féminin est remporté par Julianne Moore pour son rôle d’actrice névrosée et prête à tout dans Maps of the stars de David Cronenberg.
Quant au reste du palmarès, le prix de la mise en scène est allé à Bennett Miller pour Foxcatcher, qui raconte la vraie histoire tragique et fascinante de la relation improbable entre le milliardaire excentrique John du Pont et les deux champions de lutte, Mark et Dave Schultz; le prix du scénario a été remporté par les Russes Andrey Zvyagintsev et Oleg Negin pour Leviathan dans lequel un homme tente de défendre son bout de terrain et la beauté qui l’entoure depuis sa naissance au nord de la Russie contre les ambitions d’un maire vénal et violent; le Grand Prix a été décerné à l’Italienne Alice Rohrwacher pour Les Merveilles (Le Meraviglie) qui emmène les spectateurs dans un village en Ombrie au cœur d’une famille vivant en marge du monde, mais dont la vie va être perturbée par l’arrivée d’un jeune délinquant et le tournage d’un jeu télévisé dans la région. Finalement, la Caméra d’or 2014 qui distingue le meilleur premier film de toutes les sections du festival de Cannes, a été remise à Party Girl de Samuel Theis, Claire Burger et Marie Amachoukli. Prix remis par Gilles Jacob qui officiait pour la dernière fois en tant que président du festival.
De découverte en cinéma plus atypique, la catégorie Un certain regard a vu cette année la participation de vingt films venus de vingt-trois pays différents. Le jury, présidé par le réalisateur argentin Pablo Trapero, a octroyé le prix de la sélection à White God (FehérIsten) au Hongrois Kornél Mundruszco qui dénonce la stigmatisation des plus faibles; le prix du jury à la comédie amère Turist (Force majeure) du Suédois Ruben Östlund; et le prix spécial au documentaire The Salt of the earth, qui retrace la vie et le travail du photographe Sebastião Salgado, signé du fils de ce dernier, Juliano Ribeiro, et du grand Wim Wenders.
Nayla Rached